peut-être quinze mètres, il vit une fenêtre ouverte sans guerrier devant. Vicor marcha lentement vers elle et Merk le suivit en passant près des guerriers, qui le regardèrent chacun passer avant de se retourner vers leur fenêtre. C'était étrange de se retrouver parmi ces hommes sans en faire encore partie. Merk avait toujours combattu tout seul et ne savait pas ce que c'était que d'appartenir à un groupe.
Quand il passa près d'eux, il les examina et sentit que, comme lui, ils étaient tous des hommes brisés, des hommes sans autre but dans la vie et qui n'avaient aucun autre endroit où aller, des hommes qui avaient fait de cette tour en pierre leur maison. Des hommes comme lui.
Quand il s'approcha de son poste, Merk remarqua que le dernier homme près duquel il était passé avait l'air différent des autres. Il avait l'air d'être un garçon de peut-être dix-huit ans, avec la peau la plus douce et la plus claire que Merk ait jamais vue et avec des cheveux longs, fins et blonds qui lui tombaient jusqu'à la taille. Il était plus mince que les autres, était peu musclé et on aurait dit qu'il n'était jamais allé à la guerre. Pourtant, malgré ça, il avait l'air fier et Merk eut la surprise de le voir le fixer avec des yeux jaunes et féroces qui rappelaient ceux du Gardien. Ce garçon avait l'air presque trop fragile pour être ici, trop sensible, et pourtant, en même temps, il avait dans le regard quelque chose qui inquiétait Merk.
“Ne sous-estime pas Kyle”, dit Vicor en regardant Kyle se retourner vers sa fenêtre. “C'est le plus fort de nous tous et le seul vrai Gardien ici. Ils l'ont envoyé ici pour nous protéger.”
Merk avait du mal à le croire.
Merk atteint son poste, s'assit à côté de la grande fenêtre et regarda à l'extérieur. Il y avait un rebord en pierre sur lequel s'asseoir et, quand il se pencha en avant et regarda par la fenêtre, il jouit d'une vue étendue du paysage qui se situait au-dessous. Il vit la péninsule désolée de Ur, la canopée de la forêt lointaine et, au-delà de ça, l'océan et le ciel. Il avait l'impression de voir tout Escalon depuis ce point d'observation.
“C'est tout ?” demanda Merk, surpris. “Je reste assis ici et je regarde ?”
Vicor sourit.
“Ton service n'a même pas encore commencé.”
Merk fronça les sourcils, déçu.
“Je n'ai pas fait tout ce chemin pour rester assis dans une tour”, dit Merk en s'attirant les regards de quelques autres. “Comment pourrais-je défendre la tour d'ici ? Ne puis-je pas patrouiller au niveau du sol ?”
Vicor sourit d'un air suffisant.
“Tu vois beaucoup plus loin ici que tu ne le peux en bas”, répondit-il.
“Et si je vois quelque chose ?” demanda Merk.
“Sonne la cloche”, dit-il.
Il hocha la tête et Merk vit une cloche perchée à côté de la fenêtre.
“Au cours des siècles, il y a eu beaucoup d'attaques contre notre tour”, poursuivit Vicor. “Elles ont toutes échoué à cause de nous. Nous sommes les Gardiens, la dernière ligne de défense. Tout Escalon a besoin de nous et il y a beaucoup de moyens de défendre une tour.”
Merk le regarda partir et, en s'installant à son poste dans le silence ambiant, il se demanda dans quoi il s'était engagé.
CHAPITRE SIX
Par cette nuit de pleine lune, Duncan menait ses hommes lors de leur traversée au galop des plaines enneigées d'Escalon. Les heures passaient et ils fonçaient vers Andros, qui se trouvait quelque part à l'horizon. Cette chevauchée nocturne réveillait des souvenirs de batailles passées, du temps qu'il avait passé à Andros, où il avait servi l'ancien Roi; il se rendit compte qu'il se perdait dans ses pensées, que ses souvenirs se mélangeaient avec le présent et avec des rêves d'avenir jusqu'à ce qu'il ne distingue plus les rêves de la réalité. Comme d'habitude, il se mit à penser à sa fille.
Kyra. Où es-tu ? se demanda-t-il.
Duncan pria pour qu'elle soit en sécurité, pour qu'elle progresse dans son entraînement et pour qu’ils soient bientôt réunis pour de bon. Parviendrait-elle à faire venir Theos une fois de plus ? se demanda-t-il. Sinon, il ne savait pas s'ils pourraient gagner cette guerre qu'elle avait commencée.
Le son que produisaient incessamment les chevaux et les armures remplissait la nuit. C'était à peine si Duncan ressentait le froid. Leur victoire, leur élan, l'armée qui grandissait derrière lui et l'anticipation lui réchauffaient le cœur. Finalement, après toutes ces années, il sentait que la chance lui souriait à nouveau. Il savait qu'Andros serait lourdement gardée par une armée permanente et professionnelle, qu'ils seraient en grande infériorité numérique, que la capitale serait fortifiée et qu'ils n'avaient pas assez d'hommes pour assiéger la ville. Il savait que la bataille de sa vie l'attendait et qu'elle scellerait la destinée d'Escalon. C'était là le poids de l'honneur.
Duncan savait aussi que lui et ses hommes avaient pour eux leur cause, leur désir, leur motivation et, surtout, la vitesse et l'effet de surprise. Les Pandésiens ne s'attendraient jamais à une attaque sur la capitale, pas par une population sous le joug et certainement pas la nuit.
Finalement, quand les premiers signes de l'aube commencèrent se manifester dans un ciel encore couvert par une brume bleuâtre, Duncan vit les contours familiers de la capitale juste commencer à apparaître au loin. C'était une vue qu'il s'était attendu à ne jamais revoir de toute sa vie et qui fit battre son cœur plus vite. Les souvenirs revinrent en masse. Il se souvint de toutes les années qu'il avait passées là-bas, où il avait servi le Roi et la terre avec loyauté. Il se souvint d'Escalon au sommet de sa gloire. A cette époque, c'était une nation fière et libre qui avait l'air invincible.
Pourtant, revoir Andros réveillait aussi d'amers souvenirs : la trahison du peuple par le Roi faible, son abandon de la capitale, d'Escalon. Il se souvint que lui et tous les grands seigneurs de guerre avaient dû se disperser, partir dans la honte, tous s'exiler dans leur forteresse, partout dans Escalon. Voir les contours majestueux de la cité lui fit à nouveau ressentir désir, nostalgie, peur et espoir, tous en même temps. C'étaient les contours qui avaient façonné son existence, la silhouette de la cité la plus belle d'Escalon, gouvernée par des rois pendant des siècles, et elle s'étendait si loin qu'il était difficile de voir jusqu'où elle s'étendait. Duncan inspira profondément quand il vit les parapets, les dômes et les flèches qu'il connaissait si bien et qui étaient gravés au plus profond de son âme. D'une certaine façon, c'était comme rentrer chez soi, sauf que Duncan n'était pas le commandant vaincu et loyal qu'il avait été il fut un temps. Maintenant, il était plus fort, ne devait rien à personne et emmenait une armée dans son sillage.
Dans le jour naissant, la cité était encore éclairée par les torches des dernières patrouilles nocturnes et commençait juste à émerger de la longue nuit dans les brumes matinales. A mesure que Duncan s'approchait, il vit apparaître une autre chose qui lui déchira le cœur : les bannières bleues et jaunes de Pandésia qui flottaient fièrement au-dessus des remparts d'Andros. Ça le rendait malade et il ressentit une nouvelle vague de détermination.
Duncan examina immédiatement les portes et fut ravi de voir qu'elles n'étaient gardées que par un minimum de soldats. Il poussa un soupir de soulagement. Si les Pandésiens avaient su qu'ils arrivaient, des milliers de soldats auraient été en train de garder les portes et Duncan et ses hommes n'auraient eu aucune chance. Cependant, ce qu'il voyait lui indiquait qu'ils n'étaient pas au courant. Les milliers de soldats pandésiens qui étaient stationnés là devaient être encore endormis. Heureusement, Duncan et ses hommes avaient progressé assez rapidement pour juste avoir leur chance.
Duncan savait que cet élément de surprise serait leur unique avantage, la seule chose qui leur donnerait une chance de prendre l'immense capitale qui, avec ses couches de remparts, était conçue pour résister à une armée. En plus de cet avantage, Duncan avait aussi sa connaissance intérieure de ses fortifications et de ses points faibles. Il savait qu'on avait gagné des batailles avec moins que ça. Duncan examina l'entrée de la cité. Il savait à quel endroit il faudrait qu'ils