mousquetaire.
D’Artagnan a reconnu Athos dans cet homme.
– J’ai dit: «Excusez-moi.» Il me semble donc que c’est assez. Je vous prie, et laissez-moi aller où j’ai affaire[69].
– Monsieur, a dit Athos, vous n’êtes pas poli.
– Ce n’est pas vous qui me donnerez une leçon de belles manières[70], je vous préviens. Ah! si je n’étais pas si pressé, et si je ne courais pas après quelqu’un…
– Monsieur l’homme pressé, vous me trouverez sans courir, entendez-vous?
– Et où, s’il vous plaît?
– Près des Carmes-Deschaux[71].
– À quelle heure?
– Vers midi.
– Vers midi, c’est bien, j’y serai.
– Tâchez de ne pas me faire attendre[72], car à midi un quart je courrai après vous et vous couperai les oreilles.
– Bon! lui a crié d’Artagnan, j’y serai à midi moins dix minutes[73].
Et il s’est mis à courir, espérant retrouver encore son inconnu.
Mais, à la porte de la rue, il a vu Porthos avec un garde. D’Artagnan a décidé de passer comme une flèche entre eux deux. Mais quand il allait passer, le vent a monté le manteau de Porthos. D’Artagnan est venu donner droit dans le manteau[74]. Et maintenant le jeune homme a compris pourquoi Porthos portait ce manteau: c’était un moyen de cacher le côte opposé du magnifique baudrier que nous déjà connaissons. Ce baudrier était d’or par-devant et de simple buffle par-derrière[75].
– Vous êtes donc enragé de vous jeter comme cela sur les gens! a crié Porthos faisant tous ses efforts pour se débarrasser de d’Artagnan[76].
– Excusez-moi, mais je suis très pressé, je cours après quelqu’un, et…
– Est-ce que vous oubliez vos yeux quand vous courez, par hasard[77]? a demandé Porthos.
– Non, a répondu d’Artagnan, non, et grâce à mes yeux je vois même ce que ne voient pas les autres.
Porthos a compris ou n’a pas compris, mais il était en colère. Il a fait un mouvement pour se précipiter sur d’Artagnan.
– Plus tard, plus tard, lui a crié d’Artagnan, quand vous n’aurez plus votre manteau.
– À une heure donc, derrière le Luxembourg[78].
– Très bien, à une heure, a répondu d’Artagnan en tournant l’angle de la rue.
Mais dans la rue il n’a vu personne. Peut-être, le gentilhomme inconnu est entré dans une quelque maison.
Dans la rue près de l’hôtel d’Aiguillon d’Artagnan a aperçu Aramis qui parlait avec deux gentilhommes. D’Artagnan a salué le mousquetaire, et Aramis a incliné légèrement sa tête. Tout à coup, d’Artagnan a remarqué que Aramis avait laissé tomber son mouchoir[79] et avait mis le pied dessus[80]. Le jeune homme a cru que le moment était arrivé de se comporter poliment[81]. Il a tiré le mouchoir – avec effort – de dessous le pied[82] du mousquetaire.
– Je crois, monsieur, que voici un mouchoir que vous avez perdu.
Aramis a rougi excessivement.
– Ah, a dit un des hommes autour d’Aramis, diras-tu encore que Mme de Bois-Tracy est male avec toi[83], si cette gracieuse dame te donne ses mouchoirs?
Aramis a regardé d’Artagnan comme ce-ci était son ennemi mortel.
– Vous vous trompez, messieurs, il a dit, ce mouchoir n’est pas à moi, et je ne sais pourquoi ce jeune homme a décidé de me le remettre, et la preuve de ce que je dis, c’est que voici le mien dans ma poche[84].
Et il a montré son propre mouchoir, aussi élégant que le premier.
– Le fait est, a dit timidement d’Artagnan, que je n’ai pas vu sortir le mouchoir de la poche de M. Aramis. Il avait le pied dessus et j’ai pensé que le mouchoir était à lui.
– Et vous vous êtes trompé, mon cher monsieur, a répondu froidement Aramis.
D’Artagnan a compris son erreur et voulait faire la paix[85] avec ce galant homme.
– Monsieur, il a dit, vous m’excuserez, je l’espère.
– Je suppose, monsieur, qu’on ne marche pas sans cause sur les mouchoirs de poche[86]. Que diable! Paris n’est point pavé en batiste[87]. À deux heures, j’aurai l’honneur de vous attendre à l’hôtel de M. de Tréville. Là je vous enseignerai les bonnes manières[88].
D’Artagnan a pris le chemin des Carmes-Decshaux[89], où l’attendrait son premier duel avec Athos.
«Si je suis tué, il a pensé, je serai tué par un mousquetaire.»
Chapitre V
Quand d’Artagnan est arrivé au terrain vague[90] près du monastère, Athos l’attendait depuis cinq minutes seulement, et midi sonnait[91]. Athos souffrait cruellement de sa blessure, et d’Artagnan espérait lui proposer ses excuses au lieu du duel et se faire un bon ami de ce mousquetaire. Mais Athos n’a pas changé sa décision. Mais d’Artagnan était étonné quand il a aperçu les seconds d’Athos: c’étaient Porthos et Aramis eux-mêmes.
Athos a dit:
– Sans doute, ne savez-vous pas qu’on ne nous voit jamais l’un sans l’autre, et qu’on nous appelle Athos, Porthos et Aramis ou les trois inséparables[92]?
– Ah! ah! a dit Porthos quand il a vu d’Artagnan, qu’est-ce que cela?
– C’est avec monsieur que je me bats, a répondu Athos.
– C’est avec lui que je me bats aussi, a dit Porthos.
– Mais à une heure seulement, a répondu d’Artagnan.
– Et moi aussi, c’est avec ce monsieur que je me bats, a dit Aramis.
– Mais à deux heures seulement, a dit d’Artagnan avec le même calme.
– Mais à propos de quoi te bats-tu, toi, Athos? a demandé Aramis.
– Il m’a fait mal à l’épaule; et toi, Porthos?
– Ma foi, je me bats parce que je me bats, a répondu Porthos en rougissant.
– Nous avons eu une discussion sur la toilette[93], a dit d’Artagnan.
– Et toi, Aramis?
– Moi, je me bats pour cause de théologie, a répondu Aramis.