à moitié mort sur la banquette du chemin, le voilà seul, sans ressources, privé de tout, abandonné, malade… au bout de trois jours de liberté.
Va-t-il rentrer chez lui… implorer son pardon… reprendre son tablier de « geindre » et replonger ses bras résignés dans le pétrin ?
Ah ! que non ! Vidocq a goûté à l’indépendance… et si amère se soit-elle montrée pour lui à ses débuts, il n’y renoncera pas, il poursuivra sa destinée.
Il se fait embaucher comme valet de ferme, puis un soir dans une grange de village, il sert de compère à l’escamoteur acrobate Comus qui, frappé par son intelligence, l’engage comme paillasse.
Bientôt, las d’un rôle qu’il considère comme dégradant, il quitte la France, passe en Autriche et s’engage dans les hussards.
Mais Vidocq a le sang près de la peau, Vidocq a mauvais caractère. Il ne peut se plier à la rude discipline à laquelle il est assujetti… Il regimbe… Il est condamné à la schlague… et, plutôt que de subir une punition qu’il considère encore plus humiliante que douloureuse, il déserte, revient en France, repasse par Arras, se précipite dans les bras de sa mère qui en perd à moitié connaissance, tombe aux genoux de son père qui lui pardonne et qui, pour fêter le retour de l’enfant prodigue, à défaut de veau gras, fait mettre un poulet plus ou moins dodu à la broche.
Mais le jeune François ne peut se résigner à fabriquer du pain…
L’horizon du fournil est trop étroit pour ses espérances. Quelques jours après il part, en excédent, avec une troupe de comédiens dont l’étoile, une petite actrice coquette et sans scrupules, lui a tourné l’esprit.
Bientôt la comédienne renonce à le traîner dans ses bagages…
Alors, il s’engage dans le régiment de Bourbon.
Sa taille, sa bonne mine, son adresse aux armes lui valent l’avantage d’être immédiatement placé dans une compagnie de chasseurs.
Toujours susceptible, violent, agressif, querelleur, il s’attire une série de duels, tue deux de ses adversaires, en blesse une demi-douzaine. Et les choses vont encore mal tourner pour lui lorsque monte sur tout le territoire le cri sublime : « La patrie est en danger ! »
C’est la grande guerre de 92… L’immortelle campagne de la France dressée contre les tyrans !
Il se bat comme un lion… conquiert le grade de lieutenant et est envoyé en garnison à Lille.
Entre deux campagnes, il fait la connaissance d’une très jolie personne, Annette Chevalier, fille d’un membre du tribunal révolutionnaire de Douai.
Il en devient éperdument amoureux et obtient sa main. Alors Vidocq se transforme entièrement… Il se calme, il s’assagit, il est l’époux le plus dévoué, l’amant le plus fidèle, le plus tendre.
La naissance de deux fils ajoute encore au bonheur que lui donne celle qu’il aime et dont il a toutes les raisons de se croire aimé.
Il fait de beaux rêves, il a de grands projets… Beaucoup plus pour sa femme et pour ses enfants que pour lui-même, il veut s’illustrer dans la carrière des armes où il a fait de si brillants débuts. Il se sent une âme de chef…
Toutes ses turbulences se sont transformées en une fièvre d’ambition qui le grandit vis-à-vis de lui-même…
Stimulé par l’exemple des jeunes généraux de la République, il veut à son tour conquérir le grade qui lui donnera la fortune et la gloire.
Et lorsque le soir, près du berceau où reposent côte à côte son petit Jacques et son petit Robert qu’il s’est pris à adorer avec cet élan, cette fougue, cette passion qu’il apporte dans toutes les manifestations de sa vie, la main dans celle de sa compagne que sa double maternité a encore embellie, il se sent pénétré de son bonheur et si sûr de sa destinée qu’il ne cesse de répéter :
— Annette, que nous sommes heureux !
Vidocq, aveuglé par la joie qui le transporte, n’a pas vu s’amonceler au-dessus de son toit le plus effroyable des orages… Il n’a pas flairé la trahison qui s’est installée à son foyer. Il n’a pas remarqué chez son Annette certaines hésitations, certaines tristesses songeuses, certaines rougeurs qui auraient dû lui donner l’éveil. Il continue à la regarder, à l’admirer à travers le prisme de son immense amour.
Et pourtant, un soir, en rentrant de manœuvres, il trouve la maison vide.
Annette s’est enfuie avec ses deux enfants.
Tout d’abord, il demeure atterré ; il ne veut pas croire que cela soit possible.
Annette partie, elle qui, deux jours avant, le serrait dans ses bras… Annette partie… avec ses deux fils !
Il la cherche partout… dans la demeure, dont la coquetterie simple et la gaieté lumineuse ajoutent encore à la cruauté de sa détresse.
Il court, comme un fou, là où il espère la rencontrer… mais personne !
Cependant il n’y a pas eu entre eux la moindre querelle. Quand il l’a quittée, l’avant-veille, jamais son baiser ne lui a paru plus doux, plus sincère en dévouement et en tendresse.
Enfin, à force de harceler de questions, de prier, de menacer, la jeune fille de campagne lourdaude et craintive qui, depuis son mariage, est à son service, il apprend d’elle l’inconcevable et tragique vérité.
Annette s’est fait enlever par un jeune homme qui, depuis quelque temps, la courtisait en secret et elle a emporté ses enfants !
Un instant, Vidocq a l’impression qu’il va perdre la raison.
Mais avec un courage surhumain, il veut se ressaisir… Il y parvient.
Il interroge la servante :
— Le nom de cet homme ? clame-t-il éperdu.
— Je ne le connais pas.
— L’avez-vous vu ?
— Oui.
— Comment est-il ?
— Il a l’air d’un ci-devant aristocrate.
— Il est jeune ?
— Oui, il est jeune.
— Et beau, sans doute ?
— Oui, très beau.
— Et riche ?
— Très riche.
— Et tu ne m’as rien dit ?… Tu ne m’as pas prévenu ?
— Je n’ai pas osé.
— Ah ! stupide engeance ! Et sais-tu au moins quelle direction ils ont prise ?
— Non, je ne sais pas.
— Allons, ne me mens pas… parle, mais parle donc !
— Je ne sais pas, je vous le jure. Je ne sais pas !
Comprenant qu’il ne pourrait rien tirer de cette fille, Vidocq s’était précipité chez son colonel… type de vieux soldat sans peur et sans reproche et ne connaissant qu’une chose : la consigne.
— Mon colonel, lui dit-il, tout frémissant de douleur et de colère, ma femme vient de s’enfuir avec un amant.
« Je viens vous demander un congé…
— C’est impossible, lieutenant, répliquait l’officier. Nous partons demain pour les Flandres et j’ai l’ordre formel de présenter mon régiment au complet.
— Mon colonel, ma femme a emmené avec elle mes deux petits enfants.
— Lieutenant, je vous plains, mais je ne puis vous accorder la permission que vous me demandez. Votre honneur de militaire exige que vous restiez