Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc

Cités et ruines américaines: Mitla, Palenqué, Izamal, Chichen-Itza, Uxmal


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cour intérieure entourée de salles étroites. De la grande salle à colonnes, on ne communique à cette cour intérieure que par un passage détourné. Le bâtiment de droite ne renferme qu'une seule salle, de même avec une épine de colonnes; celui antérieur et celui de gauche ne laissent plus voir qu'un amas de ruines; tout indique qu'ils étaient disposés comme l'édifice de droite.

      La magnifique vue photographique, pl. V et VI, donne la façade du bâtiment principal du côté de la cour. On distingue parfaitement les trois portes, en partie murées postérieurement à la construction, qui donnent entrée dans la grande salle à colonnes. Au sommet des piles qui forment les pieds-droits de ces

      image pas disponible Fig 11.

      portes, on remarquera quatre trous ronds, destinés très-vraisemblablement à recevoir quatre boulins supportant une banne en étoffe.

      Les monuments de la Grèce et ceux de Rome, de la meilleure époque, égalent seuls la beauté de l'appareil de ce grand édifice. Les parements dressés avec une régularité parfaite, les joints bien coupés, les lits irréprochables, les arêtes d'une pureté sans égale indiquent, de la part des constructeurs, du savoir et une longue expérience. Dans ce monument, les linteaux ne sont plus en bois, mais en grandes pierres, comme ceux des édifices de l'Égypte et de la Grèce. Le grand appareil forme une suite d'encadrements alternés, sertissant un appareil très-délié, composé de petites pierres parfaitement taillées et de la dimension d'une brique, formant par leur assemblage des méandres, des treillis d'un bon goût et tous variés dans leurs combinaisons. Comme dans les autres monuments que nous avons déjà examinés, ces parements masquent un blocage en mortier et moellons.

      Les pl. VI, VII et VIII donnent l'aspect extérieur de ce palais, du côté occidental, avec l'angle rentrant que forme l'annexe accolée à la grande salle.

      Si nous franchissons les portes ouvertes sur la façade principale, nous entrons dans la grande salle à colonnes, pl. X. Les murs de cette salle sont revêtus d'un enduit fort dur, ainsi que le pavé; les colonnes, taillées dans un calcaire poreux, sont monolithes et dépourvues de chapiteaux; leurs fûts, légèrement fuselés, sont terminés à la partie supérieure par des cônes tronqués (voir la coupe A de la fig. 11, faite sur la ligne ba du plan). Ces formes rappellent certaines colonnes de réserve des hypogées de l'Inde. À Mitla, les colonnes, disposées en épine, étaient destinées à diminuer la portée des poutres soutenant la couverture de la salle; car ici les parois verticales laissaient à ces poutres une portée considérable, eu égard à la charge qu'elles étaient destinées à soutenir. La fig. 12, donnant la coupe restaurée de la salle principale, fera comprendre l'utilité des colonnes.

      Aujourd'hui, la construction, dérasée au niveau A, ne laisse plus voir que les portions des blocages qui étaient comprises entre les solives. Il y a tout lieu de croire que les colonnes portaient deux chapeaux en bois (B dans la coupe transversale et B´ dans la portion de coupe longitudinale), lesquels recevaient les deux autres chapeaux (C dans la coupe transversale, C´ dans la coupe longitudinale), soulageant les portées des deux filières (D dans la coupe transversale, D´ dans la coupe longitudinale). Sur ces filières passaient les solives E, engagées, à leurs extrémités, dans les murs, et soulagées encore par les corbelets en bois F. Un épais plancher de solives jointives fermait le tout et recevait un bétonnage couvert d'un enduit. La petitesse des matériaux de pierre accumulés à l'intérieur ou à l'extérieur du palais de Mitla ne peut faire supposer que ces colonnes aient jamais supporté des linteaux de pierre.

      image pas disponible Fig 12.

      D'ailleurs ce genre de construction a beaucoup d'analogie avec certains monuments du nord de l'Inde et du Japon. Trois petites niches carrées s'ouvrent dans le mur du fond, en face des trois portes, et une porte étroite et basse donne entrée dans le couloir qui communique de cette salle à la cour intérieure, dont la pl. XI nous présente une vue. C'est le même système d'appareil que celui des dehors: grands linteaux au-dessus de la porte[46], fortement accusés par un large encadrement.

      Mais la partie la plus curieuse de cet édifice est peut-être la salle donnant sur cette cour et dont M. Charnay a pu faire la photographie, pl. IX. Cette salle est entièrement tapissée au moyen de cet appareil de petites pierres en forme de briques composant des dessins de méandres très-variés. Comme la grande salle, cette pièce était couverte par un solivage en bois et ne recevait de jour que par la porte. C'était là, il faut en convenir, un singulier intérieur, surtout si l'on se figure ces mosaïques saillantes, revêtues de peintures; mais les salles des palais égyptiens n'étaient ni plus ouvertes ni d'un aspect moins sévère.

      Du bâtiment situé du côté oriental de la grande cour du palais, il ne reste plus, pl. XII, qu'une porte et deux colonnes. Cette construction rappelle exactement celle du grand bâtiment. Il faut dire que l'aire de la grande cour est entièrement revêtue d'un ciment très-résistant.

      La pl. XIII donne la vue d'un des autres palais ruinés de Mitla et dont la construction ne diffère du précédent qu'en ce qu'un vaste souterrain est réservé sous la salle. Là encore, les trois portes avec les trous dans les pieds-droits, les trois niches dans le mur du fond, le grand et bel appareil.

      Les autres planches reproduisent certains aspects des palais plus ou moins ruinés de Mitla, mais qui présentent tous les mêmes caractères que nous observons dans le premier décrit. Les deux colonnes qui sont posées devant une porte ouverte depuis peu dans le mur du palais, pl. III, proviennent d'ailleurs et ne sont point là à leur place. Ces colonnes étaient toujours posées en épine dans les intérieurs des grandes salles.

      Le téocalli de Mitla, dépouillé malheureusement de son temple antique, est représenté dans la pl. II. Son large emmarchement est encore conservé.

      La photographie du célèbre calendrier mexicain conservé à Mexico, pl. I, commence la série des planches qui composent la collection des monuments recueillis par M. Charnay. Nous retrouvons dans cette sculpture le faire de celle de Palenqué.

      Il y a certainement une analogie de style entre tous les monuments que nous venons de décrire, et cependant on ne peut les considérer comme appartenant les uns et les autres aux mêmes écoles d'art, partant aux mêmes races et aux mêmes traditions.

      Ainsi, habituellement, dans la péninsule yucatèque, la tradition de la structure en bois est visible, le goût exagéré de l'ornementation se fait sentir, les constructions à parois inclinées pour les intérieurs sont générales, la sculpture est abondante, et la reproduction de la figure humaine très-fréquente; tandis qu'à Mitla, pas de sculpture, aucune ornementation autre que celle donnée par l'assemblage de l'appareil, les parois intérieures des salles sont verticales, les colonnes sont employées, la construction est parfaite, et le bois n'apparaît dans ces bâtisses que pour la couverture, sans que rien fasse apercevoir, dans les formes de la maçonnerie, une imitation d'une structure primitive en bois. Si les Yucatèques cherchent la variété en élevant les divers bâtiments d'un même palais, les Zapotèques de Mitla semblent au contraire avoir adopté un type, une forme première dont il leur est interdit de s'écarter. D'ailleurs, dans tous ces monuments, temples ou palais, qu'ils s'élèvent sur le sol mexicain ou sur le plateau de l'Yucatan, il est impossible de ne pas reconnaître l'influence d'un art hiératique, rivé à certaines formes consacrées par une civilisation essentiellement théocratique; or, les arts hiératiques ne se développent jamais que dans certaines conditions sociales, comme les institutions théocratiques elles-mêmes. Les civilisations fondées sur une théocratie n'ont jamais pu s'établir que là où se manifestait la présence d'une race supérieure au milieu d'une race inférieure, et où cette dernière était assez nombreuse et assez forte pour ne pas être anéantie. La théocratie n'existe qu'avec le principe des castes, et les castes ne se sont instituées à l'état d'ordre social que dans les contrées où une invasion aryane avait été assez puissante pour soumettre par la force des populations finniques, touraniennes, ou noires, ou métisses. Mais les Aryans,