Dionigi Cristian Lentini

L'Homme Qui Séduisit La Joconde


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      « Alessandra ! »

      La plus mince des deux se retourna, regarda qui osait prononcer son nom à une heure aussi tardive et, sa vue lui confirmant ce que cette voix avait évoqué dans son souvenir, répondit :

      « Tristano ! »

      En un instant elle se précipita vers lui et, ignorant les conventions et toute inhibition, comme entre jeunes gens se connaissant bien, lui jeta les bras au cou et les yeux tendrement mi-clos, appuya sa tête sur la poitrine du visiteur inattendu.

      Alessandra était la fille si gracieuse de madame Lucrezia Buti et du regretté peintre florentin Filippo Lippi. Sa mère, auparavant sœur Lucrezia, avait été nonne au monastère de Santa Caterina, contrainte par sa famille à une vie monastique forcée. Son père, chapelain du couvent de ce monastère de Prato, était reconnu déjà de son vivant comme un des meilleurs peintres de son époque et, par conséquent, très souvent chargé par les hautes sphères ecclésiastiques et par les familles les plus fortunées de peindre des œuvres très importantes, surtout sur des thèmes bibliques et hagiographiques. Ce fut précisément lors d’un de ces travaux qu’ils se rencontrèrent. L’attirance fut inévitable et irrépressible … elle si belle et sensuelle, lui sensible et charismatique : les deux religieux s’éprirent follement l’un de l’autre. La relation impie entre les murs sacrés du couvent dura quelque temps, au cours duquel sœur Lucrezia se prêtait volontiers comme modèle pour quelques tableaux de Frère Filippo, jusqu’au jour où ce dernier, à l’occasion de la procession de la Sacra Cintola, la ceinture sacrée de la Madone, décida d’enlever sa bien-aimée et de commencer une nouvelle vie avec elle, en concubinage, indifférent au tollé soulevé, au scandale et à la réprobation générale. Evidemment l’Eglise s’opposa fermement au lien les unissant, le considérant comme luxurieux et même diabolique ; c’est seulement des années après, grâce à l’intervention de Cosimo de’ Medici, protecteur de Lippi, auprès du Saint Père, que les deux amants furent finalement réhabilités et obtinrent l’annulation de leurs vœux monastiques. C’est ainsi que naquit la belle Alessandra quelques années plus tard.

      Encore adolescent, Tristano avait connu et fréquenté cette jeune fille si spontanée durant ses séjours à Florence auprès des Medici. Elle avait tout de suite retenu son attention et il avait ressenti une forte attraction pour elle, charmé par la douceur de ses traits mais encore plus par son ouverture d’esprit, son caractère extroverti et son indépendance intellectuelle, caractéristiques qu’elle avait sûrement héritées de ses deux parents dont elle représentait tout à fait le modus cogitandi et operandi.

      Il la revoyait maintenant après cinq ans, encore plus belle, encore plus femme.

      Ils entrèrent tous les deux chez elle pendant que le reste du groupe attendait au dehors. Juste le temps de raconter à la maîtresse de maison les évènements des heures précédentes et les deux amis ressortirent, invitant les compagnons de Tristano à s’installer dans la demeure. Alessandra, malgré l’heure tardive, fit appeler un médecin, fit préparer des chambres pour les invités et, pleine de générosité, assura Tristano de vouloir s’occuper, avec l’aide de sa mère, du complet rétablissement des deux blessés.

      Ainsi, tandis qu’un bon verre de vin accompagnait les récits captivants du visiteur si bienvenu et accentuait le rose aux joues de la charmante demoiselle, Hypnos et ses Oneiroi, les songes ses fils, descendirent lentement sur la ville de Prato.

      Le lendemain après les laudes, le jeune émissaire, remerciant chaleureusement de l’hospitalité reçue, reprit avec son escorte le chemin de Rome où l’attendait impatiemment son protecteur … et avec lui une autre mission passionnante à accomplir. Il fallait pour cela effectuer encore quelques heures de voyage en évitant les imprévus.

      Mais à seulement cent pieds des habitations, sur la route poussiéreuse menant à Florence, les trois cavaliers pontificaux venaient à peine d’accélérer le pas lorsqu’ils furent rejoints par un homme à cheval, portant visiblement le bras en écharpe.

      « Monsieur … Monsieur, je vous en prie. Arrêtez-vous …”

      Ce cavalier hors d’haleine n’était autre que le jeune homme sauvé par Tristano la veille et recueilli avec sa compagne par la famille LIppi. L’officier pontifical dut s’arrêter de nouveau.

      “Je vous en prie, Monseigneur, écoutez-moi bien », supplia-t-il, « ce que vous avez fait et démontré est bien plus noble que n’importe quel blason qui ornerait votre poitrine ou de quelque couronne sur les armoiries de votre famille. »

      Puis il descendit de cheval et se prosterna devant le diplomate :

      « Permettez-moi de vous assurer de ma gratitude éternelle et de vous offrir, bien modestement, mes services, en retour de la dette inextinguible contractée envers vous, du moment où Votre Excellence m’a sauvé, mais bien plus encore ma femme, des griffes homicides de ces canailles. Toute la nuit j’y ai repensé et j’ai mûri ma décision : si vous voulez bien l’accepter, je vous offre mon humble épée et je vous jure fidélité aussi longtemps que vous me permettrez de vous servir. »

      Tristano, vu l’importance de sa charge, n’était certes pas privé de protection et franchement, jusqu’à présent, il s’était toujours tiré d’affaire tout seul … mais il perçut dans le regard de cet homme qui l’implorait une lueur spéciale et un sentiment de gratitude sincère, loyal, désintéressé, hors du commun. Si bien que, sans attendre que cet humble homme du peuple ajoute une seule parole, il demanda :

      « Comment t’appelles-tu, effronté ? »

      « Pietro Di Giovanni, Monseigneur », répondit-il en relevant la tête.

      « Lève-toi Pietro. Vu le retard que tu m’as fait prendre, hélas ta protection ne me sera d’aucune aide contre la colère de mon seigneur… Je n’ai ni blasons, ni armoiries, ni une famille notable à exhiber, mais j’apprécie ta reconnaissance et j’accepte tes services. Maintenant, si tu y tiens tant, avant que je change d’avis, remonte vite en selle et mettons-nous en route sans plus attendre. »

      IV

      La bague du Magnifique

      Giuliano de’ Medici et Simonetta Vespucci

      Pietro, un homme d’âge mûr, rude, à l’aspect négligé mais sans être trop rustre, était très habile avec l’épée (grâce à l’héritage de son père il avait pu fréquenter l’école bolognaise de Lippo Bartolomeo Dardi) ; il possédait une excellente technique et quoique n’étant plus dans sa prime jeunesse, était en bonne condition physique ; il n’aimait pas se définir comme mercenaire mais, comme beaucoup, jusqu’à présent il avait gagné sa vie à la solde d’un seigneur ou d’un autre, participant à tant de ces batailles et échauffourées qui animaient en ces années-là l’entière péninsule.

      Pendant le voyage, à un moment où ils avaient ralenti l’allure, le spadassin vint aux côtés de Tristano, et s’assurant que les naseaux de son cheval ne dépassassent jamais celui de son nouveau maître, osa demander :

      « Vous me permettez une question, Votre Excellence ? »

      « Bien sûr Pietro, vas-y », répondit le fonctionnaire distingué, tournant légèrement la tête vers son audacieux interlocuteur.

      « Comment se fait-il, Monsieur, que vous portiez cette bague ? Il s’agit vraiment de la bague de Lorenzo de’ Medici, Le Magnifique ? »

      Tristano laissa passer un moment de silence, une ébauche de sourire aux lèvres mais, certain de pouvoir faire confiance à cet homme qu’il connaissait depuis si peu de temps mais qu’il appréciait déjà, surmonta ses réserves et commença son récit :

      « Il y a sept ans, le cardinal Orsini m’emmena avec lui à Florence, à la suite d’une délégation médicale organisée pour porter assistance à Son Excellence Révérendissime, Rinaldo Orsini, archevêque