Il permet l’écouteécoute. Écoute de soi et de sa parole intérieure. Mais aussi écoute de l’autre. En respectant le silence du malade, on l’autorise à parler quand il le souhaite.
4.4. L’écriture
L’écriture peut être utile quand la parole est empêchée. Une malade m’écrivait : « Je reste silencieuse face au néant tout comme je reste silencieuse quand il s’agit de parler de ma tristessetristesse. La page blanche est ma compagne depuis longtemps. Je la noircis de ce que je voudrais exprimer verbalement. » Ou une autre : « Et vous, Monsieur le médecin, tout autant que le chirurgien, vous soignez notre pauvre corps, tandis que la vie cricrie plus fort. »
4.5. Le dessin
Le dessin est également un moyen de transmettre ses émotionémotions, ses états d’âme, son sentiment de bien-être ou de tristesse. Ainsi, un malade que j’ai suivi pendant plusieurs années, passionné d’aquarelle, m’a apporté chaque année une de ses œuvres. Au début de sa maladiemaladie, les couleurs sont chaudes, les tons pastel. Les aquarelles montrent des paysages sous le soleil, à marée basse : « Belle-Île », « La tour Solidor à Saint-Malo ».
Lorsque la maladiemaladie rechute et s’aggrave, apparaissent des tempêtes. Les couleurs sont plus sombres et les paysages tristes sont le miroir de la tristessetristesse du malade : « Tempête sur Saint-Malo », « La Belle Poule dans la tempête ». Sur ce dernier tableau, le malade m’écrivait : « J’espère vous en apporter un l’année prochaine… ».
Enfin, dans la dernière aquarelle que j’ai reçue (« Les Marquises »), les couleurs étaient à nouveau plus gaies. Toutefois, ce grand admirateur de Brel, qui avait été capitaine au long court et grand voyageur, avait toujours exprimé son souhait d’être enterré aux Marquises aux côtés de son chanteur préféré. Il me signifiait ainsi son acceptation d’un avenir désormais fixé.
5. L’utilité des traitements complémentaires
Si la médecine allopathique est peu ouverte aux pratiques non enseignées par la Faculté, il faut cependant souligner l’apport que peuvent prodiguer les médecines « non traditiontraditionnelles » et les techniques non médicales pour lever la parole empêchée. En permettant au malade de se réapproprier son corps, en l’apaisant, en l’acceptant tel qu’il est dans la réalité, ces pratiques sont d’un grand intérêt. L’acupuncture, l’hypnose, la sophrologie, la médecine ayurvédique, le yoga et la méditation sont de plus en plus utilisés. Il est souhaitable que les services hospitaliers et les médecins de ville y aient recours de plus en plus souvent. Au même titre que le traitement efficace de la douleurdouleur, ils aident à l’obtention d’une prise en charge de qualité qui nécessite la levée de la parole empêchée.
Puissances et défaillances de la parole
Sabine Forero Mendoza (Université de Pau et des Pays de l’Adour, EA 3002 ITEM)
« Parole empêchée » : la locution sonne étrangement, non en raison du caractère recherché ou peu commun des termes qui la composent, mais parce que l’emploi absolu de l’adjectif verbal reste peu usuel. L’étymologie, qui évoque l’imageimage de liens et lacs enserrant les pieds pour gêner la marche, offre un point d’appui à l’analyse sémantique. Littéralement entravée, la parole empêchée est une parole contrariée, qui ne peut être proférée comme elle le devrait, ou comme on le voudrait. Parole marquée, dans son effectuation, du sceau de l’échec ; parole bloquée qui confronte le locuteur à son impuissance. Il faut donner au participe toute sa valeur passive. Que la parole soit dite empêchée et non pas simplement retenue ou tue, signifie que des obstacles, externes ou internes, viennent interposer une action contraire à la sienne (car la parole est acte, on ne saurait en douter) : ainsi, une anomalie anatomique, un défaut ou une atteinte physiologique, une barrière psychologiquepsychologie, un troubletrouble émotif, une puissance coercitive, physique ou moralemorale.
Évoquer la parole empêchée est définir un terrain où s’opposent des forces, terrain des usages et des partages, borné par l’interditinterdit et la défense, mais diversement transgressé par des conduites de résistancerésistance ou de contournementcontournement. Car si, en droit, il est juste de définir la parole, en empruntant les termes d’Emmanuel LevinasLevinas (Emmanuel), comme « l’action sans violenceviolence »1, il faut reconnaître que, dans la réalité des rapports sociaux pétris de violence réelle tout autant que symbolsymbolique, ce sont les restrictions et les inhibitions, mais aussi les manipulations et les contraintes qui déterminent bien souvent ses pratiques. C’est pourquoi la parole empêchée ne saurait être exactement définie par rapport à un indicibleindicible qui, par son excèsexcès même, déborderait les capacités à dire ou décrire ; elle doit être bien plutôt référée à une situation d’affrontement où le rapport inégal du faible au fort se solde par un manquemanque.
Bridée ou défectueuse, la parole empêchée, parce qu’elle échoue à advenir, renvoie à l’idéal d’une parole libre et entière. On ne peut la penser sans son envers, fût-il tout théorique, de sorte que se demander où réside la déficiencedéficience de la parole, revient à se questionner sur son être et sa puissance, tant il est vrai que tout non-pouvoir est lié à un pouvoir correspondant, qu’il accompagne comme le ferait une ombre. Telle est la double exploration que se propose la présente réflexion.
1. Prendre la parole
Pour commencer, il faut reprendre la voie, tant de fois frayée, de la détermination conceptuelle, et le faire sous la forme inaugurale de la distinction. Soit en repasser par la triade classique : langage, langue, parole.
On peut rappeler que le langage est la faculté proprement humaine à s’exprimer et à communiquer par des signes articulés –faculté fondée sur des dispositifs anatomiques et neurologiques spécifiques qui sont coordonnés de façon complexe –alors que la langue, elle, est un système de signes homogènes et différenciés, propre à telle ou telle communauté humaine et qui, sous sa forme instituée, s’impose aux individus. Cette double définition permet de caractériser consécutivement la parole, au sens strict, comme la mise en œuvre verbale du langage au travers de telle ou telle langue particulière1. Aussitôt posée, la distinction révèle son artifice théorique. Langue, langage et parole se supposent les uns les autres : il n’est de parole qui ne se déploie dans l’horizon d’une langue déterminée et ne soit réalisation de l’aptitude fondamentale au langage. Ou encore, pour prendre les choses à rebours, il n’est de fonction linguistique hors de son exercice par une parole qui trouve sa tournure et ses instruments dans une langue qu’elle concourt à inventer. Langage actualisé, langue incarnée, la parole n’est pas détachable du sujet qui la porte.
Ses spécificités n’en apparaissent pas moins : concrète et individuelle, quoiqu’elle emprunte les « mots de la tribu », la parole est une forme d’affirmation de la personne, et cela quelles que soient ses fonctions – expressive, argumentative ou simplement informative. Affirmation de soi dans l’ordre d’un monde qu’elle contribue à construire et à faire signifier, dans l’ordre socialordre social qu’elle fonde et dont elle distribue les rôles et les positions, dans l’ordre moralmoral et dans l’ordre de la justicejustice, comme le note déjà AristoteAristote2. Si HeideggerHeidegger (Martin) peut dire que le langage est la « maison de l’Être