C'est une grande cause, a-t-on dit, et qu'il faut juger avec une sage et lente circonspection. C'est vous qui en faites une grande cause: que dis-je! c'est vous qui en faites une cause. Que trouvez-vous là de grand? Est-ce la difficulté? Non. Est-ce le personnage? Aux yeux de la liberté, il n'en est pas de plus vil; aux yeux de l'humanité, il n'en est pas de plus coupable. Il ne peut en imposer encore qu'à ceux qui sont plus lâches que lui. Est-ce l'utilité du résultat? C'est une raison de plus de le hâter. Une grande cause, c'est un projet de loi populaire; une grande cause, c'est celle d'un malheureux opprimé par le despotisme. Quel est le motif de ces délais éternels que vous nous recommandez? Craignez-vous de blesser l'opinion du peuple? Comme si le peuple lui-même craignait autre chose que la faiblesse ou l'ambition de ses mandataires; comme si le peuple était un vil troupeau d'esclaves stupidement attaché au stupide tyran qu'il a proscrit, voulant, à quelque prix que ce soit, se vautrer dans la bassesse et dans la servitude. Vous parlez de l'opinion; n'est-ce point à vous de la diriger, de la fortifier? Si elle s'égare, si elle se déprave, à qui faudrait-il s'en prendre, si ce n'est à vous-mêmes? Craignez-vous les rois étrangers ligués contre vous? Oh! sans doute, le moyen de les vaincre, c'est de paraître les craindre! Le moyen de confondre les despotes, c'est de respecter leur complice! Craignez-vous les peuples étrangers? Vous croyez donc encore à l'amour inné de la tyrannie. Pourquoi donc aspirez-vous à la gloire d'affranchir le genre humain? Par quelle contradiction supposez-vous que les nations, qui n'ont point été étonnées de la proclamation des droits de l'humanité, seront épouvantées du châtiment de l'un de ses plus cruels oppresseurs? Enfin, vous redoutez, dit-on, les regards de la postérité. Oui, la postérité s'étonnera, en effet, de notre inconséquence et de notre faiblesse, et nos descendants riront à la fois de la présomption et des préjugés de leurs pères.
On a dit qu'il fallait du génie pour approfondir cette question. Je soutiens qu'il ne faut que de la bonne foi. Il s'agit bien moins de s'éclairer que de ne pas s'aveugler volontairement. Pourquoi ce qui nous paraît clair dans un temps nous semble-t-il obscur dans un autre? Pourquoi ce que le bon sens du peuple décide aisément se change-t-il, pour ses délégués, en problème presque insoluble? Avons-nous le droit d'avoir une volonté contraire à la volonté générale, et une sagesse différente de la raison universelle?
J'ai entendu les défenseurs de l'inviolabilité avancer un principe hardi, que j'aurais presque hésité moi-même à énoncer. Ils ont dit que ceux qui, le 10 août, auraient immolé Louis XVI, auraient fait une action vertueuse; mais la seule base de cette opinion ne pouvait être que les crimes de Louis XVI et les droits du peuple. Or, trois mois d'intervalle ont-ils changé ses crimes ou les droits du peuple? Si alors on l'arracha à l'indignation publique, ce fut sans doute uniquement pour que sa punition, ordonnée solennellement par la Convention nationale au nom de la nation, en devînt plus imposante pour les ennemis de l'humanité: mais remettre en question s'il est coupable ou s'il peut être puni, c'est trahir la foi donnée au peuple français. Il est peut-être des gens qui, soit pour empêcher que l'Assemblée ne prenne un caractère digne d'elle, soit pour ravir aux nations un exemple qui élèverait les âmes à la hauteur des principes républicains, soit par des motifs encore plus honteux, ne seraient pas fâchés qu'une main privée remplît les fonctions de la justice nationale. Citoyens, défiez-vous de ce piège: quiconque oserait donner un tel conseil ne servirait que les ennemis du peuple. Quoi qu'il arrive, la punition de Louis n'est bonne désormais qu'autant qu'elle portera le caractère solennel d'une vengeance publique. Qu'importe au peuple le méprisable individu du dernier roi?
Représentants, ce qui lui importe, ce qui vous importe à vous-mêmes, c'est que vous remplissiez les devoirs qu'il vous a imposés. La république est proclamée; mais nous l'avez-vous donnée? Vous n'avez pas encore fait une seule loi qui justifie ce nom; vous n'avez pas encore réformé un seul abus du despotisme: ôtez les noms, nous avons encore la tyrannie tout entière, et, de plus, des factions plus viles, et des charlatans plus immoraux, avec de nouveaux ferments de troubles et de guerre civile. La république! et Louis vit encore! et vous placez encore la personne du roi entre nous et la liberté! A force de scrupules, craignons de nous rendre criminels; craignons qu'en montrant trop d'indulgence pour le coupable, nous ne nous mettions nous-mêmes à sa place.
Nouvelle difficulté. A quelle peine condamnerons-nous Louis? La peine de mort est trop cruelle. Non, dit un autre, la vie est plus cruelle encore; je demande qu'il vive. Avocats du roi, est-ce par pitié ou par cruauté que vous voulez le soustraire à la peine de ses crimes? Pour moi, j'abhorre la peine de mort prodiguée par vos lois; et je n'ai pour Louis ni amour ni haine; je ne hais que ses forfaits. J'ai demandé l'abolition de la peine de mort à l'assemblée que vous nommez encore constituante; et ce n'est pas ma faute si les premiers principes de la raison lui ont paru des hérésies morales et politiques. Mais vous, qui ne vous avisâtes jamais de les réclamer en faveur de tant de malheureux dont les délits sont moins les leurs que ceux du gouvernement, par quelle fatalité vous en souvenez-vous seulement pour plaider la cause du plus grand de tous les criminels? Vous demandez une exception à la peine de mort pour celui-là seul qui peut la légitimer. Oui, la peine de mort, en général, est un crime, et par cette raison seule que, d'après les principes indestructibles de la nature, elle ne peut être justifiée que dans les cas où elle est nécessaire à la sûreté des individus ou du corps social. Or, jamais la sûreté publique ne la provoque contre les délits ordinaires, parce que la société peut toujours les prévenir par d'autres moyens, et mettre le coupable dans l'impuissance de lui nuire. Mais un roi détrôné, au sein d'une révolution qui n'est rien moins que cimentée par des lois justes; un roi dont le nom seul attire le fléau de la guerre sur la nation agitée; ni la prison, ni l'exil ne peut rendre son existence indifférente au bonheur public; et cette cruelle exception aux lois ordinaires que la justice avoue ne peut être imputée qu'à la nature de ses crimes. Je prononce à regret celte fatale vérité... mais Louis doit mourir, parce qu'il faut que la patrie vive. Chez un peuple paisible, libre et respecté au dedans comme au dehors, on pourrait écouter les conseils qu'on vous donne d'être généreux: mais un peuple à qui l'on dispute encore sa liberté, après tant de sacrifices et de combats, un peuple chez qui les lois ne sont encore inexorables que pour les malheureux, un peuple chez qui les crimes de la tyrannie sont des sujets de dispute, un tel peuple doit vouloir qu'on le venge; et la générosité dont on vous flatte ressemblerait trop à celle d'une société de brigands qui se partagent des dépouilles.
Je vous propose de statuer dès ce moment sur le sort de Louis. Quant à sa femme, vous la renverrez aux tribunaux, ainsi que toutes les personnes prévenues des mêmes attentats. Son fils sera gardé au Temple, jusqu'à ce que la paix et la liberté publique soient affermies. Quant à Louis, je demande que la Convention nationale le déclare dès ce moment traître à la nation française, criminel envers l'humanité; je demande qu'à ce titre il donne un grand exemple au monde, dans le lieu même où sont morts, le 10 août, les généreux martyrs de la liberté, et que cet événement mémorable soit consacré par un monument destiné à nourrir dans le coeur des peuples le sentiment de leurs droits et l'horreur des tyrans; et, dans l'âme des tyrans, la terreur salutaire de la justice du peuple.
Second discours de Maximilien Robespierre, sur le jugement de Louis Capet; prononcé à la Convention nationale, le 28 décembre, l'an premier de la République [imprimé sur ordre de la Société des Amis de la Liberté et de l'Egalité] (28 décembre 1792)
Citoyens.
Par quelle fatalité la question qui devrait réunir le plus facilement tous les suffrages et tous les intérêts des représentants du peuple ne paraît-elle que le signal des dissensions et des tempêtes? Pourquoi les fondateurs de la république sont-ils divisés sur la punition du tyran? Je n'en suis pas moins convaincu que nous sommes tous pénétrés d'une égale horreur pour le despotisme, enflammés du même zèle pour la sainte égalité; et j'en conclus que nous devons nous rallier aisément aux principes de l'intérêt public et de l'éternelle justice.
Je ne répéterai point qu'il est des formes sacrées qui ne sont pas celles du barreau; qu'il est des principes indestructibles, supérieurs aux rubriques consacrées par l'habitude et par les préjugés; que le véritable jugement