Stendhal

Histoire de la peinture en Italie


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indifféremment dans tout ceci le quinzième siècle ou le seizième; les chefs-d'œuvre de la peinture sont du commencement du seizième siècle, où tout le monde était encore gouverné par les habitudes du quinzième[15].

      La belle Marie mourut empoisonnée; Malatesti, jeté dans une étroite prison, parvint à s'échapper douze ou quinze ans après. Il avait déjà gagné l'île de Candie, où son père commandait pour les Vénitiens; mais il tomba sous le fer d'un assassin. Tel était l'honneur de ces temps, le cruel honneur qui remplace la vertu des républiques, et n'est qu'un vil mélange de vanité et de courage.

      La seconde fille de Côme fut mariée au duc de Ferrare Alphonse; aussi belle que sa sœur, elle eut le même sort: son mari la fit poignarder.

      L'histoire de sa mort, causée volontairement par une femme qui l'aimait, est vraiment singulière.

      Vers l'an 1563, Pietro Buonaventuri, jeune Florentin aimable et sans fortune, quitta sa patrie pour chercher un meilleur sort. Il s'arrêta dans Venise, chez un marchand de son pays, dont la maison se trouvait située précisément dans la ruelle du palais Capello. La façade, suivant l'usage, donnait sur le canal. Il n'était bruit dans la ville que de la beauté de Bianca, la fille du maître de ce palais, et de la sévérité avec laquelle on la gardait.

      Bianca ne pouvait, sous aucun prétexte, paraître aux fenêtres qui donnaient sur le canal; elle s'en dédommageait en prenant l'air tous les soirs à une petite fenêtre très-élevée, qui avait jour sur la rue étroite habitée par Buonaventuri. Il la vit et l'aima; mais quelle apparence de s'en faire aimer? Un pauvre marchand prétendre à une fille de la première noblesse, et la plus recherchée de Venise! Il voulut renoncer à une passion chimérique. L'amour le ramenait toujours sous la petite fenêtre. Un de ses amis, le voyant au désespoir, lui représenta qu'il valait mieux trouver la mort en marchant au bonheur que périr comme un sot; que d'ailleurs avec sa bonne mine et la tyrannie du père, faire connaître sa passion serait peut-être triompher.

      A force de signes faits à la hâte, lorsque personne ne paraissait dans la rue, Pierre parvint à dire qu'il aimait; mais il ne fallait pas seulement penser à s'ouvrir la maison du plus fier des hommes. Comme en Orient, la moindre tentative eût été punie de mort, peut-être sur les deux amants. La nécessité leur fit inventer un langage. La nécessité fit que cette beauté si dédaigneuse consentit à se procurer la clef d'une petite porte qui ouvrait sur la rue, et à venir donner un premier rendez-vous au jeune Florentin, démarche hardie qui ne put avoir lieu que de nuit, pendant le sommeil des gens. Ces tendres rendez-vous furent renouvelés, et avec le résultat qu'on peut penser. Bianca sortait toutes les nuits, laissait la porte un peu bâillée, et rentrait avant le jour.

      Une fois elle s'oublia dans les bras de son amant. Un garçon boulanger, qui allait de grand matin prendre le pain dans une maison voisine, apercevant une porte entr'ouverte, crut bien faire de la tirer à lui.

      Bianca, arrivant un moment après, se vit perdue; elle prend son parti, remonte chez Buonaventuri, frappe tout doucement. Il ouvre. La mort était certaine pour elle. Leur sort devient commun; ils courent demander asile à un riche marchand de Florence, établi dans un quartier perdu. Avant que le jour achevât de paraître, tout était fini, et nulle trace de leur évasion ne pouvait les trahir. Le difficile était de sortir de Venise.

      Le père de Bianca, et surtout son oncle Grimani, patriarche d'Aquilée, faisaient éclater l'indignation la plus violente; ils prétendaient que tout le corps de la noblesse vénitienne était insulté en eux. Ils firent jeter en prison un oncle de Buonaventuri, qui mourut dans les fers; ils obtinrent du sénat l'ordre de courir sus au ravisseur, avec une récompense de deux mille ducats à qui le tuerait. On fit partir des assassins pour les principales villes d'Italie.

      Les jeunes amants étaient toujours dans Venise. Vingt fois ils furent sur le point d'être pris. Dix mille espions, et les plus fins du monde, voulaient avoir les deux mille ducats; enfin une barque chargée de foin trompa tous les yeux, et ils purent gagner Florence. Là, dans une petite maison que Buonaventuri avait sur la Via Larga, ils se tinrent fort cachés. Bianca ne sortait jamais. Lui ne se hasardait que bien armé. C'était justement le temps que le vieux Côme Ier, dégoûté de cette longue suite de dissimulations et de perfidies qui avaient fait son règne, venait de laisser les soins du gouvernement à son fils D. François, prince d'un caractère plus sombre encore et plus sévère. Un favori vint lui dire que dans une petite maison de sa capitale vivait cachée cette Bianca Capello dont la beauté et la disparition singulière avaient fait tant de bruit à Venise. De ce moment, François eut une nouvelle existence; tous les jours on le voyait se promener des heures entières dans la Via Larga. On sent que tous les moyens furent mis en usage; ils n'eurent aucun succès.

      Bianca, qui ne sortait jamais, se mettait presque tous les soirs à la fenêtre; elle portait un voile; mais le prince pouvait l'entrevoir, et sa passion n'eut plus de bornes.

      Cette affaire parut sérieuse au favori; il en fit confidence à sa femme. Éblouie du degré de faveur où parviendrait son mari, si la maîtresse régnante lui devait sa place, elle prit le prétexte des malheurs qu'avait éprouvés la jeune Vénitienne, et des dangers qui la menaçaient encore. Elle envoie une vénérable matrone, qui lui fait entendre que la grande dame a quelque chose d'important à lui communiquer, et, pour parler en toute liberté, la prie de lui faire l'honneur de venir dîner chez elle. Cette invitation parut très-singulière. Les amants hésitèrent longtemps; mais le rang de la dame et le besoin qu'on avait de protection firent consentir. Bianca parut; je ne parle point de l'empressement et des tendresses de la réception. Il fallut conter son aventure: on l'écouta avec un intérêt si marqué, on lui fit des offres si obligeantes, qu'il fallut promettre de revenir, et d'être sensible à une amitié qui, en naissant, était déjà passion.