à la voûte quelques scènes de la vie de Jésus, et une Descente du Saint-Esprit, qui est un des plus beaux ouvrages du quatorzième siècle. Sur l'un des murs de la même chapelle il a fait des figures allégoriques représentant les sciences, et, au-dessous de chacune d'elles, le portrait de quelque savant qui passait alors pour s'y être illustré. Il surpassa, dit-on, son maître dans le coloris; le temps nous empêche d'en juger.
Un jour, dans une société de gens de lettres[99], André Orcagna fit cette question: Qui avait été le plus grand peintre, Giotto excepté? L'un nommait Cimabue, l'autre Stefano, ou Bernardo, ou Buffalmacco. Taddeo Gaddi, qui se trouvait présent, dit: Certainement il y a eu de grands talents; mais cet art va manquant tous les jours. Et il avait raison. Comment prévoir qu'il naîtrait des génies qui sortiraient de l'imitation?
On distingue parmi les élèves de Gaddi, Angiolo Gaddi son fils, don Lorenzo, et don Silvestre, tous les deux moines camaldules, Jean de Milan qui peignit en Lombardie Starnina, et dello Fiorentino, qui portèrent le nouveau style italien à la cour d'Espagne, et enfin Spinello d'Arezzo, qui eut du moins une imagination d'artiste. On montre encore dans sa patrie une Chute des anges, avec un Lucifer si horrible, que Spinello l'ayant vu en songe, il en devint fou, et mourut peu après[100].
L'histoire de la peinture ne mérite pas plus de détails depuis l'an 1336 jusqu'à l'an 1400.
Un grand seigneur, Jean-Louis Fiesque, entre dans la boutique d'un peintre célèbre: «Fais-moi un tableau où il y ait saint Jean, saint Louis et la Madone.» Le peintre ouvre la Bible et les Légendes pour les signes caractéristiques de ces trois personnages.
A plus forte raison avait-il recours à la Bible lorsqu'il fallait peindre le reniement de saint Pierre, ou le tribut payé à César, ou le jugement dernier.
Aujourd'hui qui est-ce qui lit la Bible[101]? quelque amateur peut-être pour y voir les quinze ou vingt traits, éternels sujets des tableaux du grand siècle. J'ai trouvé des peintures inexplicables. C'est que certaines légendes trop absurdes ont été abandonnées dans le mouvement rétrograde de l'armée catholique. Alors on indique dans le pays le bouquin où il faut chercher le miracle[102].
Le malheur de ces premiers restaurateurs de l'art, qui, à beaucoup près, ne furent pas sans génie, c'est d'avoir peint la Bible. Cette circonstance a retardé l'expression des sentiments nobles, ou le beau idéal des modernes.
La Bible, à ne la considérer que sous le rapport humain, est une collection de poëmes écrits avec assez de talent, et surtout parfaitement exempts de toutes les petitesses, de toutes les affectations modernes. Le style est toujours grandiose; mais elle est remplie des actions les plus noires, et l'on voit que les auteurs n'avaient nulle idée de la beauté morale des actions humaines[103].
Voici une occasion de dire que les romanciers du jour sont plus que divins. Les trois ou quatre romans qui paraissent chaque semaine nous font bâiller à force de perfection morale; mais les auteurs ne peuvent attraper le style grandiose. Au contraire, changez le style de la Bible, et tout le monde verra ces poëmes avec surprise.
Les voyageurs en Italie sont frappés du peu d'expression de tableaux, d'ailleurs assez bons, et de la grossièreté de cette expression. Mais, me suis-je dit, ce peuple est-il froid? ne fait-il pas de gestes? l'accuse-t-on de manquer d'expression? Les peintres ne pouvant être vrais sans être révoltants, leur siècle, plus humain que la Bible, leur commanda, sans s'en douter, de s'arrêter à l'insignifiant[104]. Si, au lieu de leur demander des sujets pris dans le livre divin[105], on leur eût donné à exprimer l'histoire d'un simple peuple, des Romains, par exemple, qui ne sont rien moins que parfaits, ils y eussent trouvé les enfants de Falères, Fabricius renvoyant le médecin de Pyrrhus, les trois cents Fabius allant mourir pour la patrie, etc., etc., enfin quelquefois des sentiments généreux.
Quel talent, pour exprimer la beauté morale, veut-on qu'acquière un pauvre ouvrier qui est employé tous les jours à représenter Abraham envoyant Agar et son fils Ismaël mourir de soif dans le désert[106], ou saint Pierre faisant tomber mort Ananias, qui, par une fausse déclaration, avait trompé les apôtres dans leur emprunt forcé[107], ou le grand prêtre Joad massacrant Athalie pendant un armistice?
Quelle différence pour le talent de Raphaël, si, au lieu de peindre la Vierge au donataire[108] et les tristes saints qui l'entourent, et qui ne peuvent être que de froids égoïstes, son siècle lui eût demandé la tête d'Alexandre prenant la coupe des mains de Philippe, ou Régulus montant sur son vaisseau[109]!
Quand les sujets donnés par le christianisme ne sont pas odieux, ils sont du moins plats. Dans la Transfiguration, dans la Communion de saint Jérôme, dans le Martyre de saint Pierre, dans le Martyre de sainte Agnès, je ne vois rien que de commun. Il n'y a jamais sacrifice de l'intérêt propre à quelque sentiment généreux.
Je sais bien qu'on a dit, dès 1755: «Les sujets de la religion chrétienne fournissent presque toujours l'occasion d'exprimer les grands mouvements de l'âme, et ces instants heureux où l'homme est au-dessus de lui-même. La mythologie, au contraire, ne présente à l'imagination que des fantômes et des sujets froids.
«Le christianisme vous montre toujours l'homme, c'est-à-dire l'être auquel vous vous intéressez dans quelque situation touchante; la mythologie, des êtres dont vous n'avez pas d'idées dans une situation tranquille.
«Ce qui engagea les génies sublimes de l'Italie à prendre si fréquemment leurs sujets dans l'Olympe, c'est l'occasion si précieuse de peindre le nu....... La mythologie n'a tout au plus que quelques sujets voluptueux.» (Grimm, Correspondance, février 1755.)
[99] Sacchetti, Nouvelle, 136.
[100] Voici les noms des prétendus artistes de cette époque, qui peuvent n'être pas sans intérêt à Florence et à Pise, où leurs tristes ouvrages emplissent les églises. Gio. Gaddi, Antonio Vite, Jacopo di Casentino, Bernardo Daddi, Parri Spinello, qui faisait ses figures très-longues et un peu courbées, pour leur donner de la grâce, disait-il; peut-être avait-il entrevu que pour la grâce il faut une certaine faiblesse[v] du reste, bon coloriste; Lorenzo de Bicci, d'une médiocrité expéditive, Neri son fils, un des derniers de la troupe, Stefano da Verona, Cennini, Antonio Veneziano.
[v] Je ne sympathise pas avec cette jeune femme (dans la retraite de Russie), parce qu'elle est plus faible qu'une autre femme, mais parce qu'elle n'a pas la force d'un homme. C'est ce qui renverse tout le système de Burke; il n'a pas lu ses principes dans son cœur; il les a déduits, avec beaucoup d'esprit et peu de logique, de certaines vérités générales. Toutes les femmes de l'école de Florence ont trop de force.
A Pise, la sculpture était plus à la mode; cependant elle eut des peintres: Vicino, Nello, Gera, plusieurs Vanni, Andrea di Lippo, Gio. di Nicolo. Les discordes civiles livrèrent la ville aux Florentins en 1406; avec la nationalité elle perdit le génie.