Alex Robins

Le Coeur Brisé D'Arelium


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des coups plus serrés. D'autres créatures lui sautaient sur les bras et le dos, le tirant vers l'avant et, pendant une interminable seconde, il tomba à genoux avant de les refouler avec un rugissement.

      Soudain, une clameur surnaturelle s’éleva de la Fosse, un hurlement pandémoniaque de colère et de mauvaiseté, décuplé par l'acoustique du gouffre. L’écho frappa Reed comme une vague de douleur physique, le faisant hurler et se boucher les oreilles. Un rapide coup d'œil sur le côté lui apprit que Yusifel faisait de même.

      Le son eut un effet immédiat sur les créatures restantes qui répondirent par des cris et des hurlements, s'éloignant d'Aldarin et détalant au-delà des remparts vers la Fosse.

      Aldarin se tenait debout, appuyé sur sa hache et grimaçant, mais il ne fit aucun mouvement pour les poursuivre. Avec un petit haussement d'épaules, il essuya les lames de son arme pour nettoyer le sang noir et les débris de chairs collés aux extrémités, puis il la rengaina soigneusement dans son dos, enfilant le manche dans les trois anneaux métalliques régulièrement espacés de l'épaule à la hanche.

      Il se retourna et lança un sourire aux gardes, ses dents blanches tranchant sur l'obscurité de son casque.

      — Louons les Douze ! dit-il avec révérence. Car Justice a été rendue aujourd'hui !

      — En effet ! répondit Yusifel en lui rendant son sourire. Que voulez-vous que nous fassions maintenant, Sire Chevalier ?

      — Vous pouvez m’appelez Aldarin. Je crains que l'ennemi n'abandonne pas pour autant ; ce n'est peut-être qu'un court sursis. Le soleil se lève, et les Greylings sont plus faibles en journée ; après tant d'années dans l'obscurité, la lumière de notre soleil heurte leurs yeux et brûle leur peau sèche. Ils ne s'aventureront pas dehors à nouveau aujourd'hui.

      Reed vit que le chevalier avait raison, une légère teinte bleutée pointait à l'horizon. L'aube ne devait pas être loin. Que les Douze soient remerciés.

      — Le temple a bien fait de m'envoyer ici, poursuit Aldarin, car il semble que leurs craintes soient fondées – les Greylings ont rompu le Pacte des Douze et ont refait surface.

      — Les Greylings ? demanda Reed. Il n'avait jamais entendu ce nom auparavant.

      — C'est exact, répondit Aldarin. Car c'est le nom qui a été donné à ces créatures il y a des centaines d'années. Vous devez avoir des questions, mais nous ne pouvons pas nous attarder ici, je dois retourner rapidement à Arelium. Je suggère que nous descendions du mur et allions aux écuries.

      Il souleva à nouveau la herse, ses bras et ses jambes musclés se mesurant au lourd métal. Les deux gardes survivants traversèrent la guérite et descendirent la centaine de marches sinueuses menant aux casernes, une longue et étroite structure de pierre construite contre la base du mur.

      En s'approchant, ils purent constater que, même si l'épaisse porte de bois était toujours fermée et intacte, de gros trous avaient été percés dans le chaume. Reed entra dans le bâtiment avec prudence, ses yeux scrutant la pièce. Elle était inoccupée mais tout ce qui aurait été utile avait été volé ou détruit.

      Le râtelier à armes était vide, tandis que les nombreuses tables et chaises étaient réduites en miettes contre le mur. Un gros tas de linge trempé d'urine se trouvait dans un coin, et dans un autre les petits lits de camp militaire en toile étaient déchirés et brisés. Une bannière rectangulaire représentant le rouge et l'or de la Vieille Garde avait été lacérée en son milieu par deux larges griffures, coupant le soleil cramoisi en deux comme une orange fendue. Les volets en bois arrachés de leurs gonds laissaient rentrer la douce lumière de l'aube par les fenêtres ouvertes, baignant la pièce d'une lueur tamisée.

      — Qu'ils brûlent dans la Fosse ! jura Yusifel. Il entra dans la pièce en traînant les pieds, redressa une des chaises rescapées et s'assit lourdement.

      Le vieux capitaine avait commencé à boiter depuis qu'il avait atteint le bas des escaliers.

      La grande silhouette d'Aldarin apparut dans l'embrasure de la porte, fronçant les sourcils devant l'intérieur saccagé.

      — Nous ne trouverons rien ici, dit-il, et se dirigea vers le seul autre bâtiment de la cour, une longue structure en bois abritant les écuries, les cuisines, le lavoir et la forge.

      Reed appuya sa lance contre la porte et tendit machinalement la main pour détacher son masque avant de réaliser qu'il ne le portait plus.

      Il se souvenait qu'on leur avait répété à maintes reprises pendant l'entraînement de toujours porter des masques en patrouille pour se protéger des fumées nocives de la Fosse. Il émit un petit rire. Rien de tout cela ne semblait avoir de l’importance maintenant. La Fosse était devenue bien plus dangereuse que cela.

      — Pourquoi ris-tu, mon garçon ? dit Yusifel d'un ton las. Il avait enlevé son plastron de cuir huilé et sondait d'un doigt crasseux une longue entaille sous sa côte inférieure gauche.

      Reed trouva une autre chaise cabossée et s'y laissa tomber.

      — Je pense à l'absurdité de la situation, Monsieur, répondit-il.

      — Oui, tu as raison, mon garçon. Yusifel tapota les poches de son pantalon et en sortit une pochette à tabac éraflée et des allumettes, miraculeusement encore intactes.

      Il craqua une allumette sur le talon de sa botte et, peu après, une douce fumée odorante se répandit dans la caserne, masquant la puanteur aigre de l'urine et des excréments.

      — Que s'est-il passé ? questionna Reed. Ils sont sortis de nulle part ! Pourquoi maintenant ?

      — Je ne sais pas quoi te dire, répondit Yusifel.

      — Il y a deux jours environ, ce grand chevalier est arrivé ici, son cheval couvert de sueur. Il est entré dans mes quartiers en demandant des nouvelles de la Fosse, s'il se passait quelque chose d'étrange... J’ai été un peu choqué, pour être honnête. Je me souviens que ma mère me parlait des défilés organisés à Arelium pour les Chevaliers des Douze quand elle était jeune fille, mais on ne les avait pas vus par ici depuis cinquante ans, et puis celui-là est apparu.

      Il fit une pause et inhala une bouffée de fumée.

      — Je lui ai dit qu’il n’y avait rien à signaler, et ça n'a pas eu l'air de lui plaire. Il a marmonné quelque chose à propos d'un mauvais pressentiment et « qu'elle ne s'était jamais trompée auparavant », aucune idée de qui il parlait. Il a fini par me dire qu'il allait rester quelques jours. Il a dormi dans les écuries, il a parlé avec les patrouilles qui descendaient du mur, il y est même monté lui-même une ou deux fois, mais il restait discret la plupart du temps. Puis la nuit dernière, le vieux Kohl m'a réveillé en criant « Les feux sont allumés, les feux sont allumés ! » On a fait sortir les gars, on les a équipés, on s'est dirigé vers le mur et on a fait ce qu'on a pu, mais c'était trop tard, beaucoup trop tard.

      Son regard était devenu hagard.

      — Je les ai tous perdus... tous. Ils étaient sous ma responsabilité et j'ai échoué.

      Yusifel toussa sèchement et fixa silencieusement ses bottes. Un silence inconfortable envahit la pièce. Reed ne savait pas quoi dire. Il observa le capitaine assit en face de lui. L’imposant recruteur braillard qui l'avait convaincu de s'engager dans la Garde avait disparu, remplacé par un vieil homme, accablé et dépenaillé, courbé sur sa cigarette. Reed ouvrit la bouche pour parler, mais fut interrompu par une voix forte venant de l'extérieur.

      — Compagnons de garde ! La voix profonde d'Aldarin résonnait dans la cour. Je suis dans une situation fort désespérée ! Les Greylings ont souillé les cuisines et je crains que mon cheval ne soit mort. Je ne peux pas atteindre Arelium sans transport ni provisions. J'implore votre aide.

      Reed jeta un coup d'œil à Yusifel, mais le vieil homme se contenta de hausser les épaules et de faire un signe de tête en direction de la porte. Reed se leva avec un soupir et sortit dans la cour, qui n'était rien de plus qu'un