София де Сегюр

Les vacances / Каникулы. Книга для чтения на французском языке


Скачать книгу

et Léon dut marcher avec eux.

      Bientôt après, la cloche du déjeuner se fit entendre[23]; les enfants laissèrent leur ouvrage et montèrent pour se laver les mains, donner un coup de peigne à leurs cheveux et un coup de brosse à leurs habits.

      On se mit à table: M. de Traypi demanda des nouvelles des cabanes.

      «Marchent-elles bien, vos constructions? Êtes-vous bien avancés, vous autres grands garçons? Quant à mon pauvre Jacquot, je présume qu’il en est encore au premier piquet. Hé, Léon?

LÉON, d’un air de dépit

      Mais, non, mon oncle; nous ne sommes pas très avancés; nous commençons seulement à placer les quatre piquets des coins.

M. DE TRAYPI

      Et Jacques, hé, où en est-il?

LÉON, de même

      Je ne sais pas comment il a fait, mais il a déjà commencé comme nous.

MARGUERITE

      Dis donc aussi qu’il est bien plus avancé que vous autres, grands et forts, puisqu’il cloue déjà les planches des murs.

M. DE TRAYPI

      Ha! ha! Jacques n’est donc pas si mauvais ouvrier que tu craignais hier, Léon?»

      Léon ne répondit rien et rougit. Tout le monde se mit à rire; Jacques, qui était à côté de son père, lui prit la main et la baisa furtivement. On parla d’autres choses; de bons gâteaux avec du chocolat mousseux mirent la joie dans tous les cœurs et dans tous les estomacs. Après le déjeuner, les enfants voulurent mener leurs parents dans leur jardin pour voir l’emplacement et le commencement des maisonnettes, mais les parents déclarèrent tous qu’ils ne les verraient que terminées; ils firent alors ensemble une petite promenade dans le bois, pendant laquelle Léon arrangea une partie de pêche.

      «Jean et moi, dit-il, nous allons préparer les lignes et les hameçons[24]; en attendant, allez, je vous prie, mes chères cousines, demander des vers au jardinier; vous les ferez mettre dans un petit pot pour qu’ils ne s’echappent pas.»

      Camille et Madeleine coururent au jardin, où leurs cousins ne tardèrent pas à les rejoindre[25]; en quelques minutes le jardinier leur remplit un petit pot avec des vers superbes, et ils allèrent à la pièce d’eau, où ils trouvèrent Jacques, Marguerite et Sophie, qui avaient préparé un seau pour y mettre les poissons et du pain pour les attirer.

      La pêche fut bonne; vingt et un poissons passèrent de la pièce d’eau dans le seau qui était leur prison de passage; ils ne devaient en sortir que pour périr par le fer et par le feu de la cuisine. La pêche était déjà bien en train, et l’on ne s’était pas encore aperçu que Jacques s’était esquivé. Madeleine fut la première qui remarqua son absence,mais elle ajouta:

      «Il est probablement rentré pour arranger ses papillons.

      – Les papillons qu’il n’a pas pris», dit Marguerite en riant, à l’oreille de Sophie.

      Sophie lui répondit par un signe d’intelligence et un sourire.

      «Qu’est-ce qu’il y a donc? dit Léon d’un air soupçonneux. Je ne sais pas ce qu’elles complotent, mais elles ont depuis ce matin, ainsi que Jacques, un air riant, mystérieux, narquois, qui n’annonce rien de bon.

MARGUERITE, riant

      Pour vous ou pour nous?

LÉON

      Pour tous; car, si vous nous jouez des tours[26] à Jean et à moi, nous vous en jouerons aussi.

JEAN

      Oh! ne me craignez pas, mes chères amies: jouez-moi tous les tours que vous voudrez, je ne vous les rendrai jamais.

MARGUERITE

      Que tu es bon, toi, Jean! Marguerite en allant à lui et lui serrant les mains. Ne crains rien, nous ne te jouerons jamais de méchants tours.

SOPHIE

      Et nous sommes bien sûres que vous nous permettrez des tours innocents.

JEAN, riant

      Ah! il y en a donc en train? Je m’en doutais[27]. Je vous préviens que je ferai mon possible pour les déjouer[28].

MARGUERITE

      Impossible, impossible; tu ne pourras jamais.

JEAN

      C’est ce que nous verrons.

LÉON

      Voilà près de deux heures que nous pêchons, nous avons plus de vingt poissons; je pense que c’est assez pour aujourd’hui. Qu’en dites-vous, mes cousines?

CAMILLE

      Léon a raison; retournons à nos cabanes, qui ne sont pas trop avancées; tâchons de rattraper Jacques, qui est le plus petit et qui a bien plus travaillé que nous.

JEAN

      C’est précisément ce que je ne peux comprendre, Sophie, toi qui travailles avec lui, dis-moi donc comment il se fait[29] que vous ayez fait l’ouvrage de deux hommes, tandis que nous avons à peine[30] enfoncé les piquets de notre maison.

SOPHIE, embarrassée

      Mais…, je ne sais,… je ne peux pas savoir.

MARGUERITE, vivement

      C’est tout bonnement parce que nous sommes très bons ouvriers, très actifs, que nous ne perdons pas une minute, que nous travaillons comme des nègres.

MADELEINE

      Savez-vous, mes amis, ce que nous faisons, nous autres? Nous ne faisons rien et nous perdons notre temps. Je suis sûre que Jacques est à l’ouvrage pendant que nous nous demandons comment il a fait pour tant avancer.

      – Alons voir, allons voir, s’écrièrent tous les enfants, à l’exception de Marguerite et de Sophie.

      – Il faut d’abord ranger nos lignes et nos hameçons, dit Sophie en les retenant.

      – Et porter nos poissons à la cuisine dit Marguerite.

LÉON, d’un air moqueur et contrefaisant la voix de Marguerite

      Et puis les faire cuire nous-mêmes, pour donner à Jacques le temps de finir.

JEAN, riant

      Attendez, je vais voir où il est.»

      Et il voulut partir en courant, mais Sophie et Marguerite se jetèrent sur lui pour l’arrêter. Jean se débattait doucement en riant; Camille et Madeleine accoururent pour lui venir en aide. Marguerite se jeta à terre et saisit une des jambes de Jean.

      «Arrête-le, arrête-le; prends lui l’autre jambe», cria-t-elle à Sophie. Mais Camille et Madeleine se précipitèrent sur Sophie, qui riait si fort qu’elle n’eut pas la force de les repousser. Marguerite, tout en riant aussi, s’était accrochée aux pieds de Jean, qui lui aussi, riait tellement qu’il tomba le nez sur l’herbe. Sa chute ne fit qu’augmenter la gaieté générale; Jean riait aux éclats, étendu tout de son long sur l’herbe; Marguerite, tombée de son côté, riait le nez sur la semelle de Jean. Leur ridicule attitude faisait rire aux larmes Sophie, maintenue par Camille et Madeleine, qui se roulaient à force de rire. L’air brave de Léon redoubla leur gaieté. Il se tenait debout auprès des poissons et demandait de temps en temps d’un air mécontent: «Aurez-vous bientôt fini? En avez-vous encore pour longtemps?»

      Plus Léon prenait l’air digne et fâché, plus les autres riaient. Leur gaieté se ralentit enfin; ils eurent la force de se relever et de suivre Léon, qui marchait gravement, accompagné d’éclats de rire et de gaies plaisanteries. Ils approchèrent ainsi du petit bois où l’on construisait les cabanes, et ils entendirent distinctement des coups de marteau si forts et si répétés qu’ils jugèrent impossible qu’ils fussent donnés par le petit Jacques[31].

      «Pour le coup, dit Jean en s’échappant et en