Эжен Сю

Les mystères du peuple, Tome I


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donc, mon cher, vous plaisantez. Est-ce convenu?

      – Je pourrai amener mon garçon?

      – Parbleu!..

      – Et ma fille aussi?

      – Pouvez-vous, cher monsieur Lebrenn, me faire une pareille question?..

      – Vrai, monsieur? vous ne trouverez point mauvais que ma fille?..

      – Mieux que cela… une idée, mon cher, une excellente idée!

      – Voyons, monsieur.

      – Vous avez entendu parler des anciens tournois?

      – Des tournois?..

      – Oui, du temps de la chevalerie.

      – Faites excuses, monsieur; de bonnes gens comme nous…

      – Eh bien, cher monsieur Lebrenn, au temps de la chevalerie il y avait des tournois, et dans ces tournois plusieurs de mes ancêtres, que vous voyez là, – et il montra les portraits, – ont autrefois combattu.

      – Ouais!! – fit le marchand, feignant la surprise et suivant du regard le geste du colonel, – ce sont là messieurs vos ancêtres?.. Aussi, je me disais: Il y a quelque chose comme un air de famille.

      – Vous trouvez?

      – Je le trouve, monsieur… pardon de la liberté grande…

      – N'allez-vous pas vous excuser?.. Pour Dieu! ne soyez donc pas ainsi toujours formaliste, mon cher… Je vous disais donc que dans ces tournois il y avait ce qu'on appelait la reine de beauté; elle distribuait les prix au vainqueur… Eh bien, il faut que ce soit votre charmante fille qui soit la reine de beauté du carrousel que je veux donner… elle en est digne à tous égards.

      – Ah! monsieur, c'est trop, non, c'est trop. Et puis ne trouvez-vous point que pour une jeune fille… être comme cela… en vue… et au vis-à-vis de messieurs vos dragons… c'est un peu… pardon de la liberté grande… mais un peu… comment vous dirai-je cela?.. un peu…

      – N'ayez donc pas de ces scrupules, cher monsieur Lebrenn; les plus nobles dames étaient autrefois reines de beauté dans les tournois, elles donnaient même un baiser au vainqueur.

      – Je conçois… elles avaient l'habitude… tandis que ma fille… voyez-vous… dam… ça a dix-huit ans, et c'est élevé… à la bourgeoise…

      – Rassurez-vous; je n'ai pas un instant songé à ce que votre charmante fille donnât un baiser au vainqueur.

      – Voire! monsieur… que de bontés… et si vous daignez permettre que ma fille n'embrasse point…

      – Mais cela va sans dire, mon cher… Que parlez-vous de ma permission? je suis déjà trop heureux de vous voir accepter mon invitation, ainsi que votre aimable famille.

      – Ah! monsieur, tout l'honneur est de notre côté.

      – Pas du tout, il est du mien.

      – Nenni, monsieur, nenni! c'est trop de bonté à vous. Je vois bien, moi, l'honneur que vous voulez nous faire.

      – Que voulez-vous, mon cher, il y a comme cela des figures… qui vous reviennent tout de suite; et puis je vous ai trouvé si honnête homme au sujet de votre fourniture…

      – C'est tout en conscience, monsieur, tout en conscience.

      – …Que je me suis dit tout de suite: Ce doit être un excellent homme que ce brave Lebrenn; je voudrais lui être agréable, et même l'obliger, si je pouvais.

      – Ah! monsieur, je ne sais où me mettre.

      – Tenez, vous m'avez dit tout à l'heure que les affaires allaient mal… voulez-vous que je vous paye d'avance votre fourniture?..

      – Nenni, monsieur, c'est inutile.

      – Ne vous gênez pas! parlez franchement… la somme est importante… Je vais vous donner un bon à vue sur mon banquier.

      – Je vous assure, monsieur, que je n'ai point besoin d'avances.

      – Les temps sont si durs, cependant…

      – Bien durs, sont les temps, il est vrai, monsieur; il faut en espérer de meilleurs.

      – Tenez, cher monsieur Lebrenn, – dit le comte en montrant au marchand les portraits qui ornaient le salon, – le temps où vivaient ces braves seigneurs, c'était là le bon temps!..

      – Vraiment, monsieur?..

      – Et qui sait?.. peut-être reviendra-t-il, ce bon temps…

      – Oui-dà… vous croyez?

      – Un autre jour nous parlerons politique… car vous parlez peut-être politique?

      – Monsieur, je ne me permettrais point cela; vous concevez, un marchand…

      – Ah! mon cher, vous êtes un homme du bon vieux temps, vous, à la bonne heure… Que vous avez donc raison de ne pas parler politique! c'est cette sotte manie qui a tout perdu; car dans ce bon vieux temps dont je vous parle, personne ne raisonnait: le roi, le clergé, la noblesse commandaient, tout le monde obéissait sans mot dire.

      – Trédame! C'était pourtant bien commode, monsieur!

      – Parbleu!

      – Si je vous comprends, monsieur, le roi, les prêtres, les seigneurs, disaient: Faites… et l'on faisait?

      – C'est cela même.

      – Payez… et l'on payait?

      – Justement.

      – Allez… et on allait?

      – Eh! mon Dieu! oui!

      – Enfin, tout comme à l'exercice: à droite, à gauche! en avant! halte!.. On n'avait point le souci de vouloir ceci ou cela; le roi, les seigneurs et le clergé se donnaient la peine de vouloir pour vous… et l'on a changé cela, et l'on a changé cela!!!..

      – Heureusement il ne faut désespérer de rien, cher monsieur Lebrenn.

      – Que le bon Dieu vous entende! – dit le marchand en se levant et saluant. – Monsieur, je suis votre serviteur.

      – Ah ça, à dimanche… pour le carrousel, mon cher… vous viendrez… en famille… c'est convenu.

      – Certainement, monsieur, certainement… ma fille ne manquera point à la fête… puisqu'elle doit être la reine de… de?..

      – Reine de beauté, mon cher! ce n'est pas moi qui lui assigne ce rôle… c'est la nature!

      – Ah! monsieur, si vous le permettiez?..

      – Quoi donc?

      – Ce que vous venez de dire là de si galant pour ma fille? je le lui répéterais de votre part?

      – Comment donc, mon cher! non-seulement je vous y autorise, mais je vous en prie; j'irai d'ailleurs rappeler, sans façon, mon invitation à la chère madame Lebrenn et à sa charmante fille.

      – Ah! monsieur… les pauvres femmes… elles seront si flattées du bien que vous nous voulez… Je ne vous parle point de moi… l'on me donnerait la croix d'honneur que je ne serais pas plus glorieux.

      – Ce brave Lebrenn, il est ravissant.

      – Serviteur, monsieur… serviteur de tout mon cœur, – dit le marchand en s'éloignant.

      Cependant, au moment où il atteignait la porte, il parut se raviser, se gratta l'oreille et revint vers M. de Plouernel.

      – Eh bien! qu'est-ce, mon cher? – dit le comte, surpris de ce retour; qu'y a-t-il?

      – Il y a, monsieur, – poursuivit le marchant en se grattant toujours l'oreille, – il y a que j'ai comme une idée… pardon de la liberté grande…

      – Parbleu, à votre aise. Pourquoi donc n'auriez-vous pas d'idées…