León Tolstoi

Résurrection (Roman)


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amitiés, — dit le président à Nekhludov en prenant congé de lui. — Et si je puis vous servir en quoi que ce soit: maison Dvornikov, rue Dvorianskaïa; c’est aisé à retenir!

      Et il s’éloigna, après avoir, une dernière fois, salué Nekhludov d’un léger signe de tête.

      VII

      L’entretien avec le président du tribunal, et aussi l’air frais du dehors, avaient un peu calmé Nekhludov. Il se dit que l’émotion extraordinaire qu’il venait d’éprouver tenait surtout à sa fatigue, et que les circonstances anormales où il s’était trouvé depuis le matin avaient dû contribuer encore à l’exagérer. «Mais, tout de même, songea-t-il, quelle stupéfiante et incroyable rencontre! Il faut absolument que je fasse tout mon possible pour adoucir le sort de cette malheureuse, et cela au plus vite! Et dès maintenant, pendant que je suis ici, je vais en profiter pour demander l’adresse de Faïnitzin ou de Mikinin.» C’étaient deux avocats célèbres, dont le nom lui était revenu en mémoire.

      Retournant sur ses pas, il rentra au Palais de Justice, ôta de nouveau son pardessus, et monta l’escalier. Dans l’entrée même du corridor, il rencontra Faïnitzin. Il l’aborda, lui dit qu’il avait à s’entretenir avec lui. L’avocat, qui le connaissait de vue et savait son nom, s’empressa de lui répondre qu’il serait trop heureux de pouvoir lui être agréable.

      — Je suis malheureusement un peu fatigué, et j’ai encore à faire; mais vous pouvez toujours m’expliquer, en deux mots, de quoi il s’agit. Voulez-vous que nous entrions ici, pour un instant?

      Et il fit entrer Nekhludov dans une petite pièce qui se trouvait ouverte, sans doute le cabinet de quelque employé du tribunal. Tous deux s’assirent près de la table.

      — Eh bien! De quoi s’agit-il?

      — Je vous demanderai avant tout, — dit Nekhludov, — de faire en sorte que personne ne sache la part que je prends dans l’affaire dont j’ai à vous parler.

      — Mais certainement, cela va de soi. Et alors?…

      — J’ai été juré, aujourd’hui, et nous avons condamné une femme aux travaux forcés. Or cette femme n’est pas coupable! Cela me tourmente.

      Malgré lui, Nekhludov rougit et se troubla. Faïnitzin le dévisagea d’un coup d’œil rapide; après quoi il baissa de nouveau les yeux, et se remit à considérer le tapis vert de la table.

      — Et alors? — demanda-t-il.

      — Nous avons condamné une innocente. Et je voudrais faire casser le jugement et transporter l’affaire devant une juridiction supérieure.

      — Devant le Sénat, — précisa l’avocat.

      — Et je suis venu vous demander de prendre cette affaire en main.

      Nekhludov avait hâte de régler un point qui lui était particulièrement pénible à toucher; de sorte qu’il ajouta aussitôt, sans reprendre haleine:

      — Vos honoraires, et tous les frais que l’affaire pourra occasionner, si élevés qu’ils soient, je me charge de tout cela, bien entendu.

      Et, pour la seconde fois, il se sentit rougir.

      — Oui, oui, nous nous arrangerons toujours! — répondit l’avocat en souriant complaisamment de l’inexpérience de son aristocratique client.

      Nekhludov lui raconta brièvement l’affaire.

      — Voilà! Et maintenant je voudrais savoir ce qu’il y a à faire, — conclut-il.

      — Parfait! Dès demain je vais demander le dossier, et me mettre en état de vous renseigner. Voyons! Après-demain… Non, mettons plutôt jeudi… Donc, jeudi, vers six heures du soir, si vous voulez bien venir chez moi, je vous donnerai une réponse. Convenu, n’est-ce pas? Ainsi, à jeudi. Je vous prie de m’excuser, mais j’ai encore diverses choses à faire au Palais avant de rentrer.

      Nekhludov prit congé de l’avocat et sortit du Palais de Justice.

      Ce nouvel entretien l’avait calmé plus encore que le précédent; il était tout heureux à la pensée d’avoir déjà commencé des démarches en faveur de la Maslova. Il jouissait du beau temps, il respirait avec délice le souffle de l’air printanier. Des cochers de fiacre, s’arrêtant devant lui, lui offraient leurs services: mais il était trop heureux de pouvoir marcher. Et aussitôt se mit à bourdonner en lui tout un essaim de pensées et de souvenirs sur Katucha, et sur la façon dont il s’était conduit envers elle. «Non, non, se dit-il, à tout cela je penserai plus tard; maintenant je dois, avant tout, me distraire des pénibles impressions que je viens de traverser!»

      Il se rappela alors le dîner des Korchaguine et regarda sa montre. Le dîner ne devait pas être encore fini. Nekhludov courut vers une station de fiacres qu’il savait tout proche, examina les chevaux, choisit la meilleure voiture, et, dix minutes après, il se trouva devant le perron de la vaste et élégante maison des Korchaguine.

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