à aggraver la coloration nationaliste et chauvine du mouvement prolétarien bolchevik … Alors que la presse communiste russe publiait des articles enthousiastes sur cette unification avec le milieu des « spécialistes », ce nationalisme des communistes russes eux-mêmes accentua les divisions internes du prolétariat selon des lignes nationales … provoquant une âpre lutte en son sein, qui pava la voie à la réaction. »39
Les Nezaleznhyky observèrent cette évolution avec un vif mécontentement: « Cette vague stupide, folle et honteuse de russification balaie l'Ukraine à présent, avec une ampleur que l'on n'avait même pas connue sous le hetmanat dans sa phase « fédérale » :
« Pas un seul pamphlet pour les paysans ukrainiens en ukrainien, pas une brochure, pas un seul journal du gouvernement des soviets en ukrainien ! La langue ukrainienne est chassée de partout. Toute une série d'ordre donnés dans la « langue générale du savoir », voilà un signe des temps. Et à la modeste demande que les citoyens ukrainiens disposent au moins de leurs droits nationaux et culturels, comme ceux dont dispose le peuple « frère » ici en Ukraine,par sauvegarde, il n'est fait qu'une seule réponse : ce n'est que chauvinisme et mentalité bourgeoise contre-révolutionnaire ! »40
Chervony Prapor déplore que « derrière un apparent cosmopolitisme nous n'avons rien d'autre que la vieille russification en continuité avec les pratiques tsaristes. »41 La promesse d'une « renaissance des soviets locaux » fut trahie, le pouvoir central nomma des comités révolutionnaires, revkomy, et des comités de paysans pauvres, kombedy42. Le pouvoir des soviets n'existait pas43. En avril le mouvement syndical ukrainien fut épuré, subordonné à l'Etat et intégré aux structures pan-russes44. Cette dangereuse aliénation fut aggravée par le retard de la révolution agraire causé par les excès dans les réquisitions de grain, « en réalité l'Ukraine est pillée au hasard, comme un grand trésor de nourriture et de carburant. », ceci exacerbé encore par la politique élitiste de mise en place de « communes » qui n'étaient pas fondées sur l'auto-activité des paysans mais imposées d'en haut45. Fin février Chervony Prapor alertait : cette politique commençait à produire des effets centrifuges, et l'urgence était à l'établissement de relations commerciales transparentes avec la Russie soviétique, « possible seulement si l'Ukraine est souveraine, seulement si les travailleurs eux-mêmes sont les maîtres dans leur propre république socialiste et pas sous la coupe de prétendants étrangers. »46
Les Nezaleznhyky réagirent à la crise en expliquant qu'il était « nécessaire de formuler un programme communiste et d'organiser un Parti Communiste Ukrainien », et dans ce but des discussions furent engagé avec nombre de bolcheviks, aboutissant à la fondation de l'UKP le 30 mars 1919.47 Ce tournant correspondait à la fondation de l'Internationale communiste, à laquelle le dirigeant du KP(b)U Mykola Strypnyk avait communiqué un rapport optimiste à propos des Nezaleznhyky : « Bien que ces socialistes indépendants diffèrent des communistes sur des points fondamentaux, ils ont néanmoins entrepris aujourd'hui de travailler harmonieusement avec notre parti et de participer aux soviets. »48 Mais une direction opposée fut prise, et au troisième congrès du KP(b)U tenu à Kharkiv vota contre, par 101 voix contre 96, la coopération avec les autres parties pro-soviets et le fait que « des accords avec les SR de droite, les social-démocrates ukrainiens indépendants soient admissibles. »49 Ces partis se virent dénier « tout poste de responsabilité dans les soviets » et exclure du gouvernement de l'Ukraine, « qui doit consister uniquement en représentant du Parti Communiste de l'Ukraine [le KP(b)U]. »50
Cette attitude mina la réalisation de « tout le pouvoir dans le pays » aux soviets51. Quand se tint le troisième congrès pan-ukrainien des députés ouvriers, paysans et soldats rouges, les 6-10 mars, la majorité des délégués venaient des revkom et non des soviets. La nouvelle constitution de la République Socialiste Soviétique d'Ukraine ne fut pas appliquée ; en fin de compte l'Ukraine demeura, et fut tenue par son gouvernement, comme une unité régionale de la Russie52. Bien que quelques borotbistes aient été « élus » au Comité Exécutif Central, les Nezalezhnyky disaient d'eux qu'ils étaient là « uniquement pour donner un peu de couleur ukrainienne » dans ce qui n'était qu'un « Etat des commissaires »53.
Au printemps 1919, le gouvernement engagea une bataille acerbe contre les Nezalezhnyky : ce fut un « déluge de toutes sortes d'accusations de nationalisme, de chauvinisme, d'être des contre-révolutionnaires et des petits-bourgeois. »54 Dans la nuit du 25 mars, Richytsky, Mazurenko et d'autres dirigeants furent arrêtés par la Tchéka et Chervony Prapor fut temporairement fermé55. Le projet de tenir un congrès constitutif d'un Parti Communiste Ukrainien était ainsi contrecarré56. Quand ils furent finalement relâchés et que le journal reparut, un article de Kachinivsky résumait ainsi la situation :
« Il n'y a pas deux mois que les autorités soviétiques occupent Kyiv, mais nous n'avons toujours pas vu le vrai pouvoir des soviets et la dictature du prolétariat. Tout ce que nous avons est la dictature du parti communiste. »57
2.3 Marxistes ukrainiens et Hongrie des soviets (1919)
La politique du régime Rakovsky a produit une explosion de forces centrifuges: submergée sous les troubles paysans et ouvriers, l'Ukraine soviétique commence à se désintégrer en luttes intestines. La crise devient aigüe juste quand la révolution européenne reflue, et la question ukrainienne devient cruciale pour le destin de la république des soviets, car c'est par là qu'une aide directe pouvait lui parvenir58 Le nouveau gouvernement de la République Hongroise des Conseils manifesta sa sympathie à la cause ukrainienne. Une mission diplomatique ukrainienne conduite par le vieux social-démocrate Mykola Halahan était à Budapest, et un groupe communiste ukrainien y fut organisé, publiant l'hebdomadaire Chervona Ukraina59 Bela Kun exprima son soutien à une « Ukraine soviétique indépendante » et intervint avec Erno Por, pour résoudre la situation. Vynnychenko, qui avait rompu avec le Directoire et s'était lui-même rapproché des Nezalezhnyky, est accueilli à Budapest par Kun le 30 mars. Leurs discussions avec les émigrés pro-communistes du POSDU ont abouti à un programme que Kun présente à Mosou. Il reprend la demande des Nezalezhniky pour une « République Ukrainienne des Soviets pleinement indépendante et souveraine » avec
« Un gouvernement de la République Ukrainienne des Soviets consistant dans les social-démocrates ukrainiens Nezalezhnyky, les socialistes-révolutionnaires de gauche ukrainiens, et les communistes ukrainiens ainsi que tous les partis socialistes ukrainiens acceptant la plate-forme du pouvoir des soviets. »60
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