Cités et ruines américaines: Mitla, Palenqué, Izamal, Chichen-Itza, Uxmal
de l'Inde septentrionale; mais comment ces rapports se sont-ils établis? Est-ce par le nord-est? est-ce par le nord-ouest? C'est une question réservée jusqu'au moment où la connaissance de ces monuments indo-septentrionaux sera complète.
Viollet-Le-Duc.
LE MEXIQUE
1858-1861
SOUVENIRS ET IMPRESSIONS DE VOYAGE
Un pays est un livre que chaque voyageur a
le droit de commenter à sa manière, en s'appuyant
sur la vérité.
CHAPITRE PREMIER
Départ de Paris.—La Vera-Cruz.—Saint-Jean d'Ulloa.—Aspect général de la ville—Le port.—Le môle.—Excursion aux environs.—Le nord à Vera-Cruz.—Le départ.—Médellin.—La route de Mexico.
Chargé d'une mission par le ministre d'État, à l'effet d'explorer les ruines américaines, je quittai Paris le 7 avril 1857, me dirigeant sur Liverpool par New-Haven et Londres: deux amis m'accompagnaient. Le lendemain, nous étions à bord de l'America, paquebot transatlantique de la compagnie Cunard, en partance pour Boston.
Je l'avoue humblement, quoiqu'ayant beaucoup voyagé, je ne m'embarque jamais sans une certaine appréhension; je n'aime point l'Océan, il me fait peur. Je suis peut-être moins poëte qu'homme de mer, et, dès l'instant du départ, je ne rêve qu'au jour de l'arrivée. Voyez à quoi peut tenir une question d'art? En mer, j'ai le cœur sensible, un autre ne l'a point; il admire tout, rien n'est beau pour moi; je suis malade, il est bien portant.
Je ne dirai rien d'un séjour de huit mois aux États-Unis: c'est pourtant un beau voyage que celui qui vous montre New-York et Boston, le Saint-Laurent, ses chutes et ses rapides, les grands lacs, le Niagara, les plaines de l'Ouest et le parcours prodigieux du Mississipi. Je réserve à ces belles choses une étude à part, et j'arrive à Vera-Cruz, où nous abordâmes à la fin de novembre.
On donne généralement à Vera-Cruz une physionomie orientale; quelques coupoles assez basses pourraient seules rappeler le style des mosquées, mais il faudrait une bonne volonté singulière pour prêter à ses lourds clochers l'élégance des minarets. Quant à ces bouquets de verdure qui distinguent et réjouissent les villes d'Orient, on ne trouve à la porte de Mexico que cinq à six palmiers rabougris, seuls échantillons de l'espèce; encore n'existent-ils plus aujourd'hui.
Vu de la mer, l'aspect de Vera-Cruz est des moins flatteurs; c'est une ligne monotone de maisons basses, noircies par les pluies et par les vents du nord. Les bâtiments de la douane, d'un style moderne, et la porte monumentale qui les décore sont, en fait d'architecture, ce que la ville offre de plus remarquable.
Les églises sont pauvres, comparativement à la richesse qu'elles déploient dans toute la république; elles y sont mal suivies, et la population de Vera-Cruz ne brille point par sa piété. Essentiellement commerçante, entrepôt de toutes les marchandises qui montent à l'intérieur, Vera-Cruz est peuplée d'un grand nombre d'étrangers; les affaires lui font oublier l'Église; comme partout au monde, l'amour du lucre éloigne de Dieu.
Assise sur les sables de la mer, entourée de dunes arides et de lagunes croupissantes, Vera-Cruz est pour l'étranger le séjour le plus malsain de la république. La fièvre jaune y règne en permanence, et, quand un centre d'émigration lui fournit de nouveaux aliments, elle devient alors épidémique et d'une violence extrême.
En fait de port, Vera-Cruz n'a qu'un mauvais mouillage où les bâtiments de commerce ne sont point en sûreté; l'abri du fort est leur seule défense contre les vents du nord, et souvent, dans les tempêtes, ils dérapent et sont jetés à la côte. Les gros bâtiments et les navires de guerre vont mouiller à Sacrificios, à quatre kilomètres au sud, ou bien à l'île Verte, à plus de deux lieues de distance. Quand vient le vent du nord, rien ne peut donner une idée de sa violence; il souffle par terribles rafales, soulevant des tourbillons de sable qui pénètre les habitations les mieux closes; aussi, tout se ferme aux premiers symptômes: les barques rentrent, on les enchaîne, les navires doublent leurs ancres, le port se vide, tout mouvement est suspendu, la ville paraît déserte et inhabitée. Un froid subit envahit l'atmosphère, le Cargador s'enveloppe grelottant dans sa couverture, le paletot de laine remplace la jaquette de toile, on gèle; le môle disparaît sous les vagues monstrueuses que soulève la tempête; les vaisseaux se heurtent dans le port, heureux quand la tourmente ne les jette pas à la côte. Néanmoins, le vent du nord est un bienfait pour la ville; sa première venue est le signe d'une époque plus saine qui ramène l'étranger dans ses murs; le vomito diminue de violence, quelquefois disparaît et n'offre que rarement des cas mortels.
Vera-Cruz est, pour l'homme d'affaires, la ville la plus désirable comme résidence; la vie y est plus facile et sinon plus confortable, à cause des grandes chaleurs, du moins plus grande, plus large, plus abondante. Les vins y sont aussi communs qu'en France, le golfe abonde en poissons délicieux: toutes choses considérées comme luxe et que les gens riches hésitent à s'offrir dans l'intérieur de la république. Le marché abonde en fruits des tropiques et l'Indien y apporte toute la famille des oiseaux du soleil, depuis le moqueur et le perroquet jusqu'au grand ara rouge de Tabasco. Le caractère des habitants est plus liant, moins gourmé, et l'on se sent au milieu d'eux plus vite chez soi.
Puis, cette allée et venue des navires européens, cet échange de nouvelles qui vous tient sans cesse au courant de la politique du vieux monde et des fluctuations de la littérature dans la mère patrie, rapprochent Vera-Cruz de la France; il semble qu'on puisse partir à toute heure. Ajoutez à cela le golfe et ses eaux bleues, les bains de mer, ce môle, si modeste qu'il soit, où l'on va rêver le soir sous un magnifique dais d'étoiles, où, le jour, on épie la marche incertaine d'une voile à l'horizon: imaginez ce ciel merveilleux, dont parfois l'azur vous lasse; animez-le de ces bandes criardes d'oiseaux de mer et de ces petits vautours noirs qui le virgulent à des hauteurs prodigieuses; voyez à vos pieds ces deux pélicans vénérables, antiques habitués du port, qui plongent silencieusement, s'élèvent et replongent pour venir se reposer pleins d'une burlesque majesté sur la hampe du drapeau de la douane, et vous aurez la plage de Vera-Cruz.
Ce qui donne à la ville une physionomie toute particulière, c'est la foule innombrable de ces petits vautours noirs qui encombrent les rues, couvrent les maisons et les édifices. Ils se dérangent à peine quand vous passez, et lorsque les ménagères viennent déposer sur le devant des portes les immondices de la maison, ils se précipitent avec acharnement; c'est une mêlée générale, une dispute, des tiraillements, un véritable combat, où les chiens se mêlent et dont ils ne sortent point toujours vainqueurs. Les zopilotes sont chargés de l'édilité de la ville; aussi chacun les respecte; une amende assez forte est même infligée à qui les tue.
À la porte de Mexico se trouve une petite promenade, déserte la semaine, et qui n'offre une certaine animation que le dimanche. Dans le faubourg, qui le suit, les matelots et les gens du port viennent danser le soir, en même temps qu'offrir à quelque danseuse émérite des hommages vivement disputés. Le couteau joue souvent un rôle actif dans ces réunions de famille; la danse, menée par la guitare et le chant monotone de l'instrumentiste, n'est qu'un piétinement cadencé, accompagné de mouvements lascifs propres à exciter les passions de la galerie; aussi le triomphe de la danseuse n'est complet que consacré par quelque sanglante dispute.
Si vous sortez de Vera-Cruz, la côte nord ne vous offre qu'une vaste plaine de sable. Au sud, vous avez le cimetière, puis les abattoirs; un peu plus loin, vous entrez dans les dunes et vous tombez au milieu de marais couverts de garzas, de hérons et de canards sauvages. Les îles sont peuplées d'iguanes et de serpents; la perspective se continue