barbare où la force matérielle et la ruse gouvernent seules; là où la race touranienne ou finnique est restée pure, si les mœurs sont moins grossières, si l'on trouve une apparence d'autorité morale, il n'y a point cependant de progrès et de variations sensibles dans l'état social. L'industrie, le commerce se développent jusqu'à un certain point; le bien-être matériel et la discipline peuvent régner, mais jamais l'amour du beau, le dévouement raisonné, l'attrait de la gloire ne remuent ces populations paisibles, attachées à la satisfaction des besoins matériels de chaque jour. L'élément blanc seul donne la vie à ces masses inertes et obscures; il apporte sa cosmogonie, l'observation des temps, sa passion pour la renommée, son besoin incessant d'activité; il veut vivre dans l'avenir et écrit l'histoire. Les traditions ou souvenirs écrits de ce monde datent de l'invasion de l'élément aryan; or, les Mexicains avaient une histoire, tous les auteurs espagnols l'ont reconnu, et Las Casas[50], entre autres, le dit de la manière la plus formelle.
«Dans les républiques de ces contrées, dans les royaumes de la Nouvelle-Espagne et ailleurs, entre autres professions et gens qui en avaient la charge étaient ceux qui faisaient les fonctions de chroniqueurs ou d'historiens. Ils avaient la connaissance des origines et de toutes les choses touchant à la religion, aux dieux et à leur culte, comme aussi des fondateurs des villes et des cités. Ils savaient comment avaient commencé les rois et les seigneurs, ainsi que leurs royaumes, leurs modes d'élection et de succession; le nombre et la qualité des princes qui avaient passé; leurs travaux, leurs actions et faits mémorables, bons et mauvais; s'ils avaient gouverné bien ou mal; quels étaient les hommes vertueux ou les héros qui avaient existé; quelles guerres ils avaient eu à soutenir et comment ils s'y étaient signalés; quelles avaient été leurs coutumes antiques et les premières populations; les changements heureux ou les désastres qu'ils avaient subis; enfin tout ce qui appartient à l'histoire, afin qu'il y eût raison et mémoire des choses passées.
«Ces chroniqueurs tenaient le comput des jours, des mois et des années. Quoiqu'ils n'eussent point une écriture comme nous, ils avaient, toutefois, leurs figures et caractères, à l'aide desquels ils entendaient tout ce qu'ils voulaient, et de cette manière ils avaient leurs grands livres composés avec un artifice si ingénieux et si habile, que nous pourrions dire que nos lettres ne leur furent pas d'une bien grande utilité... Il ne manquait jamais de ces chroniqueurs; car, outre que c'était une profession qui passait de père en fils et fort considérée dans la république, toujours il arrivait que celui qui en était chargé instruisait deux ou trois frères ou parents de la même famille en tout ce qui concernait ces histoires; il les y exerçait continuellement durant sa vie, et c'était à lui qu'ils avaient recours lorsqu'il y avait du doute sur quelque point de l'histoire. Mais ce n'était pas seulement ces nouveaux chroniqueurs qui lui demandaient conseil, c'étaient les rois, les princes, les prêtres eux-mêmes...»
Ces chroniqueurs, ces juges, consultés par les princes, avaient plus d'un rapport avec les mages; ce texte ne laisse à cet égard aucun doute, et il est difficile de leur chercher une autre souche que celle d'où sortaient ces personnages essentiels de la société antique de l'Asie. Les traditions mexicaines donnent aux populations de ces contrées trois origines. Elles prétendent que toutes vinrent du nord et de l'orient; les premières, les Chichimèques, étaient des sauvages vivant de chasse et n'ayant ni villes ni cultures; les secondes, les Colhuas, qui enseignèrent à cultiver la terre et donnèrent les premières notions de la vie civilisée; les dernières, venues longtemps après, furent les Nahuas, qui instituèrent un gouvernement, apportèrent une religion et un culte. Les Colhuas seraient arrivés, à travers l'Océan, de l'orient, neuf ou dix siècles avant l'ère chrétienne, et leurs descendants seraient les fondateurs de ces monuments merveilleux de Palenqué et de Mayapan. Quant aux Nahuas, descendus par le nord-est, ils se seraient, après des luttes acharnées, emparés du Mexique. Nation guerrière, important avec elle un culte farouche, mais intelligente et superbe, elle aurait imposé un joug théocratique aux habitants de ces contrées. Ces immigrations du nord-est paraissent n'avoir pas cessé jusqu'au xiie siècle de notre ère. Ces Nahuas procèdent vis-à-vis les possesseurs du pays comme le faisaient les nations belliqueuses du nord en face du vieil empire romain. Ils demandent d'abord un territoire pour établir une colonie et pour vivre; ils acceptent l'état de vassaux et de tributaires; puis, quand ils se sentent assez forts, ils attaquent la puissance suzeraine.
L'État de Guatémala et de Chiapas, de Xibalba dans le Popol-Vuh, était le centre de la domination des Quinamés ou Colhuas[51]. Le Livre sacré représente le roi de ces contrées et ses fils comme des géants; l'un se dit l'égal du soleil et de la lune, ses enfants roulent des montagnes. C'est contre cette race orgueilleuse que les Nahuas ouvrent la lutte, personnifiés en deux frères, Zaki-Nim-Ak (le grand Sanglier blanc), et Zaki-Nima-Tzyiz (le grand-blanc-piqueur d'épines)[52]. Les géants sont vaincus et écrasés. Cependant (toujours d'après le Popol-Vuh) la guerre continue et se termine à l'avantage des Nahuas. L'auteur du Livre sacré, après une sorte d'anathème jeté aux gens de Xibalba, porte sur eux ce jugement suprême... «Mais leur éclat ne fut jamais bien grand auparavant; seulement ils aimaient à faire la guerre aux hommes; et véritablement on ne les nommait pas non plus des dieux anciennement; mais leur aspect inspirait l'effroi; ils étaient méchants hiboux, inspirant le mal et la discorde.—Ils étaient également de mauvaise foi, en même temps blancs et noirs, hypocrites et tyranniques, disait-on. En outre, ils se peignaient le visage et s'oignaient avec de la couleur[53]...»
Les traditions toltèques, conservées par Ixtlilxochitl[54], présentent les princes nahuas comme souverains de villes riches, puissantes et à peu près indépendantes des rois chichimèques. Leur cité principale, Tlachiatzin, avait été fondée par des hommes sages et d'une grande habileté dans les arts, ce qui avait fait donner à cette ville le surnom de Toltecatl, qui, dans la langue nahuatl, signifie ouvrier ou artiste[55].»
D'après les mêmes traditions conservées par Ixtlilxochitl et Veytia[56], le soulèvement des Toltèques ou Nahuas et leurs victoires auraient eu lieu à la fin du iiie siècle de notre ère[57]. Leur domination ne dura pas toutefois plus d'un siècle. Vaincus à leur tour par la race asservie, ils auraient recommencé une longue série d'émigrations vers l'ouest, puis vers le nord, jusqu'à la hauteur de la Californie, puis vers les contrées du centre et le Pérou, laissant partout des traces de leur passage, fondant des villes, civilisant des pays, mais regrettant toujours le lieu de leur domination, ainsi que le constate le Livre sacré.
La race nahuatl, quelques siècles avant l'ère chrétienne et jusqu'au moment de la chute de Xibalba, aurait occupé le pays montagneux situé dans les États de Chiapas et de Guatémala. Le Tulan dont parlent les traditions guatémaliennes était situé entre les ruines de Palenqué et la ville moderne de Comitan; aussi les mythes qui personnifient les vainqueurs de Xibalba sont-ils présentés comme descendant des degrés pour combattre leurs oppresseurs; mais les héros quichés Hun-Ahpu et Xbalanqué, de race nahuatl pure, ayant fait appel aux animaux, aux brutes, pour détruire l'empire de Xibalba, sont reçus froidement par leurs concitoyens, lorsqu'ils reviennent après la victoire, car ils ont vaincu avec l'aide des races inférieures, des barbares. La mention de ces animaux que les mythes quichés appellent à leur aide dans toutes les circonstances graves, animaux gagnés par des menaces ou des promesses, indiquerait assez que la race nahuatl pure était peu nombreuse et dominait sur des vassaux indigènes considérés comme appartenant à une race inférieure; les frères de Hun-Ahpu et de Xbalanqué, voués aux travaux d'art, changés en singes au moment de la lutte et assimilés ainsi aux brutes, montrent que les arts étaient pratiqués, non par la féodalité nahuatl, mais par ses vassaux de race métisse probablement. Il paraîtrait donc que les édifices de Palenqué, déjà ruinés et oubliés au moment de la conquête des Espagnols, appartiendraient à la race indigène au milieu de laquelle des tribus quichées de race supérieure seraient venues s'établir quelques siècles avant notre ère; mais que les monuments de l'Yucatan, tels que ceux d'Isamal, de Chichen-Itza et d'Uxmal, auraient été élevés, à la suite de la destruction de l'empire xibalbaïde, par les Nahuas.
En effet, entre les monuments de Palenqué et ceux de