George Sand

George Sand: La Coupe; Lupo Liverani; Le Toast; Garnier; Le Contrebandier; La Rêverie à Paris


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fée essaya autre chose. Elle lui dit: «Aimais-tu ta mère?—Oui, répondit l'enfant.—Veux-tu m'aimer comme elle?—Oui, si vous m'aimez.—Que me demandes-tu là? dit la fée souriant de tant d'audace. Je t'ai tiré du glacier où tu serais mort; je t'ai défendu contre les vieilles fées qui te haïssaient, et caché ici où elles ne songent plus à toi. Je t'ai donné un baiser, bien que tu ne sois pas mon pareil. N'est-ce pas beaucoup, et ta mère eût-elle fait pour toi davantage?—Oui, dit l'enfant, elle m'embrassait tous les jours.»

      XXIX

      La fée embrassa l'enfant, qui l'embrassa aussi en lui disant: «Comme tu as la bouche froide!» Les fées sont joueuses et puériles comme les gens qui n'ont rien à faire de leur corps. Zilla essaya de faire courir et sauter l'enfant. Il était agile et résolu, et prit d'abord plaisir à faire assaut avec elle; mais bientôt il vit des choses extraordinaires. La fée courait aussi vite qu'une flèche, ses jambes fines ne connaissaient pas la fatigue, et l'enfant ne pouvait la suivre.

      XXX

      Quand elle l'invita à sauter, elle voulut, pour lui donner l'exemple, franchir une fente de rochers; mais, trop forte et trop sûre de ne pas se faire de mal en tombant, elle sauta si haut et si loin que l'enfant épouvanté alla se cacher dans un buisson. Elle voulut alors l'exercer à la nage, mais il eut peur de l'eau et demanda une nacelle, ce qui fit rire la fée, et lui, voyant qu'elle se moquait, se sentant méprisé et par trop inférieur à elle, il lui dit qu'il ne voulait plus d'elle pour sa mère.

      XXXI

      Elle le trouva faible et poltron. Pendant quelques jours, elle l'oublia; mais comme ses compagnes lui demandaient ce qu'il était devenu et lui reprochaient de l'avoir pris par caprice et de l'avoir laissé mourir dans un coin, elle courut le chercher et leur montra qu'il était bien portant et bien vivant. «C'est bon, dit la reine; puisqu'il peut se tirer d'affaire sans causer trop de dommage, je consens à ce qu'il soit ici comme un animal vivant à la manière des autres, car je vois bien que tu n'en sauras rien faire de mieux.»

      XXXII

      Zilla comprit que la sage et bonne reine la blâmait, et elle se piqua d'honneur. Elle retourna tous les jours auprès de l'enfant, y passa plus de temps chaque jour, apprit à lui parler doucement, le caressa un peu plus, mit plus de complaisance à le faire jouer en ménageant ses forces et en exerçant son courage. Elle lui apprit aussi à se nourrir sans verser le sang et elle vit qu'il était éducable, car il s'ennuyait d'être seul, et pour la faire rester avec lui, il obéissait à toutes ses volontés, et même il avait des grâces caressantes qui flattaient l'amour-propre de la fée.

      XXXIII

      Pourtant l'hiver approchait, et bien que l'enfant n'y songeât point, bien qu'il jouât avec la neige qui peu à peu gagnait la grotte où la fée l'avait logé, le chien commençait à hurler et à aboyer contre les empiétements de cette neige insensible qui avançait toujours. Zilla vit bien qu'il fallait ôter de là l'enfant, si elle ne voulait le voir mourir. Elle l'emmena au plus creux de la vallée, et elle pria ses compagnes de l'aider à lui bâtir une maison, car il est faux que les fées sachent tout faire avec un coup de baguette.

      XXXIV

      Elles ne savent faire que ce qui leur est nécessaire, et une maison leur est fort inutile. Elles n'ont jamais chaud ni froid que juste pour leur agrément. Elles sautent et dansent un peu plus en hiver qu'en été, sans jamais souffrir tout à fait dans leur corps ni dans leur esprit. Elles gambadent sur la glace aussi volontiers que sur le gazon, et s'il leur plaît de sentir en janvier la moiteur d'avril, elles se couchent avec les ours blottis dans leurs grottes de neige, et elles y dorment pour le plaisir de rêver, car elles ont fort peu besoin de sommeil.

      XXXV

      Zilla n'eût osé confier l'enfant aux ours. Ils n'étaient pas méchants; mais, à force de le sentir et de le lécher, ils eussent pu le trouver bon. Les jeunes fées qu'elle invita à lui bâtir un gîte s'y prêtèrent en riant et se mirent à l'œuvre pêle-mêle, à grand bruit. Elles voulaient que ce fût un palais plus beau que tous ceux que les hommes construisent et qui ne ressemblât en rien à leurs misérables inventions. La reine s'assit et les regarda sans rien dire.

      XXXVI

      L'une voulait que ce fût très-grand, l'autre que ce fût très-petit; l'une que ce fût comme une boule, l'autre que tout montât en pointe; l'une qu'on n'employât que des pierres précieuses, l'autre que ce fût fait avec les aigrettes de la graine de chardon; l'une que ce fût découvert comme un nid, l'autre que ce fût enfoui comme une tanière. L'une apportait des branches, l'autre du sable, l'une de la neige, l'autre des feuilles de roses, l'une de petits cailloux, l'autre des fils de la Vierge; le plus grand nombre n'apportait que des paroles.

      XXXVII

      La reine vit qu'elles ne se décidaient à rien et que la maison ne serait jamais commencée; elle appela l'enfant et lui dit: «Est-ce que tu ne saurais pas bâtir ta maison toi-même? c'est un ouvrage d'homme.» L'enfant essaya. Il avait vu bâtir. Il alla chercher des pierres, il fit, comme il put, du mortier de glaise qu'il pétrit avec de la mousse; il éleva des murs en carré, il traça des compartiments, il entre-croisa des branches, il fit un toit de roseaux et se meubla de quelques pierres et d'un lit de fougère.

      XXXVIII

      Les fées furent émerveillées d'abord de l'intelligence et de l'industrie de l'enfant, et puis elles s'en moquèrent, disant que les abeilles, les castors et les fourmis travaillaient beaucoup mieux. La reine les reprit de la sorte: «Vous vous trompez; les animaux qui vivent forcément en société ont moins d'intelligence que ceux qui peuvent vivre seuls. Une abeille meurt quand elle ne peut rejoindre sa ruche; un groupe de castors égarés oublie l'art de construire et se contente d'habitations grossières. Dans ce monde-là, personne n'existe, on ne dit jamais moi.

      XXXIX

      »Ces êtres qui vivent d'une mystérieuse tradition, toujours transmise de tous à chacun, sans qu'aucun d'eux y apporte un changement quelconque, sont inférieurs à l'être le plus misérable et le plus dépourvu dont l'esprit cherche et combine. C'est pour cela que l'homme, notre ancêtre, est le premier des animaux, et que son travail, étant le plus varié et le plus changeant, est le plus beau de tous. Voyez ce qu'il peut faire avec le souvenir, comme il invente l'expérience, et comme il sait accommoder à son usage les matériaux les plus grossiers!

      XL

      »—L'homme, dit Zilla, serait donc meilleur et plus habile s'il vivait dans l'isolement?—Non, Zilla, il lui faut la société volontaire et non la réunion forcée. Seul il peut lutter contre toutes choses, et là où les autres animaux succombent, il triomphe par l'esprit; mais il a le désir d'un autre bonheur que celui de conserver son corps; c'est pourquoi il cherche le commerce de ses semblables afin qu'ils lui donnent le pain de l'âme, et le besoin qu'il a des autres est encore une liberté.»

      XLI

      Zilla s'efforça de comprendre la reine, que les autres fées ne comprenaient pas beaucoup. Elles avaient gardé les idées barbares du temps où elles étaient semblables à nous sur la terre, et si leur science les faisait pénétrer mieux que jadis et mieux que nous dans les lois de renouvellement du grand univers, elles ne se rendaient plus compte de la marche suivie par la race humaine dans ce petit monde où elles s'ennuyaient, faute de pouvoir y rien changer. Elles avaient voulu ne plus changer elles-mêmes, il leur fallait bien s'en consoler en méprisant ce qui change.

      XLII

      Zilla, toute pensive, résolut de procurer à son enfant adoptif tout ce qu'il pouvait souhaiter, afin de voir le parti qu'il en saurait tirer. «Voilà ta maison bâtie, lui dit-elle. Que voudrais-tu pour l'embellir?—J'y voudrais ma mère, dit l'enfant.—Je vais tâcher de te l'amener», dit la fée, et, sachant qu'elle pouvait faire des choses très difficiles, elle partit après avoir mis l'enfant sous la protection de la reine. Elle partit pour le monde des hommes, en se laissant emporter par le torrent.

      XLIII

      Ce torrent, qui donne naissance à un