Артур Конан Дойл

Micah Clarke – Tome I. Les recrues de Monmouth


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ils ont ce grand mérite d'avoir mené pour la plupart une vie pure et recommandable, car ils pratiquaient avec rigueur les lois qu'ils auraient volontiers imposées aux autres à la pointe de l'épée.

      Sans doute, il y en eut dans ce grand nombre quelques-uns, pour qui la piété n'était que le masque de l'ambition, et d'autres qui pratiquaient en secret ce qu'ils condamnaient en public, mais il n'est point de cause, si bonne qu'elle soit, qui n'ait des parasites hypocrites de cette sorte.

      Ce qui prouve que la grande majorité de ces Saints, ainsi qu'ils se qualifiaient eux-mêmes, étaient des gens de vie régulière, craignant Dieu, c'est ce fait qu'après le licenciement de l'armée républicaine, les vieux soldats s'empressèrent de se remettre au travail dans tout le pays, et qu'ils laissèrent leur empreinte partout où ils allèrent, grâce à leur industrie et à leur valeur.

      Il existe en Angleterre plus d'une opulente maison de commerce, à l'heure actuelle, qui peut faire remonter son origine à l'économie et à la probité d'un simple piquier d'Ireton ou de Cromwell.

      Mais pour mieux nous faire comprendre le caractère de votre arrière grand-père, je vous conterai un incident qui montre combien étaient ardentes et sincères les émotions auxquelles étaient dues les crises violentes que j'ai décrites.

      À cette époque, j'avais environ douze ans.

      Mes frères, Hosea et Ephraïm, en avaient respectivement neuf et sept; la petite Ruth ne devait pas en avoir plus de quatre.

      Le hasard avait amené chez nous un prédicateur ambulant des Indépendants, et ses enseignements religieux avaient rendu mon père sombre et excitable.

      Un soir, je m'étais couché comme d'habitude, et je dormais profondément, côte à côte avec mes deux frères, lorsque nous fûmes réveillés et nous reçûmes l'ordre de descendre.

      Nous nous habillâmes à la hâte.

      Nous suivîmes mon père dans la cuisine, où ma mère, pâle, effarée, était assise, tenant Ruth sur ses genoux.

      – Réunissez-vous autour de moi, mes enfants, dit-il d'une voix profonde et solennelle, afin que nous puissions paraître tous ensemble devant le Trône. Le Royaume du Seigneur est proche; oh! tenez-vous prêts à l'accueillir. Cette nuit même, mes bien-aimés, vous Le verrez dans sa splendeur, avec les Anges et les Archanges dans leur puissance et leur gloire. À la troisième heure, il viendra, à cette troisième heure qui s'approche de nous.

      – Cher Joe, dit ma mère, d'un ton câlin, tu t'épouvantes toi-même et tu terrifies les enfants hors de propos. S'il est certain que le Fils de l'Homme vient, qu'importe que nous soyons levés ou couchés?

      – Silence, femme, répondit-il d'une voix sévère, n'a-t-il pas dit qu'il viendrait dans la nuit comme un larron, et que c'est à nous d'être en attente. Joignez-vous donc à moi en de continuelles prières, pour que nous soyons là en costume de fiançailles. Rendons-lui grâce pour la bonté qu'il nous a témoignée en nous avertissant par la voix de son serviteur. Ô Dieu grand, jette un regard sur ce petit troupeau et conduis-le au bercail. Ne mêle pas le peu de grain au grand amas de paille. Ô père miséricordieux, vois avec clémence mon épouse, et pardonne-lui la faute de l'Érastianisme, vu qu'elle n'est qu'une femme, et peu en état de rompre les chaînes de l'Antéchrist dans lesquelles elle est née. Et ceux-ci, pareillement, mes jeunes enfants, Michée et Hosea, et Ephraïm et Ruth, dont les noms mêmes sont ceux de tes fidèles serviteurs d'autrefois. Oh! place-les cette nuit à ta droite.

      C'est ainsi qu'il priait, dans un flot emporté de paroles ardentes ou touchantes, qu'il se tordait prosterné sur le sol, en la véhémence de ces supplications, pendant que nous, pauvres mignons tremblants, nous nous serrions contre les jupes de notre mère, et que nous regardions avec épouvante sa figure bouleversée, à la faible lumière de la modeste lampe à huile.

      Soudain retentit la sonnerie de l'horloge toute neuve de l'église, pour nous apprendre que l'heure était venue.

      Mon père se releva brusquement, courut à la fenêtre, regarda au dehors, les yeux brillants de l'attente, vers les cieux étoilés.

      Évoquait-il une vision à son cerveau excité, ou bien le flot des sensations qui l'assaillirent en voyant que son attente était vaine, était-il trop violent pour lui?

      Il leva ses longs bras, jeta un cri rauque et tomba à la renverse, l'écume aux lèvres, les membres agités par des secousses.

      Durant une heure et plus, ma pauvre mère et moi, nous fîmes tous nos efforts pour le calmer, pendant que les petits pleurnichaient dans un coin.

      À la fin, il se redressa en chancelant, et de quelques mots brefs entrecoupés, il nous renvoya dans nos chambres.

      Depuis cette époque, je ne l'ai jamais entendu faire allusion à ce sujet, et il ne nous apprit à aucune époque pour quelle raison il avait cru fermement que le second advent devait se produire cette nuit-là.

      Mais j'ai été informé depuis que le prédicateur qui logeait chez nous était un de ceux qu'on nommait alors les hommes de la Cinquième Monarchie, et que cette secte était particulièrement sujette à répandre des avertissements de cette sorte.

      Je ne doute pas que des propos tenus par lui n'aient fait entrer cette idée dans la tête de mon père et que son ardent naturel n'ait fait le reste.

      Tel était donc votre arrière-grand-père, Joe Côte-de-fer.

      J'ai jugé à propos de retracer ces traits à vos yeux, conformément au principe selon lequel les actes parlent plus haut que les mots.

      J'estime que quand on décrit le caractère d'un homme, il vaut mieux citer des exemples de ses façons d'agir que parler en termes vagues et généraux.

      Si j'avais dit qu'il était farouche en sa religion, qu'il était sujet à d'étranges crises de piété, ce langage aurait pu ne faire sur vous qu'une faible impression, mais après que vous aurez entendu conter son algarade avec les officiers dans la cour de la tannerie, et l'ordre qu'il nous donna, au milieu de la nuit, d'attendre le second advent, vous êtes en état de juger par vous mêmes jusqu'à quelles extrémités sa croyance pouvait l'entraîner.

      D'autre part, il s'entendait parfaitement aux affaires.

      Il se montrait probe et même large dans ses relations.

      Il avait le respect de tous et l'affection d'un petit nombre, car il était d'un naturel trop concentré pour faire naître beaucoup d'affection.

      Pour nous il était un père plein de sévérité et de rigueur, et nous punissait rudement de tout ce qu'il désapprouvait dans notre conduite.

      Il avait une provision de proverbes de ce genre: «Rassasiez un enfant, et donnez à satiété à un jeune chien, et ni l'un ni l'autre ne feront un effort» ou bien: «Les enfants sont des soucis certains et des consolations incertaines» et il s'en servait pour modérer les impulsions plus indulgentes de ma mère.

      Il ne pouvait souffrir de nous voir jouer au tric-trac sur l'herbe, ou danser le samedi soir avec les autres enfants.

      Quant à ma mère, excellente créature, c'était son influence calmante, pacifiante qui retenait mon père dans de certaines bornes et qui adoucissait sa sévère discipline.

      Et vraiment il était rare qu'en ses moments les plus sombres, il ne fût calmé par le contact de cette main si douce, que son esprit ardent ne fut apaisé par le son de cette voix.

      Elle appartenait à une famille de gens de l'Église, et elle tenait à sa religion avec une force tranquille, à l'épreuve de tout ce qu'on pouvait tenter pour l'en détourner.

      Je me figure qu'à une certaine époque son mari avait beaucoup raisonné avec elle sur l'Arminianisme, sur le péché de simonie, mais qu'il avait reconnu l'inutilité de ses exhortations, et laissé-là ces sujets, excepté en de très rares occasions.

      Toutefois bien que fervente pour l'Épiscopat, elle était restée profondément Whig et ne permettait jamais que son loyalisme envers le trône obscurcît son jugement sur les actes du monarque qui l'occupait.

      Il