implacable ambition, ajoute: «En voilà plus qu'il n'en faut sans doute pour prouver l'oppression et la résistance, le mal et la tentation d'y porter remède; la résistance échoua, le remède fut inefficace; le despotisme épiscopal continua de se déployer; aussi au commencement du septième siècle, l'Église était tombée dans un état de désordre presque égal à celui de la société civile… Une foule d'évêques se livraient aux plus scandaleux excès; maîtres des richesses toujours croissantes de l'Église, rangés au nombre des grands propriétaires, ils en adoptaient les intérêts et les moeurs; ils faisaient contre leurs voisins des expéditions de violence et de brigandage, etc., etc.» (P. 396, v. 1.)
«Cautin, devenu évêque, se conduisit de manière à exciter l'exécration générale; il s'adonnait au vin outre mesure, et souvent il se plongeait tellement dans l'ivresse, que quatre hommes avaient peine à l'emporter de table. Il en devint épileptique; il était en outre excessivement livré à l'avarice, et quelle que fût la terre dont les limites touchaient à la sienne, il se croyait mort s'il ne s'appropriait pas quelque partie des biens de ses voisins, l'enlevant aux plus forts par des procès et des querelles, l'arrachant aux plus faibles par la violence.» (L. IV, p. 29, v. 2.)
Dans son amour pour le bien d'autrui, l'évêque Cautin fit un autre tour fort longuement raconté par saint Grégoire. Il s'agissait d'un prêtre nommé Anastase, qui, par une charte de la reine Clotilde, possédait une propriété; ce bien, l'évêque Cautin le convoita; il le demanda à Anastase; celui-ci refusa de se déposséder; l'évêque l'attire alors chez lui sous un prétexte, le renferme et lui signifie qu'il le laissera mourir de faim s'il ne lui abandonne ses titres de propriété; Anastase persiste dans ses refus; alors, dit Grégoire de Tours:
«Anastase est remis à des gardiens et condamné par Cautin, s'il ne remet les chartes, à mourir de faim; dans la basilique de saint Cassius, martyr, était une crypte antique et profonde; là se trouvait un vaste tombeau de marbre de Paros, où avait été déposé le corps d'un grand personnage dans le sépulcre. Anastase (par l'ordre de Cautin) est enseveli avec le mort; on met sur lui une pierre qui servait de couvercle au sarcophage, et on place des gardes à l'entrée du souterrain.»
Entre autres détails que donne Grégoire de Tours sur cette torture atroce, il cite celui-ci:
«… Des os du mort, – c'est Anastase qui le racontait ensuite, – s'exhalait une odeur pestilentielle, et il aspirait, non-seulement par la bouche et par les narines, mais, si j'ose le dire, par les oreilles même cette atmosphère cadavéreuse.» (L. IV, p. 31.)
Au bout de quelques heures, Anastase put soulever la pierre du sépulcre, appela à son aide, et fut délivré. Quant à l'évêque Cautin, il songea à d'autres tours, et conserva bel et bien son évêché.
Certes, il y eut des évêques purs de ces crimes abominables; mais les plus purs de ces prêtres achetaient, vendaient, exploitaient des esclaves, crime inexpiable pour un prêtre du Christ; aucune puissance humaine, morale ou physique, ne pouvait les forcer à conserver leur prochain en esclavage; mais les plus purs de ces prêtres étaient enrichis des dépouilles ensanglantées de leurs concitoyens; mais les plus purs de ces prêtres se rendaient complices des conquérants pour asservir la Gaule, leur patrie; mais le nombre de ces évêques, moins coupables que l'universalité de leurs confrères, était bien minime. Citons encore l'histoire:
«La religion, – écrivait saint Boniface au pape Zacharie, – est partout foulée aux pieds; les évêchés sont presque toujours donnés à des laïques avides de richesses, ou à des prêtres débauchés et prévaricateurs qui en jouissent selon le monde. J'ai trouvé, parmi les diacres, des hommes habitués dès l'enfance à la débauche, à l'adultère, aux vices les plus infâmes; ils ont dans leur lit, pendant la nuit, quatre ou cinq concubines et même davantage; tout récemment on a vu des gens de cette espèce monter ainsi de grade en grade jusqu'à l'épiscopat… etc., etc.
Vous avez eu et vous aurez connaissance, chers lecteurs, des crimes et des moeurs de ces rois franks, nos premiers rois de droit divin, ainsi que disent les royalistes et les ultramontains: quant aux moeurs des seigneurs ducs et des seigneurs comtes franks, leurs compagnons de pillage, de viol et de massacre, nous emprunterons au hasard à Grégoire de Tours quelques traits caractéristiques des habitudes de nos doux conquérants:
«Le comte Amal s'éprit d'amour pour une jeune fille de condition libre; quand vint la nuit, pris de vin, il envoya des serviteurs chargés d'enlever la jeune fille et de l'amener dans son lit. Comme elle résistait, on la conduisit de force dans la demeure du comte, et comme on lui donnait des soufflets, le sang coulait à flots de ses narines, et le lit du comte en fut tout rempli; lui-même la donna des coups de poing, des soufflets et autres coups; puis il la prit dans ses bras et s'endormit accablé par le sommeil.» (L. IX, p. 331.)
Un autre de ces seigneurs franks, amis et complices des évêques, le duc Runking, était plus inventif et plus recherché dans ses cruautés:
«Si un esclave tenait devant lui un cierge allumé, comme c'est l'usage pendant son repas, il lui faisait mettre les jambes à nu et le forçait d'y serrer avec force le flambeau jusqu'à ce qu'il fût éteint; quand on l'avait rallumé, il faisait recommencer jusqu'à ce que les jambes de l'esclave fussent toutes brûlées.» (L. V. p. 175.)
Une autre fois on lui demande de ne pas séparer deux de ses esclaves, un jeune homme et une jeune fille qui s'aimaient: – «Il le promet et les fait enterrer tous deux vivants, disant: Je ne manque pas au serment que j'ai fait de ne pas les séparer.» (Id. l. V, p. 177.)
Je vais donc tâcher, chers lecteurs, dans le récit suivant, de retracer à vos yeux cette funeste période de notre histoire: la conquête de la Gaule par l'invasion franque, appelée, soutenue par les évêques. Ce récit nous le ferons moins encore au point de vue de la fondation de la royauté de droit divin et de l'énorme puissance de l'Église, qu'au point de vue de l'asservissement, des douleurs, des misères du peuple. Hélas! ce peuple gaulois que nous avons vu jadis sous l'influence druidique, si fier, si vaillant, si intelligent, si patriote, si impatient du joug de l'étranger, nous allons le retrouver déchu de ses mâles et patriotiques vertus des temps passés, hébêté, craintif, soumis devant les Franks et les évêques; il n'a plus de Gaulois que le nom, et ce nom, il ne le conservera pas longtemps. Aux lueurs divines de l'Évangile émancipateur, vers lesquelles ce peuple a d'abord couru confiant et crédule à la voix des premiers apôtres prêchant l'égalité, la fraternité, la communauté, ont succédé pour lui les menaçantes ténèbres de l'obscurantisme, mettant le salut au prix de l'ignorance, de l'asservissement et de la douleur. Le souffle mortel, cadavéreux de l'Église romaine, a glacé ce noble peuple jusque dans la moelle des os, refroidi son sang, arrêté les battements de son coeur, autrefois palpitant d'héroïsme et d'enthousiasme, à ces mots sacrés: patrie et liberté. Cependant, pour quelque temps encore, l'antique patriotisme de la vieille Gaule s'est réfugié dans un coin de ce vaste pays, l'indomptable Bretagne, encore toute imbue de la foi druidique, si étroitement liée au sentiment d'indépendance et de nationalité, mais rajeunie, vivifiée par l'idée purement chrétienne et libératrice, l'indomptable Bretagne avec ses dolmens surmontés de la croix, avec ses vieux chênes druidiques greffés de christianisme, ainsi que l'ont dit les historiens, résiste seule, résistera seule jusqu'au huitième siècle, luttant contre la Gaule… Que disons-nous! les conquérants lui ont, hélas! volé jusqu'à son nom! résistera seule, luttant contre la France royale et catholique. Ceci, comme toutes les leçons de l'histoire, porte en soi, un grave enseignement. L'Église de Rome a de tout temps été fatale, mortelle à la liberté des peuples; voyez même à cette heure, les états purement catholiques ne sont-ils pas encore plus ou moins asservis, la Pologne, la Hongrie, l'Irlande, l'Espagne? dites quel est leur sort? Et cet abominable système d'abrutissement superstitieux et d'esclavage, le parti absolutiste et ultramontain rêve encore de nous l'imposer. N'avez-vous pas entendu à la tribune un représentant de ce parti demander une expédition de Rome à l'intérieur de la France? N'entendez-vous pas chaque jour les nombreux journaux de ce parti répéter, selon le mot d'ordre des ennemis de la révolution et de la république, «la société menacée