le retrouver, mais tu t’engages aussi pour monsieur Vidocq.
— Parbleu ! s’écriait Coco, puisque c’est lui qui me l’a ordonné.
— Lui !…
— Regarde ! fit Coco Lacour, en désignant la tête de Vidocq qui apparaissait à travers les oripeaux suspendus au-dessus du rideau derrière lequel il avait disparu…
Et il ajouta :
— N’est-ce pas, monsieur Vidocq, que vous m’avez fait signe d’accepter ?…
— Parfaitement ! répliquait l’évadé qui, de sa cachette improvisée, avait assisté, dissimulé derrière les guenilles, à toute la scène que nous venons de rapporter.
Lâchant la solide tringle de fer qui, faisant l’office de barre fixe, lui avait permis, grâce à un habile rétablissement, d’échapper à l’attention de l’Aristo, Vidocq sauta lestement à terre et courut vers ses amis…
Il était entièrement transformé.
Ce n’était plus l’homme épuisé, aux abois, qui, quelques instants auparavant, affalé sur un siège, ruminait dans son cerveau tout un monde de douleurs et de pensées.
La tête haute, le corps nerveux, le regard brillant d’une flamme intense, les traits empreints d’une énergie surhumaine, il émanait de lui une force, une intelligence, une puissance et même une jeunesse inouïes.
On eût dit qu’en quelques minutes, il avait rajeuni de dix années…
— Comment, s’exclamait Bibi, c’est vous, vous qui, au bagne, nous donniez de si bons conseils et nous engagiez, quand nous serions libérés, à vivre proprement, honnêtement, comme nous l’avons fait jusqu’à présent ?
« Vous qui, hier encore, nous félicitiez de notre bonne conduite et qui, aujourd’hui, acceptez un rendez-vous de l’Aristo ?
— Eh bien ! oui, c’est moi, lançait Vidocq, dont les yeux brillaient d’un singulier éclat.
— C’est pas possible ! s’exclamait Coco.
— Vous voulez nous faire une farce, opinait Bibi.
— Pas du tout camarades ! affirmait Vidocq. J’ai simplement changé d’avis.
— Si vite que ça.
— Mais oui !
— C’est pas possible !
Et Coco ajouta :
— Sûr que vous avez quelque idée de derrière la tête.
— Mais non ! ripostait Vidocq avec un étrange sourire, je veux simplement vivre la seule vie qui m’est désormais permise.
Bibi reprenait sur un ton à la fois plein de déférence et d’affection : — Vous savez bien, monsieur Vidocq, que nous vous sommes tout dévoués, qu’on a toute confiance en vous et qu’on vous suivrait jusqu’au bout du monde ?
— En ce cas, ponctua le forçat évadé, laissez-moi tranquille.
— Alors, c’est entendu, conclut Bibi, tandis que Coco, largement, remplissait son verre… On sera demain soir avec vous à La Truite qui file…
Et Vidocq, avec un sourire énigmatique, s’écria :
— Oui… on y sera et je crois, mes amis, que d’ici peu vous n’aurez pas à vous repentir d’avoir écouté mes conseils.
IV
L’ange malin
Lorsque, le 15 juin 1809, M. le baron Pasquier, préfet de police, pénétra, sur les trois heures de l’après-midi, dans son vaste cabinet de la rue Saint-Anne, il semblait de fort méchante humeur.
Jetant son portefeuille bourré de documents sur son bureau encombré de dossiers en désordre, il se laissa tomber sur son fauteuil ; puis, épongeant son front ruisselant de sueur avec un mouchoir en batiste qu’entourait une fine dentelle, il grommela d’une voix tremblante de colère : — Ah çà ! tous ces chenapans ont donc le diable au corps pour se donner ainsi rendez-vous dans ma ville !…
Et, frappant un coup sec sur un timbre en argent placé à portée de sa main, il lança au jeune secrétaire qui s’était empressé d’accourir : — Le chef de la Sûreté est-il ici ?
— Oui, monsieur le préfet.
— Faites-le entrer !
Quelques secondes après, M. Henry apparaissait. Il avait l’air tranquille d’un homme qui a conscience d’avoir fait tout son devoir.
Immédiatement, le préfet l’interpellait en ces termes :
— Cela ne peut pas durer ainsi. Je viens d’être mandé au château des Tuileries et l’Empereur ne m’a pas caché son mécontentement de ce qu’en ce moment Paris regorgeait de malfaiteurs.
« Le fait est que les attentats de toutes sortes, assassinats, vols à main armée, attaques nocturnes, fabrication de fausse monnaie, enlèvements, rapts, chantages, etc. se multiplient avec d’autant plus de cynisme qu’un grand nombre d’entre eux restent impunis.
« Il faut en finir une bonne fois pour toutes avec cette bande des Enfants du Soleil qui constitue une véritable armée du crime et qui, depuis trop longtemps, met en coupe réglée les habitants de la cité dont j’ai la garde !
« Or, sachez-le, monsieur Henry, si je suis responsable vis-à-vis de Sa Majesté de la sécurité de la capitale, vous l’êtes, et seul, vis-à-vis de moi !
« Je ne supporterai donc désormais, de votre part, aucune défaillance.
« Vous m’avez compris, n’est-ce pas ?
« Je n’insiste pas davantage.
M. Henry, un homme d’une cinquantaine d’années, de petite taille, d’assez fort embonpoint et dont le visage empreint de bonhomie et les allures pleines de rondeur semblaient révéler beaucoup plus un paisible bourgeois qu’un ardent limier, avait écouté la mercuriale de son chef avec un calme sous lequel un observateur tant soit peu perspicace n’eût point manqué de découvrir une certaine pointe d’ironie.
Puis, il répondit avec déférence, mais non sans fermeté :
— Monsieur le préfet, je ne puis que m’incliner devant le bien-fondé de votre demande.
« Mais, comme il m’est impossible de faire mieux, j’ai l’honneur de vous remettre ma démission.
Le baron Pasquier eut un sursaut.
— Votre démission ! s’écria le préfet en frappant un grand coup de poing sur la table.
— Oui, monsieur le préfet, appuya le chef de la Sûreté avec un sang-froid qui paraissait imperturbable.
— Savez-vous, reprenait rageusement Pasquier, que votre geste ressemble singulièrement à la désertion d’un soldat sur le champ de bataille ?
— N’en croyez rien, monsieur le préfet : il n’est que le résultat de mon profond découragement en face des difficultés sans cesse grandissantes qui m’incombent et de l’insuffisance des moyens qui me sont accordés.
— Que me racontez-vous là, monsieur Henry ?
— La vérité, monsieur le préfet.
Et, avec une émotion contenue qui était la meilleure garantie de sa sincérité, le chef de la Sûreté poursuivit : — Croyez que ce n’est pas sans un réel chagrin que je me vois dans la nécessité d’abandonner un poste dont je me suis toujours efforcé de me montrer digne…
— Et dans lequel, je m’empresse de le reconnaître, vous avez fait preuves de très éminentes