du temps; mais en rabattant de ces dénominations fastueuses, on ne peut cependant lui refuser la justice due à son savoir et à ses immenses travaux.
Barthole naquit la même année que Boccace, en 1313, à Sasso-Ferrato, dans la Marche d'Ancône. Il se livra, dès sa jeunesse, à l'étude du droit sous les maîtres les plus célèbres, à Pérouse d'abord, et ensuite à Bologne. Il y devint maître lui-même, et lors de la fondation de l'Université de Pise, il y fut nommé professeur, n'ayant encore que 26 ans. Il y resta onze ans, selon les uns, et un peu moins selon d'autres. Il quitta sa chaire de Pise, pour en occuper une à Pérouse, où on lui déféra le titre et les droits de citoyen. En 1355, lorsque l'empereur Charles IV descendit en Italie, il fut choisi pour l'aller complimenter à Pise. Il profita de l'occasion, et obtint pour cette Université naissante les mêmes priviléges dont jouissaient toutes les autres. L'empereur lui en accorda de personnels, et spécialement celui de porter dans son écusson les armes des rois de Bohême. Quelques auteurs ont pensé que ces honneurs étaient le prix de la fameuse bulle d'or, que Charles publia l'année suivante, qu'il avait concertée à Pise avec Barthole, et dont il lui avait confié la rédaction 183. Il ne jouit pas long-temps de ces distinctions; de retour à Pérouse, il y mourut, selon l'opinion la plus probable, âgé seulement de 46 ans. La brièveté de sa vie rend presque inconcevables la profondeur et l'étendue de ses connaissances et le volume énorme de ses écrits. Gravina, en rendant justice à son érudition et à la force de sa dialectique, le juge sévèrement sur l'abus qu'il en a fait, et sur les subtilités qu'il introduisit dans l'étude du droit. «Son génie et son érudition lui nuisirent, dit ce critique judicieux 184: possédant toute la misérable science de ce temps-là, il ne fit que retourner de mille manières les sophismes des Arabes, qui avaient souillé la pureté des sources du péripapéticisme, etc.»
La vaste compilation des œuvres de Barthole contient quelques Traités de droit public, tels que ceux des Guelphes et des Gibelins; de l'Administration de la République; de la Tyrannie, etc. On y en trouve un plus singulier, et dont le prodigieux succès peut servir à faire connaître l'esprit de son temps. C'est une cause plaidée devant J. – C. entre la Vierge Marie, d'une part, et le Diable, de l'autre 185. Cacodœmon comparaît devant le tribunal, en qualité de procureur de toute la malice infernale. Sa procuration, passée devant le notaire de la maison du Diable, date de l'an 1354. Il cite le genre humain à comparaître à l'audience trois jours après la date. Le genre humain, pressé par cette diligence diabolique, s'est laissé, pour la première fois, expédier par contumace. Il a recours à la Sainte-Vierge et la supplie de prendre sa défense. Elle se déclare donc son avocate; mais le Diable proteste qu'elle est incapable de remplir cet office, les femmes en étant exclues, selon le Digeste De postulatione: de plus, il la déclare suspecte, comme mère du juge, conformément à la loi De appellatione. La Vierge répond à l'exception; 1°. que les femmes sont admises à plaider dans les causes des misérables, selon la disposition du paragraphe I, De fœminis, etc., et que le genre humain est précisément dans ce cas; 2°. que même une mère peut parler dans sa propre cause, comme il est écrit dans les expressions, chapitre Priorem, etc. Cette question d'ordre judiciaire étant vidée, Cacodœmon produit sa demande, de pouvoir tourmenter le genre humain, comme il le faisait avant la rédemption; il s'appuie des textes d'une infinité de lois; mais la Vierge Marie n'en allègue pas moins que lui dans ses réponses, toutes favorables à son client. Enfin, le divin juge prononce la sentence d'absolution formiter, séant pro tribunali, au parquet ordinaire des causes, au-dessus des trônes des anges, dans le palais de sa résidence, après avoir vu toutes les citations, procurations, allégations, réponses, exceptions, répliques, etc. Ladite sentence écrite et publiée par S. Jean l'Evangliste, notaire et écrivain public de la cour céleste 186.
Barthole eut pour disciple, et ensuite pour rival, le célèbre Balde, fils d'un médecin de Pérouse. On raconte beaucoup de traits de cette rivalité, qui seraient peu honorables pour le caractère de Balde. Des écrivains sages les révoquent en doute, et il vaut mieux en douter avec eux que d'y croire 187. Balde fut professeur à Pérouse, sa patrie, puis à Sienne, à Pise, à Padoue et à Pavie. Il laissa partout une grande admiration de son savoir, et encore plus de son esprit, qui était vif, brillant, fécond en réparties et en bons mots. C'est un avantage qu'il avait dans la dispute sur son maître Barthole, homme plein de jugement et de science, mais, à ce qu'il paraît, un peu lourd. Balde n'a guère laissé moins d'écrits que lui, et qui ne sont pas aujourd'hui plus utiles ni plus connus que les siens; il est vrai qu'il ne mourut que l'année même de la fin du siècle, âgé de soixante-quinze ou seize ans, et qu'il vécut par conséquent une trentaine d'années plus que son maître.
C'était aussi un jurisconsulte habile que ce Guillaume de Pastrengo que nous avons vu, dans la Vie de Pétrarque, jouer un des premiers rôles parmi ses plus intimes amis. Pastrengo sa patrie est une campagne du Véronais. Il fut notaire et juge à Véronne. Les Scaliger, seigneurs de cet état, le chargèrent, en 1335, d'une mission auprès du pape Innocent XII, qui résidait à Avignon: c'est là qu'il connut Pétrarque, et que se forma entre eux cette amitié qui dura autant que leur vie. Mais ce n'est pas comme légiste qu'il doit surtout avoir place dans l'histoire littéraire, c'est comme auteur d'un ouvrage rare et peu connu, le premier modèle de ces Bibliothèques universelles, et de ces Dictionnaires des hommes illustres, qui se sont tant multipliés depuis. S. Jérôme, Gennadius et d'autres auteurs de livres de cette espèce, n'avaient parlé que des écrivains sacrés 188. Photius n'avait traité que des livres qui lui étaient tombés entre les mains. Guillaume de Pastrengo entreprit le premier une Bibliothèque des auteurs sacrés et profanes de tous les pays, de tous les siècles et sur tous les sujets, depuis les temps les plus reculés jusqu'à celui où il vivait. Cet ouvrage écrit en latin, a été imprimé à Venise, en 1547, sous ce faux titre: De originibus rerum 189, que l'auteur ne lui avait point donné. Le manuscrit que l'on en conserve dans une bibliothèque de Venise 190, porte celui-ci: De viris illustribus 191, qui lui convient mieux. La première partie de ce livre est précisément ce qu'on appelle une Bibliothèque. Les auteurs y sont rangés par ordre alphabétique; et, dans des articles faits avec toute l'exactitude que permettait une époque où l'on avait si peu de secours pour ce travail, on trouve une idée succincte de leurs ouvrages. Il était impossible qu'il ne s'y glissât pas beaucoup d'omissions et beaucoup d'erreurs, mais tel qu'il est, il prouve dans son auteur une vaste érudition. Il paraît surprenant qu'il ait pu voir tant de choses au milieu de tant de ténèbres, et ce n'est pas pour lui peu de gloire que d'avoir donné le premier un Dictionnaire de cette espèce. Les autres parties en forment un, historique et géographique, où l'auteur recherche surtout les premières origines, et c'est ce qui a causé l'erreur commise au titre de l'édition de Venise. Cette édition très-rare d'un ouvrage curieux est si remplie de fautes, qu'elle ne peut-être, pour ainsi dire, d'aucun usage. Montfaucon, et après lui Maffei, avaient entrepris d'en donner une nouvelle, corrigée sur les manuscrits; mais ni l'un ni l'autre, ni personne après eux, n'a exécuté ce dessein, qui ne serait pas sans utilité 192.
Philippe Villani, fils de Mathieu, et le dernier des trois illustres historiens de ce nom, outre le complément des histoires de son oncle et de son père 193, composa aussi un ouvrage intéressant pour l'histoire littéraire; mais il s'y renferma dans ce qui regardait sa patrie, et n'écrivit que les Vies des hommes illustres de Florence. Le comte Mazzuchelli en a publié pour la première fois 194, non le texte original, qui est en latin, mais une ancienne traduction italienne, avec d'amples et savantes notes. Philippe Villani fut nommé, en 1401, pour expliquer publiquement le Dante dans la chaire que Boccace avait occupée. Il y fut nommé une seconde fois, en 1404, et l'on croit qu'il