elle prend, par un beau jour d'été
Au bord d'un fleuve ou sur le sable,
L'uniforme charmant de dame Vérité,
A certain regard effronté,
A cet air nonchalant, au miroir emprunté,
On reconnaît toujours la Fable.
Cette eau-forte, publiée par l'Artiste, est la gravure, moins trois Amours dans le ciel, d'un tableau de Buisson, qui joua de malheur. Il fut reçu à l'Exposition de 1848, le 23 février. Le lendemain, tout le monde exposait de droit. Un instant Buisson avait dû arriver vraiment au public: on avait parlé de lui pour illustrer l'Âne mort de Jules Janin.
1848 a dispersé le cénacle et mis un écriteau à la porte de l'atelier hospitalier. Mais Buisson n'a laissé partir ses amis qu'après qu'un chacun a eu un beau portrait à mettre en tête de ses œuvres. Il a gravé d'une pointe onctueuse la tête bien en chair du fabuliste; il a gravé avec la pointe fine d'Henriquel le profil élégant de Levavasseur; il a gravé la barbe de l'ami Philippe; et quand il les a eu tous pourtraicts, il n'a pas voulu que ces visages qui s'étaient fait face si longtemps fussent séparés. En mémoire des années qui ne reviennent pas, il les a tous réunis dans le frontispice du livre de M. de Chennevières, faisant de l'un une cariatide nue, sortant d'une gaine l'habit de l'autre, appuyant sa fantaisie architecturale sur la tête de celui-ci et la couronnant de son portrait:
Avec les cheveux en broussaille,
Le front saillant et les yeux creux,
Dent qui mord et bouche qui raille!
Et maintenant Jules Buisson plante ses choux près de Castelnaudary. Il ne grave plus, il ne peint plus. Il est marié; il cause engrais avec ses fermiers. Rarement il lit cette Comédie humaine que Balzac lui avait donnée pour avoir aidé à la décoration de son petit hôtel du faubourg du Roule. Il s'est retiré en un coin de grasse terre, oublieux de son talent passé; et si parfois du ciseau qu'il vient de se faire envoyer, il dégrossit une tête d'animal dans un tronc de poirier, c'est pour mettre au-dessus de la porte de ses étables.
NICHOLSON
L'affiche est ornée d'une énorme tête de Nicholson en perruque et en rabat.
En bas, à la bar2 de la taverne, vous payez un schelling; montez l'escalier, et entrez dans la salle. La salle est un rectangle recouvert jusqu'au plafond d'un papier couleur bois. Aux deux côtés de sa longueur sont figurées quatre cheminées surmontées de glaces dans des cadres de chêne, décorés d'arabesques en bronze. La salle est coupée de longues tables d'acajou; les tables sont entourées de bancs recouverts d'une moquette rouge jaspée de noir. Sur la table il y a des verres, des carafes, des bols de verre bleu qui servent de sucriers. Huit becs de gaz éclairent la salle. Aux murs est appendu le prospectus colorié d'une école de natation d'hiver; aux murs est accrochée à un clou une plaque de verre noir portant en lettres de cuivre le mot: Beds3. Dans le fond de la salle, le plancher ressaute d'un pied; et au centre de l'estrade s'élève, réservée au chef baron, une petite table où brûlent deux bougies. A côté des bougies, au-dessus d'un étain bien luisant, «la bonne vieille boisson écossaise, richement brune, mousse par-dessus les bords en glorieuse écume», comme dit Burns.
Aux pieds de Nicholson, sur un canapé au dossier de jonc, sont assis le greffier, le conducteur du conseil, l'avocat. Une petite barre en bois blanc, où viennent déposer les témoins, se dresse à la gauche du tribunal. Dans l'enceinte réservée est encore un grand piano à queue qui accompagne les chansons grivoises chargées de faire attendre le procès.
La table la plus rapprochée du tribunal reçoit le jury, jury qui se recrute parmi les buveurs de «gin» de bonne volonté. Un appel de noms imaginaires est fait. Chaque juré prend la Bible entre le pouce et l'index de la main droite, jure de juger d'après sa conscience, baise la Bible, et la passe à son voisin, qui fait de même, et la baise, et la repasse. Nicholson demande un cigare. L'huissier appelle la cause. Le conducteur du conseil, connu sous le nom du savant sergent, et qui s'est occupé avec succès du génie dramatique chez les anciens et les modernes, lit l'acte d'accusation. L'avocat, qui est un habile étudiant en droit, présente la défense. On appelle un témoin, puis un autre, puis un autre. Tantôt il vient une vieille fille les cheveux gris lui battant sur les joues, lunettes sur le nez, robe rosâtre à volants, mantelet de soie grise, chapeau avec des bouquets de bluets; la démarche intimidée, la voix mince et fluette, l'accent pudibond, croisant les bras sur la poitrine; une personnification femelle du shoking; puis c'est un garçon coiffeur qui entre «comme le torrent de la Moréna», qui monte à la barre comme on monte à l'assaut, qui frappe du poing, qui a un toupet jaune ébouriffé, qui se dépêche, qui crie, qui bredouille, qui répond avant qu'on l'interroge, qui raconte quand on lui dit de se taire, qui se démène, qui cherche machinalement et fiévreusement son tablier de sa main, qui s'essouffle, qui se mouche dans son tablier, les yeux hors la tête, la voix glapissante, haletant, prolixe, bavard et bavardant, toujours exubérant, toujours parlant; – et ce coiffeur et cette Anglaise, et ce blackguard et cette lady, c'est un homme, un seul homme, le même homme! Cet éternel témoin, le chef baron n'a-t-il pas raison de l'appeler «le plus comique dessinateur de types comiques, depuis la splénétique vieille fille jusqu'au garçon coiffeur avec son tablier à bavette»?
Mais Nicholson a un peu avancé la tête. Il a adressé une question au témoin, et toute la salle est partie d'un éclat de rire.
Nicholson est petit, apoplectique. D'énormes favoris noirs encadrent sa figure carrée et massive, comme la figure d'un financier d'Hogarth. Ses traits sont pleins et ronds; il a le teint frais; il a de petits yeux qu'il rapetisse encore en clignant et en plissant la paupière; et ce manége leur donne une indicible chafouinerie. Rominagrobis faisant le mort devait avoir cet œil demi-fermé, narquois et guetteur. Il a la grande perruque poudrée de chef baron à grands anneaux, tirant sur le front une ligne droite comme faite à la règle, et trouée au sommet par un petit trou qui laisse échapper la chaleur de la tête. Il a le rabat blanc, les manchettes et la grande robe noire. Nicholson ne rit jamais; il parle lentement; il a dans toute la physionomie comme une bonhomie bridoisonne, et comme une sournoiserie de vieux juge. Souvent, il fait avancer sa lèvre inférieure sur sa lèvre supérieure en homme de mauvaise humeur qui boude un mauvais argument. Il joue de façon exquise et de bonne comédie le perpétuel demi-sommeil d'un tribunal.
Nicholson se complaît aux causes d'adultère; il a fait son domaine des infortunes conjugales: tout le scandaleux judiciaire est bien venu de lui. En ces causes, les grasses façons de dire ont leurs coudées franches; les équivoques, les allusions, les demi-gros mots ont beau jeu dans ces libres plaisanteries, dont l'histoire du marron de Sterne est comme le type. C'est en plein croustillant que Nicholson excelle à faire les mille et une confusions de «l'Avocat patelin», à jeter au beau milieu d'une plaidoirie une interrogation cynique, à déchirer d'une phrase les gazes de pudeur de la défense; et pour peu que les tribunaux anglais aient évoqué quelque belle «conversation criminelle», aussitôt la parodie est prête, juge, avocat, greffier se donnant la main. Les causes s'improvisent, à peu près comme ces drôleries de la comédie italienne où les acteurs, avant d'entrer en scène, lisaient sur une pancarte accrochée dans les coulisses le canevas de leurs lazzis. Et cela dure tout autant qu'une petite pièce de nos boulevards: une vingtaine de jours, un mois. Nous avons vu toute une soirée débattre la vraisemblance d'un adultère en cab, avec des: Comment? que vous ne pourriez imaginer. – L'Anglais, qui aime à boire, va se coucher sur un verre de grog, et sur un résumé du chef baron de la plus impartiale salauderie.
Quelquefois la cour de justice du Trou à charbon évoque une cause politique réelle ou fictive; alors elle se met à être comme la face grotesque des haines anglaises. Tout Londres se rappelle le succès récent qu'obtint Nicholson avec son fameux procès: «Haynau et les ouvriers de la brasserie Barclay-Perkins.»
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