se perd d’abord, pendant plusieurs jours, sur une fausse piste.
Recherché lui-même par la Prévôté, guetté par le conseil de guerre, paralysé dans ses investigations par la crainte permanente d’une arrestation suivie d’un emprisonnement de longue durée, bientôt à bout d’argent, de ressources, découragé, brisé, malade, pour la seconde fois, il s’en revient vers la maison paternelle où il reçoit un réconfortant accueil.
Mais il ne peut songer à y prolonger son séjour, sous peine d’être reconnu et pris par les gendarmes.
Il se confectionne un faux état civil. Il se fait colporteur et le voilà parti sur les routes… vers les pires aventures. Convaincu qu’à moins d’un hasard, sur lequel il ne compte guère, il ne retrouvera plus sa femme et ses enfants, redevenu le Vidocq des mauvais jours, rendu plus agressif, plus violent encore par l’infortune imméritée qu’il a subie, il fréquente les milieux les plus louches, joue, boit, fait ripaille jusqu’au jour, où, à la suite d’une rixe, il est incarcéré à la prison de la tour Saint-Pierre, à Lille.
Quelle n’est pas sa surprise de rencontrer, parmi ses codétenus, le brave épicier Le Rond, le consolateur des mauvais jours, qui a été condamné à deux ans de réclusion pour avoir vendu à faux poids de la marchandise !
Le Rond lui jure qu’il est innocent et cela suffit à Vidocq pour qu’avec une habileté inouïe il fabrique un faux ordre de mise en liberté en faveur de son ami et de lui-même.
Tous deux s’échappent…
Bientôt, traqué de toutes parts et crevant de misère, Vidocq va se faire bandit des grands chemins.
Déguisé en marchand de bestiaux, il attaque un inspecteur des finances et le met à mal sans le tuer tout à fait. S’emparant de ses vêtements et de ses papiers, il se rend chez le receveur de la ville de Compiègne, et, sous prétexte de vérifier sa comptabilité, il profite d’un moment d’inattention du brave fonctionnaire pour faire main basse sur la caisse.
Mais au moment où il va s’esquiver, le véritable inspecteur, qui est revenu à lui, apparaît avec des gendarmes. Vidocq est arrêté. Sa véritable identité est mise à jour et il est condamné à huit années de fer pour vol à main armée et complicité de faux en écritures publiques.
Envoyé au bagne, il s’évade ; mais il est repris et rivé de nouveau à son boulet.
Il ne tarde pas à s’évader de nouveau, car il n’a qu’un but : la liberté !
En effet, parmi les pires avatars de son existence mouvementée entre toutes, au milieu des promiscuités les plus dégradantes, dans le désarroi moral qui l’agite, pendant les journées interminables et suppliciantes qu’il a passées au bagne, une idée s’est ancrée en lui avec une telle insistance qu’elle a fini par décupler son intelligence en même temps qu’elle lui inspire toutes les audaces.
Vidocq ne veut pas mourir sans avoir retrouvé ses deux fils.
Rien n’a pu en lui étouffer l’instinct paternel. Il semble au contraire que ses malheurs aient surexcité ce sentiment à un tel point qu’il se sent de taille désormais à briser tous les obstacles, à dissiper tous les mystères.
Toutes les forces latentes, perdues ou mal dirigées qui sont en lui vont se concentrer désormais en un désir qui l’a empoigné et qui ne le quittera plus, levier tellement puissant, tellement formidable de la volonté qui l’anime, qu’il lui apparaît déjà destiné à lui ouvrir les portes de la rédemption pour les erreurs qu’il a commises et que, replié sur lui-même, il s’est pris à regretter amèrement.
Ses petits, dont il a toujours gardé au fond de lui l’image adorée, n’ont-ils pas préservé son cœur ulcéré de la gangrène totale ?
Aussi en a-t-il fait les douces idoles de la vie intérieure qu’il s’est constitué.
Il veut les revoir, il les reverra !
Où sont-ils ? Il n’en sait rien, mais il l’apprendra ! Tâche colossale, surhumaine, impossible !…
Qu’importe ! Il l’accomplira malgré les embûches de la police, malgré la faim, malgré la misère, en raison même de sa douleur ! Car il a la foi !… Il tombera peut-être le long des chemins, les pieds en sang, le ventre creux, les reins rompus, les nerfs à bout… Mais chaque fois il se relèvera, comme il a retrouvé ses forces pour continuer sa route et pour abattre ce chien enragé qui menaçait les deux petits enfants.
… Et, pour la première fois depuis bien des années, Vidocq dort tranquille, momentanément à l’abri du danger sous le toit de la ferme hospitalière… II rêve… à ses petits… II les voit tous deux… Ils ont onze et dix ans. Ils sont beaux. Ils s’avancent vers lui… Ils s’élancent dans ses bras… Ils le reconnaissent donc ! Oui, puisqu’ils l’embrassent et qu’ils lui disent qu’ils l’aiment… Et à son tour il les emporte… vers des cieux plus cléments… Avec eux il traverse les mers… sur un grand navire ! Toujours avec eux il aborde dans un pays splendide qui leur offre les fruits savoureux de ses arbres, les richesses aurifères de son sol.
II devient riche… très riche… II est heureux… si heureux… qu’il en a oublié la coupable, qu’il ne se rappelle plus, non pas seulement qu’elle a brisé sa vie, qu’elle l’a voué à la honte et qu’elle a failli faire de lui un scélérat, mais qu’elle a même existé !
Vidocq sourit au songe admirable… Sa poitrine allégrement se dilate… II n’y a plus en lui ni rancœur, ni fièvre, ni haine ; il éprouve une sensation de délassement, de bien-être et de joie qu’il n’a jamais connue qu’auprès du berceau de ses fils, lorsqu’il tenait dans sa main celle de l’infidèle !
Tout à coup, il s’éveille. La lumière d’une lanterne sourde éclaire son visage. Il tressaille… s’asseoit sur son séant, écarquille ses yeux… C’est la réalité qui, brutalement, le saisit à la gorge… Une voix s’élève :
— II faut vous en aller !
Jérôme Leblanc est là qui lui montre la trappe ouverte. Vidocq, sans dire un mot, descend après lui l’échelle du meunier… La Martoche est dans la salle. Elle s’avance vers le vagabond et lui tend sa besace pleine, lui glisse dans la main quelques pièces d’or empruntées au bas de laine caché au fond de la paillasse…
— Et maintenant, dit-elle, nous sommes quittes !
Vidocq la remercie du regard… Puis, sans un mot, il suit le fermier qui lui fait franchir une porte s’ouvrant sur un jardinet au bout duquel il y a une barrière qui donne sur la campagne.
Le ciel s’est chargé de gros nuages orageux.
Toujours sans rien dire, Jérôme écarte la barrière et, désignant au vagabond la masse sombre de la forêt qui se profile à quelque cent mètres de là, il fait un geste, comme pour lui conseiller sa route.
Tous deux se séparent sans avoir prononcé une parole. Le fermier rentre dans sa maison et Vidocq s’enfonce dans la nuit.
III
Coco Lacour et Bibi la Grillade
C’était une étrange boutique que celle qui prenait jour au numéro 17 de la rue de la Harpe, en plein quartier Latin et dont l’enseigne, ironiquement pompeuse — Au Panthéon des Élégances ! — eût déjà suffi à capter l’attention des passants.
En effet, il suffisait de jeter un rapide coup d’œil sur la devanture pour constater que jamais peut-être aucune collection de loques plus disparates n’avait été offerte, même au carreau du Temple, à la curiosité des badauds.
On y voyait suspendus, serrés les uns contre les autres, se rapprochant avec cette familiarité qu’ont de tout temps provoquée de communs malheurs, des robes à paniers qui, jadis, aux bals de Versailles, avaient rehaussé la