sortir, je vous en prie: il me fait pitité.
Il n’est pas encore mouillé jusqu’au fond des poils; arrose-le, au lieu de le plaindre.
Mais pourquoi lui faites-vous prendre ce bain[87], monsieur? Il était très propre.
C’est pour faire mourir ses puces[88]: il en est rempli.
L’eau fait mourir les puces, mon oncle?
L’eau mêlée de poudre d’aloès les tue tout de suite.
Ah! que c’est drôle! Je ne savais pas cela.
Et faut-il beaucoup de poudre, mon oncle?
Non; un petit paquet de 5 grammes dans chaque litre d’eau.
Quand je serai grand, je ferai laver mes chevaux[89] dans l’eau d’aloès.»
Tout le monde se mit à rire.
Les chevaux n’ont jamais de puces, nigaud.
Mais s’ils n’ont pas de puces, ils ont des mouches qui les piquent, et je pense que l’aloès peut tuer les mouches comme il tue les puces.
Je ne peux pas te le dire, je n’ai jamais essayé. Tu penses bien qu’il ne serait pas facile d’avoir un baquet assez grand pour baigner un cheval; et, quand même on l’aurait, les mouches se sauveraient et n’auraient pas la bêtise de se faire noyer[90] quand elles peuvent s’envoler.
Et puis, comment le ferait-on entrer dans le baquet?
Ce ne serait pas moi qui m’en chargerais, toujours.»
Pendant cette conversation, Milord avait fini son bain.
On était en train de l’essuyer. Puis on le laissa se sécher plus complètement au soleil; on vida l’eau du baquet, et tout le monde sortit en fermant la porte de la buanderie. On ne pensa plus à Milord; les enfants voulurent reprendre Biribi pour continuer leur jeu, mais Biribi avait profité de sa liberté pour s’en aller; on l’appela, on le chercha, et, ne le trouvant pas, on s’en passa.
Le lendemain, le garde vint dire à Mme de Fleurville que Biribi ne se retrouvait pas.
Oh! le pauvre Biribi! où peut-il être?
Il est probablement allé visiter quelques amis[91] dans les environs. Il faudra que vous alliez le chercher, Nicaise.
Oui, madame; mais j’ai déjà fait un tour ce matin, et personne ne l’avait vu.
Ma tante, si vous permettez, nous irons après déjeuner au Val, à la Clémandière, à la Fourlière, à Bois-Thorel, au Sapin, dans tous les viiages enfin où nous pourrions le trouver.
Certainement, allez-y, mes enfants! Nicaise vous accompagnera; mais il faut demander la permission à vos papas et à vos mamans, pour qu’ils ne s’inquiètent pas de votre absence.
Il faudra emporter des provisions pour le goûter.
C’est inutile; nous demanderons à manger à Mme Harel, au débit de tabac[92], ou bien à M. le curé.
D’ailleurs, partout où nous serons, on nous donnera du pain et du cidre.
Ce sera bien amusant; nous causerons partout un petit peu, et nous nous reposerons.
Il faudra partir tout de suite après déjeuner.
Oui, mais demandons d’abord la permission.»
Tous les enfants, excepté Camille, Madeleine et Sophie, qui avaient déjà leur permission, allèrent trouver leurs parents, et obtinrent sans peine leur consentement pour cette longue excursion.
«Papa, dit Jacques à l’oreille de M. de Traypi, venez avec nous: ce sera bien plus amusant.
– Pour toi, mon bon Jacques, répondit M. de Traypi en l’embrassant, mais pas pour les autres, que je gênerais un peu.
Oh! papa, vous êtes si bon! vous ne pouvez gêner personne.
Impossible, mon cher petit; je dois aller avec ton oncle de Rugès faire une visite à trois lieues d’ici.»
Jacques ne répondit pas et s’en alla en soupirant. C’est que Jacques aimait beaucoup son papa, qui était bon et bien complaisant pour lui. Pourtant il ne le gâtait pas. Quand Jacques avait eu des colères dans sa petite enfance, son papa le mettait dans un coin et le laissait crier, après lui avoir donné deux ou trois petites tapes. Quand Jacques avait été impoli avec un domestique ou maussade avec camarade, son papa l’obligeait à demander pardon. Quand Jacques avait été gourmand, il était privé toute la journée de sucreries, de gâteaux et de fruits. Quand Jacques avait désobéi, il était renvoyé dans sa chambre, et son papa ni sa maman ne l’embrassaient jusqu’à ce qu’il eût demandé pardon[93]. De cette manière, Jacques était devenu un charmant petit garçon: toujours gai, parce qu’il n’était jamais grondé ni puni; toujours aimable, parce qu’on l’avait habitué à penser au plaisir des autres et à sacrifier le sien. Il aimait son papa et il aurait voulu toujours être avec lui, mais M. de Traypi avait des occupations qui ne lui permettaient pas de toujours avoir Jacques près de lui; et Jacques, habitué à obéir, s’en alla cette fois encore sans humeur ni tristesse. Il rejoignit ses cousins, cousines et amies, et tous attendirent avec impatience le moment du départ.
Pourtant, avant de se mettre en route, les enfants demandèrent encore des nouvelles du pauvre Biribi; personne ne l’avait vu. Ils partirent, accompagnés du garde Nicaise, pour Val, petit hameau à un quart de lieue du château. Ils entrèrent chez une femme Relmot; mais ils n’y trouvèrent que le frère, qui était à moitié idiot, et qui répondait par un oui ou un non glapissant à toutes les questions qu’on lui adressait.
Relmot, as-tu vu notre chien Biribi?
Oui.
Quand cela? aujourd’hui?
Non.
Où allait-il?»
Pas de réponse; Relmot rit d’un air bête.
Quand l’as-tu vu?»
Pas de réponse; Relmot tourne ses pouces.
Mais réponds donc! Sais-tu où il est?
Non.
Laissez ce pauvre garçon tranquille, Léon; allons chez les Bernard.
Les Bernard! je n’aime pas ces gens-là.
Pourquoi?
Parce que je ne les crois pas honnêtes.
Oh! Jean, tu dis cela sans aucune preuve.
Hé, hé! Je les ai vus, il y a deux ans et il y a peu de jours encore, couper des têtes de sapin pour en faire des quenouilles[94].
Ce