George Sand

George Sand: La Coupe; Lupo Liverani; Le Toast; Garnier; Le Contrebandier; La Rêverie à Paris


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Maître Bonus fut charmé d'avoir à moudre du blé et à faire du pain tous les jours.

      XCI

      Mais Hermann ne comprenait pas le plaisir de manger seul, et après avoir vu ce que la terre peut rendre à l'homme qui lui prête, il ne lui demanda plus rien et retourna à ce qu'elle lui donnait gratuitement. La reine lui dit: «Le torrent n'est pas toujours limpide. Depuis les derniers orages, il entraîne et déchire ses rives, et là où tu te plaisais à nager, il apporte des roches et du limon. Essaie de le diriger. Tâche d'aimer l'eau, puisque tu n'aimes plus la terre.»

      XCII

      Hermann dirigea le torrent et lui rendit sa beauté, sa voix harmonieuse, sa course légère, ses doux repos dans la petite coupe des lacs; mais un jour il le trouva trop soumis, car il n'avait plus rien à lui commander. Il abattit les écluses qu'il avait élevées et se plut à voir l'eau reprendre sa liberté et recommencer ses ravages. «Quel est ce caprice?» lui dit Zilla.—Pourquoi, lui répondit-il, serais-je le tyran de l'eau? Ne pouvant être aimé, je n'ai pas besoin d'être haï.»

      XCIII

      Zilla trouva son fils ingrat, et, pour la première fois depuis beaucoup de siècles, elle eut un mécontentement qui la rendit sérieuse. «Je veux l'oublier, dit-elle à la reine, car il me donne plus de souci qu'il ne mérite. Permets que je le fasse sortir d'ici et que je le rende à la société de ses pareils. Tu me l'avais bien dit que je m'en lasserais, et la vieille Trollia avait raison de blâmer ma protection et mes caresses.

      XCIV

      —Fais ce que tu voudras, dit la reine, mais sache que cet enfant sera malheureux à présent parmi les hommes, et que tu ne l'oublieras pas aussi vite que tu l'espères. Nous ne devons rien détruire, et pourtant tu as détruit quelque chose dans son âme.—Quoi donc? dit Zilla.—L'ignorance des biens qu'il ne peut posséder. Essaie de l'exiler, et tu verras!—Que verrai-je, puisque je veux ne plus le voir?—Tu le verras dans ton esprit, car il se fera reproche, et ce fantôme criera jour et nuit après toi.»

      XCV

      Zilla ne comprit pas ce que lui disait la reine. N'ayant jamais fait le mal, même avant d'avoir bu la coupe, elle ne redoutait pas le remords, ne sachant ce que ce pouvait être. Libre d'agir à sa guise, elle dit à Hermann: «Tu ne te plais point ici; veux-tu retourner parmi les tiens?» Mille fois Hermann avait désiré ce qu'elle lui proposait et jamais il n'avait osé le dire, craignant de paraître ingrat et d'offenser Zilla. Surpris par son offre, il doutait qu'elle fût sérieuse.

      XCVI

      «Ma volonté, répondit-il, sera la tienne.—Eh bien! dit-elle, va chercher maître Bonus, et je vous ferai sortir de nos domaines. Il fut impossible de décider maître Bonus à quitter le Val-des-Fées. Il alla se jeter aux pieds de la reine et lui dit: «Veux-tu que j'aille achever ma vie dans les supplices? Est-ce que je gêne quelqu'un ici? Je ne vis que de végétaux et de miel. Je respecte vos mystères et n'approche jamais de vos antres. Laissez-moi mourir où je suis bien.»

      XCVII

      Il lui fut accordé de rester, et le jeune Hermann, qui était devenu un homme, déclarant qu'il n'avait nul besoin de son gouverneur, partit seul avec Zilla. Quand ils durent passer l'effrayante corniche de rochers où aucun homme du dehors n'eût osé se risquer, elle voulut l'aider d'un charme pour le préserver du vertige. «Non, lui dit-il, je connais ce chemin, je l'ai suivi plus d'une fois, et j'eusse pu m'échapper depuis longtemps.—Pourquoi donc restais-tu malgré toi?» dit Zilla. Hermann ne répondit pas.

      XCVIII

      Il était fâché que la fée lui fît cette question. Elle aurait dû deviner que le respect et l'affection l'avaient seuls retenu. Zilla comprit son fier silence et commença à devenir triste du sacrifice qu'elle s'imposait; mais elle l'avait résolu, et elle continua de marcher devant lui. Quand ils furent à la limite de séparation, elle lui donna l'or qu'elle avait autrefois dérobé au héraut du duc son père et qu'elle avait offert à l'enfant comme un jouet. Il l'avait dédaigné alors, et, cette fois encore, il sourit et le prit sans plaisir.

      XCIX

      «Tu ne saurais te passer de ce gage, lui dit-elle. Ici tu n'auras le droit de rien prendre sur la terre. Il te faudra observer les conditions de l'échange.» Hermann ne comprit pas. Elle avait dédaigné de l'instruire des lois et des usages de la société humaine. Il était bien tard pour l'avertir de tout ce qui allait le menacer dans ce monde nouveau. D'ailleurs Hermann ne l'écoutait pas, il était comme ivre, car son âme était impatiente de prendre l'essor; mais son ivresse était pleine d'amertume, et il se retenait de pleurer.

      C

      En ce moment, si la fée lui eût dit: «Veux-tu revenir avec moi?» il l'eût aimée et bénie; mais elle défendait son cœur de toute faiblesse, elle avait les yeux secs et la parole froide. Hermann sentait bien qu'il n'avait encore aimé qu'une ombre, et, se faisant violence, il lui dit adieu. Quand elle eut disparu, il s'assit et pleura. Zilla, en se retournant, le vit et fut prête à le rappeler; mais ne fallait-il pas qu'elle l'oubliât, puisqu'elle ne pouvait le rendre heureux?

       Table des matières

      I

      Pourtant, lorsque Zilla rentra dans la vallée, il lui sembla que tout était changé. L'air lui semblait moins pur, les fleurs moins belles, les nuages moins brillants. Elle s'étonna de ne pas trouver l'oubli et fit beaucoup d'incantations pour l'évoquer. L'oubli ne vint pas, et la fée fit des réflexions qu'elle n'avait jamais faites. Elle cacha à ses sœurs et à la reine le déplaisir qu'elle avait; mais elle eut beau chanter aux étoiles et danser dans la rosée, elle ne retrouva pas la joie de vivre.

      II

      Des semaines et des mois se passèrent sans que son ennui fût diminué. D'abord elle avait cru qu'Hermann reviendrait; mais il ne revint pas, et elle en conçut de l'inquiétude. La reine lui dit: «Que t'importe ce qu'il est devenu? Il est peut-être mort, et tu dois désirer qu'il le soit. La mort efface le souvenir.» Zilla sentit que le mot de mort tombait sur elle comme une souffrance. Elle s'en étonna et dit à la reine: «Pourquoi ne savons-nous pas où vont les âmes après la mort?

      III

      —Zilla, répondit la reine, ne songe point à cela, nous ne le saurons jamais; les hommes ne nous l'apprendront pas. Ils ne le savent que quand ils ont quitté la vie, et nous, qui ne la quittons pas, nous ne pouvons ni deviner où ils vont, ni espérer jamais les rejoindre.—Ce monde-ci, reprit Zilla, doit-il donc durer toujours, et sommes-nous condamnées à ne jamais voir ni posséder autre chose?—Telle est la loi que nous avons acceptée, ma sœur. Nous durerons ce que durera la terre, et si elle doit périr, nous périrons avec elle.

      IV

      —O reine! les hommes doivent-ils donc lui survivre?—Leurs âmes ne périront jamais.—Alors c'est eux les vrais immortels, et nous sommes des éphémères dans l'abîme de l'éternité.—Tu l'as dit, Zilla. Nous savions cela quand nous avons bu la coupe, l'as-tu donc oublié?—J'étais jeune alors, et la gloire de vaincre la mort m'a enivrée. Depuis j'ai fait comme les autres. Le mot d'avenir ne m'a plus offert aucun sens; le présent m'a semblé être l'éternité.

      V

      —D'où te vient donc aujourd'hui, dit la reine, l'inquiétude que tu me confies et la curiosité qui te trouble?—Je ne le sais pas, répondit Zilla. Si je pouvais connaître la douleur, je te dirais qu'elle est entrée en moi.» Zilla n'eut pas plutôt prononcé cette parole que des larmes mouillèrent ses yeux purs, et la reine la regarda avec une profonde surprise; puis elle lui dit: «J'avais prévu que tu te repentirais d'avoir abandonné l'enfant; mais ton chagrin dépasse mon attente. Il faut qu'il soit arrivé malheur à Hermann, et ce malheur retombe sur toi.

      VI

      —Reine, dit la jeune