Cités et ruines américaines: Mitla, Palenqué, Izamal, Chichen-Itza, Uxmal
romanciers en vogue ont cependant choisi ces déserts sablonneux comme siége d'aventures impossibles. Ils peuplent, à l'envi, ces marais fangeux d'habitations délicieuses, de palais magiques où s'agitent, au milieu des luxes réunis de la nature et de l'art, d'enivrantes créatures et des héros dignes de l'Arioste. Ô capitaine Maine-Read, que d'affreuses bourdes vous racontez à vos indulgents lecteurs!
Pour trouver la végétation tropicale, il faut franchir quatre ou cinq lieues au moins de ces broussailles marécageuses; ou bien, remontant la rivière de Boca del Rio, vous arriverez, par une suite de charmants paysages, jusqu'à Médellin, village délicieux au milieu des bois, et dont la fête patronale attire à ses jeux toute la population de la Vera-Cruz et des environs.
Deux diligences vont de Vera-Cruz à Mexico: l'une passant par Jalapa, l'autre par Orizaba; c'est la route la plus courte, mais la plus ennuyeuse. Il reste au touriste les chariots. Les chariots partent ordinairement par convois de douze, vingt-quatre ou trente-six, et ce n'est pas une des choses les moins pittoresques de la route que le spectacle de cette immense file de voitures et les soins qu'un tel matériel comporte. Ces convois ont une organisation parfaite: une douzaine possède d'habitude un majordome, un sergent, puis un caporal; chaque voiture a dans la marche une place spéciale, un numéro qu'elle doit conserver jusqu'au jour de l'arrivée. Le conducteur, toujours à cheval sur la timonière de gauche, a quatorze mules qui sont les siennes et rien n'égale l'instinct extraordinaire qui lui permet de distinguer dans l'obscurité et de reconnaître, au milieu d'un troupeau de deux cents mules qui paraissent à peu près de la même couleur, les mules de son chariot. Je me rappelle, à ce sujet, une anecdote qui prouve à quel point un arriero possède cette faculté presque divinatoire.
Un Français de mes amis, se rendant avec sa famille de Tehuantepec à San Cristobal, dans l'État de Chiapas, voyageait avec des mules qui lui appartenaient, une douzaine au moins, sous la conduite d'un arriero, son domestique. La course est longue et c'est un grand voyage que quinze journées de marche avec femme et enfants.
Là, point de routes royales, mais d'étroits sentiers coupant la plaine ou longeant les précipices de la Cordillère. Le voyageur n'a souvent pour auberge qu'un abri de chaume et pour ses mules d'autres ressources que les broussailles de la forêt. Chaque soir, il faut donc donner aux bêtes la liberté d'errer où bon leur semble, et chaque matin les reprendre au lasso, ce qui n'est pas toujours facile besogne. On comprend que cette manière de voyager ne soit pas des plus expéditives et que, pour une famille, un déplacement lointain est chose considérable.
Il arriva donc que l'une des mules s'égara, disparut dans quelque abîme ou fut volée; en tout cas, les recherches pour la retrouver furent vaines et l'on dut repartir sans elle.
M. L... vivait depuis deux ans à Tuxtla, quand, se trouvant sur la place de Chiapas avec son domestique, ils entendirent au loin les hennissements d'une mule.
—Aquí está la mula, señor, s'écria celui-ci. Voilà votre mule monsieur.
—Quelle mule? répondit le maître, car dès longtemps il avait oublié l'aventure de la bête perdue.
—Eh parbleu! reprit le domestique, la mule que nous perdîmes, il y a deux ans, lorsque vous vîntes en ce pays.
—Tu plaisantes?
—Oh! non pas, mon maître, fit l'Indien; je reconnais sa voix. C'est bien elle, et du reste vous allez voir.
Il disparut aussitôt dans la direction des hennissements et revint, une demi-heure après, traînant une mule après lui.
—Caramba! fit M. L..., c'est bien elle.
En effet, outre la physionomie et la couleur de la mule en question, celle-ci avait bien encore les deux lettres J. L., marque et initiales de mon ami.
Comme notre voyage n'avait d'autre but que de bien voir, et qu'en diligence on ne voit rien; que de plus, nous étions légers d'argent et qu'il eût fallu près de trois mois pour faire venir d'Europe les fonds qui nous manquaient, nous suivîmes, le fusil sur l'épaule, les chariots qui transportaient nos dix-huit cents kilos de bagage. La première étape est celle de la Tejeria. Le chemin de fer s'en charge; au delà, vous trouvez la plaine coupée de taillis et d'arbustes épineux.
Nous étions à la fin de novembre, et les prairies avaient une toison verte encore; les bois étaient feuillus; aussi, la campagne avait cet aspect délicieux et jeune qu'elle ne saurait garder longtemps dans ce pays de pluies périodiques, où pendant neuf mois la terre est privée d'eau. La chaleur était forte, la marche pénible, et parfois nous nous couchions dans les hautes herbes pour attendre que les mules nous rejoignissent. Nous étions donc mollement étendus, la paupière à demie fermée, dans le doux farniente d'un homme qui repose, quand le galop d'un cheval se fit entendre: ne sachant comment expliquer une course semblable, nous crûmes à la poursuite de quelque malheureux par des coureurs de route, et nous nous levâmes aussitôt pour le secourir. Le cavalier était à dix pas de nous; il était seul, nul ne le poursuivait; à l'aspect de trois hommes armés, surgissant des hautes herbes à son approche, d'un effort désespéré il s'arrêta court, la figure pleine d'épouvante, fit volte-face et disparut, nous laissant ébahis; persuadé qu'il était tombé sur trois audacieux brigands, auxquels il n'avait échappé que par miracle; voilà comment les meilleures intentions sont dénaturées. Ainsi donc, à notre premier pas sur la terre mexicaine, nous passâmes pour des voleurs! Quelle éclatante revanche ces messieurs prirent par la suite, et que de fois il nous fallut retourner nos poches sur la poussière des grands chemins!
Le convoi n'atteignit Zopilote qu'à cinq heures du soir: c'était un simple rancho, avec parc pour les mules et une tienda. Nous passâmes la nuit sous une veranda de chaume, exposés à la voracité des moustiques qui sont, en Terre Chaude, les plus terribles tourmenteurs. À minuit, les chariots se mirent en marche. L'étape est longue de Zopilote à Paso de Ovegas; l'obscurité rendait la marche difficile dans des chemins démantelés, coupés de profondes ornières; mais le matin dédommage et les levers de soleil sont splendides: comme d'habitude, nous prîmes les devants; les bois devenaient plus touffus, les arbres plus élevés et des nuées de perruches, aux cris perçants, s'élevaient de toutes parts; nous courions comme des enfants après elles, sans pouvoir les atteindre; souvent nous quittions la route, nous enfonçant dans les bois à la poursuite d'une poule de Montézuma, au risque d'en sortir dévorés par les pinolillos ou couverts de garrapatas; mais la chasse était maigre et nous n'avions que des perroquets verts à tête jaune, des toucans au grand bec et de ces jolies tourterelles, grosses comme des moineaux et qui fourmillent sur les routes.
À midi, nous étions à San Juan, où la Terre Chaude déploie toutes ses splendeurs et, vers les quatre heures, nous arrivâmes à Paso de Ovegas, moulus de fatigue, couverts de poussière et le corps enflé de piqûres d'insectes. Aussi, nous hâtâmes-nous d'aller prendre un bain dans la rivière qui traverse le village. Un compatriote nous offrit l'hospitalité, c'est-à-dire une planche et un établi pour nous étendre. C'était un menuisier, à qui la fortune ne semblait pas sourire, et qui depuis plusieurs années traînait dans cette pauvre bourgade une vie de misère. On rencontre, sur tous les chemins du globe, de ces pauvres écloppés de la civilisation, que des espérances trompeuses amènent dans les pays lointains et qui ne forment qu'un vœu, souvent stérile, celui de revoir la France.
Celui-ci s'informait avec une fiévreuse curiosité des nouvelles de son pays, des grandes victoires que nous avions remportées en Orient; il semblait pour lui que tout était nouveau, et des événements oubliés en Europe avaient à ses yeux la fraîcheur d'une chose récente. Cependant il fallait nous reposer, mais d'affreuses démangeaisons rendaient la chose impossible; l'un de nous éprouvait aux pieds quelques picotements inquiétants.—Auriez-vous des niguas, nous dit notre hôte.
Des niguas! Nous ne savions ce que cela voulait dire, mais nous l'apprîmes aussitôt; nous en avions, hélas! La nigua est un des plus terribles insectes parmi les parasites de Terre Chaude: c'est un petit être imperceptible, qui se loge sous les ongles des doigts de pied, dans le pouce surtout; il s'y creuse