George Sand

George Sand: La Coupe; Lupo Liverani; Le Toast; Garnier; Le Contrebandier; La Rêverie à Paris


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il crut sentir dans sa propre chair qu'il brûlait en effet.

      LIX

      Il se rappela qu'il était condamné par les hommes à être rôti tout vivant, et, sentant qu'il ne fallait pas mécontenter les fées, il rendit la viande au chien et y renonça pour toujours. Alors il s'en alla dehors pour recueillir des racines, des fruits et des graines, et il en fit une si grande provision pour l'hiver que la maison en était pleine et qu'il y restait à peine de la place pour dormir. Et ensuite, craignant d'être volé par les fées, et s'imaginant savoir assez de magie pour leur inspirer le respect, il fit avec de la terre des figures symboliques qu'il planta sur le toit.

      LX

      Mais sa science était fausse et ses symboles si barbares que les fées n'y firent d'autre attention que de les trouver fort laids et d'en rire. Les voyant de bonne humeur, il s'enhardit à demander où il pourrait se procurer des outils de travail, sans lesquels il lui était impossible, disait-il, de rien faire de bien. Elles le menèrent alors dans une grotte où elles avaient entassé une foule d'objets volés par elles dans leurs excursions, et abandonnés là après que leur curiosité s'en était rassasiée.

      LXI

      Maître Bonus fut étonné d'y trouver des ustensiles de toute espèce et des objets de luxe mêlés à des débris sans aucune valeur. Ce qu'il y chercha d'abord, ce fut une casserole, des plats et des pincettes. Il les déterra du milieu des bijoux et des riches étoffes. Il aperçut des sacs de farine, des confitures sèches, une aiguière et un bassin. Il regarda à peine les livres et les écritoires. «Songeons au corps avant tout, se dit-il; l'esprit réclamera plus tard sa nourriture, si bon lui semble.»

      LXII

      Il fit avec Hermann plusieurs voyages à la grotte que les fées regardaient comme leur musée et qu'il appelait, lui, tout simplement le magasin. Ils y trouvèrent tout ce qu'il fallait pour faire du beurre, des fromages et de la pâtisserie. Hermann y découvrit force friandises qu'il emporta, et maître Bonus, après de nombreux essais, parvint à faire de si bons gâteaux qu'un évêque s'en fût léché les doigts. Et, dans la douce occupation de bien dormir et de bien manger, le pédagogue oublia ses jours de misère et ne chicana pas le jeune prince pour lui apprendre à lire.

      LXIII

      La reine des fées vint voir l'établissement, et comme plusieurs de ses compagnes étaient mécontentes de voir deux hommes, au lieu d'un, s'établir sur leurs domaines, elle leur dit: «Je ne sais de quoi vous vous tourmentez. Cet homme est vieux, et ne vivra que le temps nécessaire à l'enfance d'Hermann. C'est du reste un animal curieux, et le soin qu'il prend de son corps me paraît digne d'étude. Voyez donc tout ce que cet homme invente pour se conserver! Mais il manque de propreté, et je veux qu'il soit convenablement vêtu.»

      LXIV

      Elle appela maître Bonus, et lui dit: «Ta robe usée et les habits déchirés de cet enfant choquent mes regards. Occupe-toi un peu moins de pétrir des gâteaux et d'inventer des crèmes. Si tu ne sais coudre ni filer, cherche dans la grotte quelque vêtement neuf, et que je ne vous retrouve pas sous ces haillons.—Oui-da, Madame, répondit le pédagogue, cachant sa peur sous un air de galanterie; il sera fait selon votre vouloir, et si ma figure peut vous devenir agréable, je n'épargnerai rien pour cela.»

      LXV

      Mais il ne trouva point d'habits pour son sexe dans le magasin des fées, et, ne sachant que faire, il pria la vieille Milith, qui était une fée un peu idiote, ayant bu la coupe au moment où elle tombait en enfance, de l'aider à se vêtir. Milith aimait à être consultée, et comme personne ne lui faisait cet honneur, elle prit en amitié le pédagogue, et lui donna une de ses robes neuves qui était en bonne laine bise, de même que le chaperon bordé de rouge, et, ainsi habillé en femme, maître Bonus semblait être une grande fée bien laide.

      LXVI

      Alors la petite Régis, qui passait, le trouva si drôle qu'elle en rit une heure; mais, tout en riant, elle lui persuada de lui amener l'enfant, qu'elle voulait aussi habiller avec une de ses robes, et quand elle l'eut entre les mains, elle le lava, le parfuma, arrangea ses cheveux, le couronna de fleurs, lui mit un collier de perles, une ceinture d'or où elle fixa les mille plis de sa jupe rose, et le trouva si beau ainsi, qu'elle voulut le faire chanter et danser, pour admirer son ouvrage.

      LXVII

      Hermann aussi se trouvait beau, et il se plaisait dans cette robe parfumée; mais il ne savait pas obéir, et il refusa de danser, ce qui mit la petite Régis en colère. Elle lui arracha son collier, lui déchira sa robe, et, comme une fée très-fantasque qu'elle était, elle lui ébouriffa les cheveux, lui barbouilla la figure avec le jus d'une graine noire, et le laissa tout honteux, presque nu, et furieux de ne pouvoir rendre à cette folle les injures dont elle l'accablait.

      LXVIII

      Cependant maître Bonus, voyant la petite Régis en colère, s'était sauvé. Hermann, en le rejoignant, lui reprocha d'avoir fui devant une fée si menue, et de n'avoir pas plus de cœur qu'une poule. «Je serais courageux et fort que je n'aurais pu vous défendre, répondit le pédagogue. Vous voyez bien que vous n'avez pu vous défendre vous-même. Les fées, même celles qui ne sont pas plus grosses que des mouches, sont des êtres bien redoutables, et le mieux est de souffrir leurs caprices sans se révolter.

      XLIX

      »Quant à moi, qui dois être rôti à petit feu si je sors d'ici, je suis bien décidé à me prêter à toutes les fantaisies de ces dames, et si l'on m'eût ordonné de danser, j'aurais obéi et fait la cabriole par-dessus le marché.» L'enfant sentit que son pédagogue avait raison, mais il ne l'en méprisa que plus, car la raison ne conseille pas toujours les plus belles choses. Il courut trouver Zilla pour lui raconter sa mésaventure et lui montrer de quelle manière on l'avait houspillé. Zilla en rougit d'indignation et le mena devant la reine pour porter plainte contre Régis.

      LXX

      «Tu as mérité ce qui t'arrive, dit la reine à Hermann; tu soutiens si mal devant nous la dignité que ta race s'attribue, que personne ici n'y peut croire. Tu vis moins noblement qu'un animal sauvage, car celui-ci se contente de ce qu'il trouve, et vous autres, ton précepteur et toi, vous ne songez qu'à aiguiser votre appétit pour augmenter votre faim naturelle. Vous ne pensez pas plus à la nourriture de votre esprit que si vous n'étiez que bouche et ventre: vraiment vous êtes méprisables et ne m'intéressez point.»

      LXXI

      L'enfant fut mortifié, et Zilla comprit que la leçon de la reine s'adressait à elle plus qu'à l'enfant. Elle dit à Hermann que s'il voulait s'instruire, elle y mettrait tous ses soins, et, l'emmenant avec elle, elle lui choisit une tunique de blanche laine dont elle l'habilla d'une façon plus mâle que n'avait fait Régis, et puis elle lui donna un vêtement de peau pour courir dans la forêt, et de belles armes pour se préserver des animaux qui pourraient le menacer en le voyant devenu grand; mais elle lui fit jurer de ne jamais verser le sang que pour défendre sa vie.

      LXXII

      Et puis elle lui donna un livre et lui dit que quand il pourrait le lire, elle se chargerait de lui apprendre de belles choses qui le rendraient heureux. Hermann alla trouver maître Bonus, et d'un coup de pied vraiment héroïque il jeta dans le feu les gâteaux que le pédagogue était en train de pétrir. «Je ne veux plus être méprisé, lui dit-il; je ne veux plus faire un dieu de mon ventre, je veux être beau et fier de recevoir des compliments. Je t'ordonne de m'apprendre à lire; je veux savoir demain.»

      LXXIII

      Maître Bonus obéit en soupirant; mais comme le lendemain l'enfant ne savait pas encore lire, l'enfant se dépita et lui dit: «Tu ne sais pas me montrer. Peut-être ne sais-tu rien. S'il en est ainsi, reste sous ces habits de servante qui te conviennent, fais la cuisine et appelle-toi maîtresse Bona. Je reviendrai souper et coucher à ton hôtellerie, mais j'irai chercher ailleurs l'honneur de ma race et le savoir qui rend heureux.» Et il sortit avec son chien, laissant le gouverneur stupéfait de l'entendre parler ainsi.

      LXXIV