car une femme est toujours plus jolie sous cette gracieuse coiffure que sous le chapeau.
Vendredi, 16 août.
Valence a un air bien spécial avec ses nombreux clochers brillant au soleil et mêlant au bleu du ciel le bleu de leurs azulejos.
La cathédrale s'élève sur un emplacement qui supporta successivement: un temple romain, une église wisigothe, une mosquée arabe. La plupart des cathédrales espagnoles a été la résultante d'une pareille succession sur un même emplacement. C'est un assez bel édifice de style gothique du quatorzième siècle. Le clocher ou Tour du Miguelete est extrêmement original; une grosse tour trapue, octogone, basse, qui semble détachée d'un rempart du moyen âge; au sommet du clocher s'agite régulièrement le Miguelete, la cloche de Saint-Michel qui sonne les heures d'irrigation de la huerta. C'est que cette huerta, la richesse de la ville et du pays, tient une grande place dans la vie des Valencins. Tous les jeudis, devant la principale porte de la cathédrale, en plein air sur la place, siège le Tribunal de las Aguas, vieille institution mauresque qui subsiste encore de nos jours et qui est chargée de régler tous les différends issus de l'irrigation de la huerta. Il y a peu d'eau en Espagne; or dans la campagne de Valence on en tire tout le parti possible, c'est une valeur précieuse, d'où contestations, réglementations. Les Maures avaient admirablement utilisé le peu d'eau de l'Espagne et su fertiliser tout ce pays; les Valencins ont le mérite d'avoir conservé ces traditions et maintenu leur contrée dans le même état de prospérité. Hélas! bien peu de villes d'Espagne ont eu la même intelligence!
Un des plus beaux monuments de Valence est la Lonja de la Seda, le Palais de la Soie, construit sur l'emplacement de l'ancien Alcazar arabe. C'est du gothique le plus élégant, le plus pur, le plus harmonieux qui se puisse voir. A l'intérieur,—la salle de la Bourse,—il y a un hall immense supporté par une série de colonnes aussi sveltes qu'infiniment hautes, qui est surprenant de hardiesse et d'harmonie. Nous sommes restés là à admirer, bouche bée, surpris autant que charmés devant pareille merveille.
Non loin se trouve une des portes de la ville appelée les Torres de Cuarte; deux énormes tours encadrent la porte et forment un ensemble assez approchant des Torres de Serranos [12].
Nous passâmes sous cette porte pour aller visiter le Jardin Botanique où se trouvent réunies une grande quantité d'essences rares des pays chauds. Mais quel entretien déplorable, quelle nonchalance vraiment espagnole! Les arbres ne sont jamais émondés, les feuilles sèches couvrent le sol, la plupart des étiquettes sont effacées, illisibles ou absentes. L'Espagne et les Espagnols sont ce que je trouve de plus rapproché des Turcs et de la Turquie sous le rapport du fatalisme et du laisser-aller. Ces peuples ont horreur du geste inutile et pour eux les gestes qui peuvent procurer propreté, commodité ou confort sont superflus!
En résumé, Valence est une ville assez jolie, agréable, curieuse surtout, dont j'ai conservé bon souvenir et où je retournerai volontiers. Il y fait chaud, mais la brise de mer et les excellentes boissons glacées, bebidas helladas, rafraîchissent très suffisamment l'extérieur et l'intérieur du corps des habitants et des touristes. Car il faut avouer que les Valencins sont admirablement outillés pour se procurer la jouissance qui résulte naturellement de la chaleur: boire très frais quand on a bien chaud, qu'y a-t-il de meilleur? Certains établissements ne débitent que des boissons glacées. C'est effrayant ce que nos corps, transformés en éponges, absorbaient de bebidas helladas: limon, naranja, fresa, grosella, frambuesa, pina, zarzaparilla, bresquilla, azahar, agraz, nectarsoda.
C'est à Valence que j'ai commencé à être frappé par la lumineuse clarté du ciel espagnol. Au milieu de la journée la lumière est si intense qu'elle semble pénétrer tout, tout est lumineux, blanc; on dirait même que l'ombre n'existe pas, les reflets sont tellement puissants qu'ils jettent de la clarté dans les ombres et que là où il devrait y avoir du noir on voit quand même du blanc. Le bleu du ciel est si pâle qu'il paraît blanc; ce dernier point est celui qui m'a le plus frappé: le ciel est si irradiant de lumière qu'il semble ne faire qu'un avec le soleil.
Ce n'est qu'en plein été évidemment qu'on peut voir cela et je m'applaudis encore d'avoir choisi cette époque pour faire mon voyage.
Il n'y a de réellement très chaudes que les heures qui avoisinent midi; nous en avons fait l'expérience hier en arrivant à Valence. Je ne veux pas dire que cela soit absolument insupportable, non; abrités sous la capote et le tendelet de l'auto, nous pourrions affronter toutes les chaleurs, mais pour notre plus grand bien-être, nous avons décidé de voyager désormais autant que possible le soir.
C'est pourquoi nous ne quittons Valence aujourd'hui qu'à 6 heures après midi.
En sortant de la ville, la route est à peu près aussi mauvaise que pour y entrer, mais cela dure moins; au bout d'une vingtaine de kilomètres on peut enfin rouler sans trop de secousses.
A la tombée de la nuit l'auto est arrêté sur un des accotements du chemin et les provisions sont extraites des coffres de la voiture. Ce festin est vraiment charmant. Nos appétits, tout de suite acclimatés à la chaleur de ce pays, se donnent libre carrière au milieu des provisions de toutes sortes que nous avons emportées.
Nous reprenons notre marche en avant dans une lumineuse nuit; on distingue le paysage comme en plein jour!
Alberique est traversée au milieu d'un concours de peuple immense que la clarté de nos phares luisant de loin a rassemblé sur notre passage et qui nous acclame sympathiquement. Dieu! que ces petites villes de la campagne de Valence sont donc peuplées!
Plus loin, la route franchit le rio Jucar, important cours d'eau dont la masse scintille aux rayons de la lune. Puis la plaine a disparu. Nous entrons dans une région montagneuse que nous ne quitterons plus jusqu'à Alicante.
Nous voulons gagner Jativa pour y coucher, mais Jativa est sur une autre route et n'est unie à celle que nous suivons en ce moment que par un petit chemin; il faut ouvrir l'œil et soigneusement scruter ces nocturnes parages afin de ne pas manquer la bifurcation. Sans un complaisant indigène que notre bonne étoile nous a fait interroger à propos, nous l'aurions ratée à tous les coups, cette bifurcation qui est traîtreusement cachée derrière un groupe de maisons et qui ouvre l'accès d'un minuscule chemin que nous n'aurions jamais soupçonné d'aller jusqu'à Jativa. Allons! pour être si petit, ce chemin n'en est pas plus mauvais et ferait rougir de honte la route de Castellon si elle pouvait venir se comparer à lui; nous roulons à belle allure entre deux haies très rapprochées, lorsque soudain notre susdit chemin fait un plongeon au fond d'une rivière qui a de l'eau,—le rio Montesa,—et saute brusquement sur l'autre rive; l'auto, docile, avait plongé dans un grand éclaboussement d'eau, et mes passagers s'étaient trouvés de l'autre côté du rio avant d'avoir pu se douter de ce qui venait de se passer.
Encore quelques kilomètres et c'est Jativa.
Nous arrivons ici au milieu d'une fête, d'une vraie fête espagnole composée de lumières qui illuminent la nuit et de pétards qui déchirent les oreilles. Par les portes ouvertes, inondant les rues de clartés, nous apercevons des patios éclairés à giorno où s'agitent des escadrons de danseurs et de joueurs. De grands casinos, non moins brillamment éclairés, sont remplis d'une foule joyeuse et bariolée. Des places de plus en plus brillantes de lumières sont noires d'une multitude qui entoure des baraques et divers jeux. On n'a pas idée d'une pareille fête en France: Jativa est une ville de dix mille âmes environ, la fête au milieu de laquelle nous venons de tomber ne pourrait trouver d'égales que celles de nos plus grandes villes, et encore!
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