bien ? dit Reed, luttant pour ne pas laisser paraître de tremblement dans sa voix.
Hode émit un petit son étouffé et un mince filet de sang se mit à couler de sa bouche. Il fit un pas en avant, les yeux cherchant quelque chose, puis toussa violemment, éclaboussant le visage et les cheveux de Reed de gouttelettes cramoisies et de restes de ragoût. Reed recula avec un cri de dégoût, s'éloignant de Hode jusqu'à ce que son dos heurte le parapet du mur et qu'il ne puisse plus reculer.
Hode était tombé à genoux, luttant pour respirer alors qu'il se noyait dans son propre sang. Et Reed vit ce qui s'était caché derrière son compagnon de garde, une ombre voûtée qui prenait forme.
La créature était petite, pas plus d'un mètre cinquante, et couverte d'une peau gris foncé, ridée et glabre. Elle avait de grands yeux jaunes bulbeux dans un visage cadavérique, les pommettes et la mâchoire proéminentes. Ses bras longs et maigres se terminaient par trois doigts griffus, dont l'un, plus court et plus large que les autres, était vicieusement crochu comme une faucille. Elle était nue, à part un petit morceau de cuir moisi attaché autour de l’aine.
Reed croisa le regard de la créature et pensa pouvoir y discerner une sombre intelligence, une malice bouillonnante enfouie au plus profond de son être.
La créature inclina la tête et offrit à Reed un large sourire, révélant des dizaines de dents triangulaires sales et pointues. Elle s’approcha de Hode et, sans quitter Reed des yeux, fit glisser une de ses griffes de la longueur d'une dague sur la gorge de l'homme mourant. Du sang frais giclait de la blessure. Hode bascula en avant avec un gargouillis étouffé. Ses jambes s’agitèrent brièvement une dernière fois, puis s’immobilisèrent.
La chose approcha une griffe humide de sa gueule et une affreuse langue noire surgit d'entre ses lèvres sèches pour la lécher.
En voyant la créature goûter le sang de son ami, quelque chose craqua en Reed. Un cri de colère explosa de ses poumons. Se soulevant à l'aide de sa lance, il attaqua, frappant l'apparition à la peau grise avec une force née du désespoir.
La créature poussa un cri de surprise et esquiva en bondissant vers l’arrière, évitant un coup dans la poitrine mais prenant la lame à hauteur du nombril, entaillant un lambeau assez profond pour faire couler le sang. Reed pivota et envoya la crosse de sa lance vers l'avant, frappant la tête de la chose juste derrière l'oreille avec un bruit sourd qui résonna sur les parois de la Fosse.
De l’ichor noir suinta du crâne de la créature qui cria de douleur et de colère. Étourdie, elle recula, trébuchant sur le corps sans vie de Hode et atterrissant lourdement sur les remparts en pierre. Reed la poursuivit, la poignardant avec sa lance de toutes ses forces. Le bout aiguisé transperça la poitrine de la chose et, avec un dernier cri strident, la vie disparut de ses yeux.
Reed tituba jusqu'au parapet et lutta avec les sangles de son masque, son estomac se serrant de manière incontrôlée. Il réussit à desserrer les sangles juste à temps, se retournant pour vomir violemment par-dessus le mur et dans la Fosse. Il entendit un bruit de cavalcade : Kellen et les autres qui le rattrapaient. En levant les yeux vers eux, des mots de colère se formèrent sur ses lèvres.
— Où diable étiez-vous ? cria-t-il. Hode, mon ami, un homme que je connaissais depuis dix ans, est mort ! Tué par cette... monstruosité à la peau grise et vous êtes restés là comme des idiots à rien faire !
Il s'arrêta pour reprendre son souffle et regarda à nouveau les soldats qui se tenaient devant lui. Trois jeunes hommes maigres, inexpérimentés et effrayés, à peine assez âgés pour manier une lance, et encore moins pour s'en servir au combat. Ils étaient bouche-bée, les yeux baissés, leurs armes pendant mollement dans des mains tremblantes.
Reed expira lentement. De quelle honte pourrait-il les affliger qu'ils ne ressentissent pas déjà eux-mêmes ? C'est de courage dont ils avaient besoin maintenant, de courage et d'espoir, assez pour leur permettre de passer la nuit en vie. Il sentit sa colère se dissiper, pour être remplacée par un sentiment d'effroi. Ils ne devaient pas rester là.
— Je suis désolé, dit-il doucement. Excusez-moi, je ne suis pas moi-même.
Il se retourna et étudia le chemin devant lui. Ils étaient proches des tours maintenant, pas plus de quelques minutes de marche.
— Vous venez de voir des choses terribles. Des choses difficiles à comprendre. Nous reviendrons pour nos camarades tombés au combat et nous découvrirons ce qui se passe ici, mais pour l'instant, nous devons continuer à avancer, nous devons arriver à la caserne. Une fois que nous y serons, il...
Il fut interrompu par un cri fendant l'air nocturne, tout près, quelque part dans l'obscurité, sur le chemin qu'ils venaient d’emprunter. Un cri répondant au premier vint de l’avant, résonnant dans la Fosse.
Ils étaient encerclés.
Chapitre 2
LA DEUXIÈME LOI
“Honnêtement, je n'ai vraiment aucune idée de ce contre quoi nous protégeons le mur, mais est-ce important ? On nous a confié une tâche, et nous la mènerons à bien. Ce n'est pas à nous d’en discuter la raison.”
Orleus Yusifel, Capitaine de la Vieille Garde, 424 AD
*
PAR ICI ! cria Reed et, sans vérifier si les autres suivaient, s’élança vers les brasiers. Une main aux longues griffes apparut au-dessus des créneaux sur sa gauche et il la frappa au vol avec sa lance, envoyant la créature dégringoler dans la Fosse.
Il entendit un cri de douleur et risqua un coup d'œil derrière lui. Une des créatures avait atteint le mur et avait sauté du parapet sur le dos de Taches de rousseur, l'envoyant s'écraser au sol. D'autres créatures grimpèrent à leur tour sur les remparts et se jetèrent sur l'infortuné jeune homme, leurs griffes traversant sa cape et s'enfonçant dans son dos. Ses cris furent bientôt étouffés par les hurlements inhumains de ses assaillants qui le mettaient en pièces.
Il n'y avait rien d'autre à faire que de courir, chaque pas les rapprochant de leur salut. Les remparts commençaient à s'élargir à mesure qu’ils avançaient, l'épaisse fumée des feux emplissant l'air et obscurcissant le chemin. Reed pouvait entendre le faible cliquetis des griffes sur l’acier. Avec un ultime effort, il bondit à travers les derniers mètres de fumée et de suie pour arriver à sa destination, et ce qui restait de la garde de réserve.
Les remparts débouchaient sur une petite place, assez large pour que vingt hommes puissent se tenir côte à côte. L'avant de la place était bordé de part et d'autre par des tours de signalisation rondes et trapues, dont les brasiers étaient allumés. À l'extrémité opposée, se trouvait une modeste guérite à deux étages supportant une herse en fer protégeant l'entrée d'une volée de marches en pierre. C'était la seule voie d'accès à la partie est du mur.
D’épaisses dalles de granit descendaient en zigzag des remparts vers la caserne et les dépendances en contrebas. La guérite était le dernier obstacle, bloquant l'accès aux grandes plaines et aux villages éparpillés au-delà du mur, et c'est là que la garde de réserve livrait son dernier combat.
Les cadavres des deux camps s’étalaient sur la place, le sang cramoisi et l'ichor noir éclaboussant la pierre froide. Une douzaine de corps regroupés près de la tour la plus éloignée portaient des marques de griffes le long du dos et des jambes ; il s'agissait probablement de gardes qui patrouillaient le long du mur et qui, comme Reed, avaient essayé de retourner à la caserne avant d'être attaqués par-derrière par les créatures de la Fosse.
Une coulée sanglante parsemée de capes déchirées et de lances brisées menait de la tour à la guérite à l’autre bout de la place. D'autres corps jonchaient le sol devant la herse, des hommes de la Vieille Garde, mais aussi une bonne demi-douzaine d'ennemis : c'est ici que les soldats en fuite s'étaient retournés pour