Robespierre Maximilien

Discours par Maximilien Robespierre — 17 Avril 1792-27 Juillet 1794


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proposée!

      Pour moi, dès ce moment, j'ai vu confirmer toutes mes craintes et mes soupçons. Nous avions tout d'abord paru inquiets sur les suites des délais que la marche de cette affaire pouvait entraîner, et il ne s'agit rien moins que de la rendre interminable; nous redoutions les troubles que chaque moment de retard pouvait amener, et voilà qu'on nous garantit en quelque sorte le bouleversement inévitable de la république. Eh! que nous importe que l'on cache un dessein funeste sous le voile de la prudence, et même sous le prétexte du respect pour la souveraineté du peuple! Ce fut là l'art perfide de tous les tyrans déguisés sous les dehors du patriotisme, qui ont, jusques ici, assassiné la liberté et causé tous nos maux. Ce ne sont point les déclamations sophistiques, mais le résultat, qu'il faut peser.

      Oui, je le déclare hautement, je ne vois plus désormais, dans le procès du tyran, qu'un moyen de nous ramener au despotisme, par l'anarchie. C'est vous que j'en atteste, citoyens; au premier moment où il fut question du procès de Louis le dernier, de la Convention nationale, convoquée alors expressément pour le juger; lorsque vous partiez de vos départements, enflammés de l'amour de la liberté, pleins de ce généreux enthousiasme que vous inspiraient les preuves récentes de la confiance d'un peuple magnanime, que nulle influence étrangère n'avait encore altéré; que dis-je? au premier moment où il fut ici question d'entamer cette affaire, si quelqu'un vous eût dit: "Vous croyez que vous aurez terminé le procès du tyran dans huit jours, dans quinze jours, dans trois mois; vous vous trompez: ce ne sera pas même vous qui prononcerez la peine qui lui est due, qui le jugerez définitivement; je vous propose de renvoyer cette affaire aux 44.000 sections qui partagent la nation française, afin qu'elles prononcent toutes sur ce point; et vous adopterez cette proposition." Vous auriez ri de la confiance du motionnaire, vous auriez repoussé la motion, comme incendiaire, et faite pour allumer la guerre civile. Le dirai-je? On assure que la disposition des esprits est changée; telle est, sur plusieurs, l'influence d'une atmosphère pestiférée, que les idées les plus simples et les plus naturelles sont souvent étouffées par les plus dangereux sophismes. Imposez silence à tous les préjugés, à toutes les suggestions; examinons de sang-froid cette singulière question.

      Vous allez donc convoquer les assemblées primaires, pour les occuper chacune séparément de la destinée de leur ci-devant roi; c'est-à-dire que vous allez changer toutes les assemblées de canton, toutes les sections des villes, en autant de lices orageuses, où l'on combattra pour ou contre la personne de Louis, pour ou contre la royauté; car il existe bien des gens pour qui il est peu de distance entre le despote et le despotisme. Vous me garantissez que ces discussions seront parfaitement paisibles, et exemptes de toute influence dangereuse: mais garantissez-moi donc auparavant que les mauvais citoyens, que les modérés, que les feuillants, que les aristocrates n'y trouveront aucun accès, qu'aucun avocat bavard et astucieux ne viendra surprendre les gens de bonne foi et apitoyer sur le sort du tyran des hommes simples qui ne pourront prévoir les conséquences politiques d'une funeste indulgence ou d'une délibération irréfléchie. Mais que dis-je? Cette faiblesse même de l'Assemblée, pour ne point employer une expression plus forte, ne sera-t-elle pas le moyen le plus sûr de rallier tous les royalistes, tous les ennemis de la liberté, quels qu'ils soient, de les rappeler dans les assemblées du peuple qu'ils avaient fui, au moment où il vous nomma, dans ces temps heureux de la crise révolutionnaire, qui rendit quelque vigueur à la liberté expirante? Pourquoi ne viendraient-ils pas défendre leur chef, puisque la loi appellera elle-même tous les citoyens, pour venir discuter cette grande question avec une entière liberté? Or, qui est plus discret, plus adroit, plus fécond en ressources, que les intrigants, que les honnêtes gens, c'est-à-dire que les fripons de l'ancien et même du nouveau régime? Avec quel art ils déclameront d'abord contre le roi, pour conclure ensuite en sa faveur! Avec quelle éloquence ils proclameront la souveraineté du peuple, les droits de l'humanité, pour ramener le royalisme et l'aristocratie! Mais, citoyens, sera-ce bien le peuple qui se trouvera à ces assemblées primaires? Le cultivateur abandonnera-t-il son champ? L'artisan quittera-t-il le travail auquel est attachée son existence journalière, pour feuilleter le Code pénal, et délibérer dans une assemblée tumultueuse sur le genre de peine que Louis Capet a encouru, et sur bien d'autres questions peut-être qui ne seront pas moins étrangères à ses méditations. J'ai entendu déjà distinguer le peuple et la nation, précisément à l'occasion de cette motion même. Pour moi, qui croyais ces mots synonymes, je me suis aperçu qu'on renouvelait l'antique distinction que j'ai entendu faire par une partie de l'Assemblée constituante; et je sens qu'il faut entendre par le peuple, la nation, moins les ci-devant privilégiés et les honnêtes gens; or, je conçois que tous les honnêtes gens, que tous les intrigants de la république, pourront bien se réunir en force dans les assemblées primaires, abandonnées par la majorité de la nation, qu'on appelle ignoblement le peuple, et entraîner les bonnes gens, peut-être même traiter les amis fidèles de la liberté de cannibales, de désorganisateurs, de factieux. Je ne vois, moi, dans ce prétendu appel au peuple, qu'un appel de ce que le peuple a voulu, de ce que le peuple a fait, au moment où il déployait sa force, dans le seul temps où il exprimait sa propre volonté, c'est-à-dire dans le temps de l'insurrection du 10 août, à tous les ennemis secrets de l'égalité, dont la corruption et la lâcheté avaient nécessité l'insurrection elle-même. Car ceux qui redoutent le plus les mouvements salutaires qui enfantent la liberté sont précisément ceux qui cherchent à exciter tous les troubles qui peuvent ramener le despotisme ou l'aristocratie. Mais quelle idée, grand Dieu! de vouloir faire juger la cause d'un homme, que dis-je? la moitié de sa cause, par un tribunal composé de 44.000 tribunaux particuliers. Si l'on voulait persuader au monde qu'un roi est un être au-dessus de l'humanité, si l'on voulait rendre incurable la maladie honteuse du royalisme, quel moyen plus ingénieux pourrait-on imaginer que de convoquer une nation de 25 millions d'hommes pour le juger, que dis-je? pour appliquer la peine qu'il peut avoir encourue; et cette idée de réduire les fonctions du souverain à la faculté de déterminer la peine n'est pas, sans doute, le trait le moins adroit que présente ce système.

      On a voulu, sans doute, éluder par là quelques-unes des objections qu'il pouvait rencontrer. On a senti que l'idée d'une procédure à instruire par toutes les assemblées primaires de l'Empire français était trop ridicule; et on a pris le parti de leur soumettre uniquement la question de savoir quel est le degré de sévérité que le crime de Louis XVI pouvait provoquer; mais on n'a fait que multiplier les absurdités, sans diminuer les inconvénients. En effet, si une partie de la cause de Louis est portée au souverain, qui peut empêcher qu'il ne l'examine tout entière? Qui peut lui contester le droit de revoir le procès, de recevoir les mémoires, d'entendre la justification de l'accusé, de l'admettre à demander grâce à la nation assemblée, et dès lors de plaider la cause tout entière? Croit-on que les partisans hypocrites du système contraire à l'égalité négligeront de faire valoir ces motifs, et de réclamer le plein exercice des droits de la souveraineté? Voilà donc nécessairement une procédure commencée dans chaque assemblée primaire. Mais fût-elle réduite à la question de la peine, encore faudra-t-il qu'elle soit discutée? Et qui ne croira pas avoir le droit de la discuter éternellement, quand l'assemblée conventionnelle n'aura pas osé la décider elle-même? Qui peut indiquer le terme où cette grande affaire serait terminée? La célérité du dénouement dépendra des intrigues qui agiteront chaque section des diverses sections de la France; ensuite de l'activité ou de la lenteur avec lesquelles les suffrages seront recueillis par les assemblées primaires; ensuite de la négligence ou du zèle, de la fidélité ou de la partialité avec laquelle ils seront recensés par les directoires, et transmis à la Convention nationale, qui en fera le relevé? Cependant, la guerre étrangère n'est point terminée; la saison approche, où tous les despotes alliés ou complices de Louis XVI doivent déployer toutes leurs forces contre la république naissante; et ils trouveront la nation délibérante sur Louis XVI! Ils la trouveront occupée à décider s'il a mérité la mort, interrogeant le Code pénal, ou pesant les motifs de le traiter avec indulgence ou avec sévérité. Ils la surprendront épuisée, fatiguée par ces scandaleuses dissensions. Alors, si les amis intrépides de la liberté, aujourd'hui persécutés avec tant de fureur, ne sont point encore immolés, ils auront quelque chose de mieux à faire que de disputer sur un point de procédure; il faudra qu'ils volent à la défense de la patrie; il faudra qu'ils