Robespierre Maximilien

Discours par Maximilien Robespierre — 17 Avril 1792-27 Juillet 1794


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par lequel vous avez prononcé qu'il serait jugé par vous; je ne veux raisonner ici que dans le système qui a prévalu. Je pourrais même ajouter que je partage, avec le plus faible d'entre vous, toutes les affections particulières qui peuvent l'intéresser au sort de l'accusé. Inexorable, quand il s'agit de calculer, d'une manière abstraite, le degré de sévérité que la justice des lois doit déployer contre les ennemis de l'humanité, j'ai senti chanceler dans mon coeur la vertu républicaine, en présence du coupable humilié devant la puissance souveraine. La haine des tyrans et l'amour de l'humanité ont une source commune dans le coeur de l'homme juste, qui aime son pays. Mais, citoyens, la dernière preuve de dévouement que les représentants du peuple doivent à la patrie, c'est d'immoler ces premiers mouvements de la sensibilité naturelle au salut d'un grand peuple et de l'humanité opprimée. Citoyens, la sensibilité qui sacrifie l'innocence au crime est une sensibilité cruelle; la clémence qui compose avec la tyrannie est barbare.

      Citoyens, c'est à l'intérêt suprême du salut public que je vous rappelle. Quel est le motif qui vous force à vous occuper de Louis? Ce n'est pas le désir d'une vengeance indigne de la nation; c'est la nécessité de cimenter la liberté et la tranquillité publique par la punition du tyran. Tout mode de le juger, tout système de lenteur qui compromet la tranquillité publique, contrarie donc directement votre but; il vaudrait mieux que vous eussiez absolument oublié le soin de le punir que de faire de son procès une source de troubles et un commencement de guerre civile. Chaque instant de retard amène pour nous un nouveau danger; tous les délais réveillent les espérances coupables, encouragent l'audace des ennemis de la liberté, nourrissent au sein de cette assemblée la sombre défiance, les soupçons cruels; citoyens, c'est la voix de la patrie alarmée qui vous presse de hâter la décision qui doit la rassurer. Quel scrupule enchaîne encore votre zèle? Je n'en trouve le motif, ni dans les principes des amis de l'humanité, ni dans ceux des philosophes, ni dans ceux des hommes d'Etat, ni même dans ceux des praticiens les plus subtils et les plus épineux. La procédure est arrivée à son dernier terme. Avant-hier, l'accusé vous a déclaré qu'il n'avait rien de plus à dire pour sa défense; il a reconnu que toutes les formes qu'il désirait étaient remplies; il a déclaré qu'il n'en exigeait point d'autres. Le moment même où il vient de faire entendre sa justification est le plus favorable à sa cause. Il n'est pas de tribunal au monde qui n'adoptât, en sûreté de conscience, un pareil système. Un malheureux, pris en flagrant délit, ou prévenu seulement d'un crime ordinaire, sur des preuves mille fois moins éclatantes, eût été condamné dans vingt-quatre heures. Fondateurs de la république, selon ces principes, vous pouviez juger, il y a longtemps, avec sécurité, le tyran du peuple français. Quel était le motif d'un nouveau délai? Vouliez-vous acquérir de nouvelles preuves écrites contre l'accusé? Non. Vouliez-vous faire entendre des témoins? Cette idée n'est encore entrée dans la tête d'aucun de nous. Doutiez-vous du crime? Non. Vous auriez douté de la légitimité ou de la nécessité de l'insurrection; vous douteriez de ce que la nation croit fermement; vous seriez étrangers à notre révolution; et, loin de punir le tyran, c'est à la nation elle-même que vous auriez fait le procès. Avant-hier, le seul motif que l'on ait allégué pour prolonger la décision de cette affaire a été la nécessité de mettre à l'aise la conscience des membres que l'on a supposés n'être point encore convaincus des attentats de Louis. Cette supposition gratuite, injurieuse et absurde a été démentie par la discussion même.

      Citoyens, il importe ici de jeter un regard sur le passé et de vous retracer à vous-mêmes vos propres principes et même vos propres engagements. Déjà, frappés des grands intérêts que je viens de vous représenter, vous aviez fixé deux fois, par deux décrets solennels, l'époque où vous deviez juger Louis irrévocablement; avant-hier était la seconde de ces deux époques. Lorsque vous rendîtes chacun de ces deux décrets, vous vous promettiez bien que ce serait là le dernier terme; et, loin de croire que vous violiez en cela la justice et la sagesse, vous étiez plutôt tentés de vous reprocher à vous-mêmes trop de facilité. Vous trompiez-vous alors? Non, citoyens, c'est dans les premiers moments que vos vues étaient plus saines, et vos principes plus sûrs; plus vous vous laisserez engager dans ce système, plus vous perdrez de votre énergie et de votre sagesse; plus la volonté des représentants du peuple, égarée, même à leur insu peut-être, s'éloignera de la volonté générale, qui doit être leur suprême régulatrice. Il faut le dire, tel est le cours naturel des choses, telle est la pente malheureuse du coeur humain. Je ne puis me dispenser de vous rappeler ici un exemple frappant, analogue aux circonstances où nous sommes, et qui doit nous instruire. Quand Louis, au retour de Varennes, fut soumis au jugement des premiers représentants du peuple, un cri général d'indignation s'élevait contre lui dans l'Assemblée constituante; il n'y avait qu'une voix pour le condamner. Peu de temps après, toutes les idées changèrent, les sophismes et les intrigues prévalurent sur la liberté et sur la justice; c'était un crime de réclamer contre lui la sévérité des lois à la tribune de l'Assemblée nationale; et ceux qui vous demandent aujourd'hui, pour la seconde fois, la punition de ses attentats, furent alors persécutés, proscrits, calomniés dans toute l'étendue de la France, précisément parce qu'ils étaient restés en trop petit nombre fidèles à la cause publique et aux principes sévères de la liberté; Louis seul était sacré; les représentants du peuple, qui l'accusaient, n'étaient que des factieux, des désorganisateurs, et, qui pis est, des républicains. Que dis-je? Le sang des meilleurs citoyens, le sang des femmes et des enfants coula pour lui sur l'autel de la patrie. Citoyens, nous sommes des hommes aussi, sachons mettre à profit l'expérience de nos devanciers.

      Je n'ai pas cru cependant à la nécessité du décret qui vous fut proposé de juger sans désemparer. Ce n'est pas que je me détermine par le motif de ceux qui ont cru que cette mesure accuserait la justice ou les principes de la Convention nationale. Non, même à ne vous considérer que comme des juges, il était une raison très morale qui pouvait facilement la justifier en elle-même: c'est de soustraire les juges à toute influence étrangère; c'est de garantir leur impartialité et leur incorruptibilité, en les renfermant seuls avec leur conscience et les preuves, jusqu'au moment où ils auront prononcé leur sentence. Tel est le motif de la loi anglaise, qui soumet les jurés à la gêne qu'on voulait vous imposer; telle était la loi adoptée chez plusieurs peuples célèbres par leur sagesse; une pareille conduite ne vous eût pas déshonorés plus qu'elle ne déshonore l'Angleterre et les autres nations qui ont suivi les mêmes maximes; mais, moi, je la juge encore superflue, parce que je suis convaincu que la décision de cette affaire ne sera pas reculée au delà du terme où vous serez suffisamment éclairés, et que votre zèle pour le bien public est pour vous une loi plus impérieuse que vos décrets.

      Au reste, il était difficile de répondre aux raisons que je viens de développer; mais, pour retarder votre jugement, on vous a parlé de l'honneur de la nation, de la dignité de l'Assemblée. L'honneur des nations, c'est de foudroyer les tyrans et de venger l'humanité avilie! La gloire de la Convention nationale consiste à déployer un grand caractère et à immoler les préjugés serviles aux principes salutaires de la raison et de la philosophie; il consiste à sauver la patrie et à cimenter la liberté par un grand exemple donné à l'univers. Je vois sa dignité s'éclipser à mesure que nous oublions cette énergie des maximes républicaines pour nous égarer dans un dédale de chicanes inutiles, et que nos orateurs, à celte tribune, font faire à la nation un nouveau cours de monarchie. La postérité vous admirera ou vous méprisera selon le degré de vigueur que vous montrerez dans cette occasion; et cette vigueur sera la mesure aussi de l'audace ou de la souplesse des despotes étrangers avec vous, elle sera le gage de notre servitude ou de notre liberté, de notre prospérité ou de notre misère. Citoyens, la victoire décidera si vous êtes des rebelles ou les bienfaiteurs de l'humanité; et c'est la hauteur de votre caractère qui décidera la victoire. Citoyens, trahir la cause du peuple et notre propre conscience, livrer la patrie à tous les désordres que les lenteurs d'un tel procès doivent exciter, voilà le seul danger que nous devions craindre. Il est temps de franchir l'obstacle fatal qui nous arrête depuis si longtemps à l'entrée de notre carrière; alors, sans doute, nous marcherons ensemble d'un pas ferme vers le but commun de la félicité publique; alors les passions haineuses qui mugissent trop souvent dans ce sanctuaire de la liberté feront place à l'amour du bien public, à la sainte émulation des amis de la patrie,