George Sand

Lélia


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s’il a brisé ma poitrine, il n’a pas égaré ma raison. La raison ne s’égare jamais auprès de vous, Lélia! Soyez tranquille, vous dis-je, je ne suis pas un de ces audacieux pour qui un baiser de femme est un gage d’amour. Je ne me crois pas le pouvoir d’animer le marbre et de ressusciter les morts.

      Et pourtant votre haleine a embrasé mon cerveau. A peine vos lèvres ont effleuré l’extrémité de mes cheveux, et j’ai cru sentir une étincelle électrique, une commotion si terrible, qu’un cri de douleur s’est échappé de ma poitrine. Oh! vous n’êtes pas une femme, Lélia, je le vois bien! J’avais rêvé le ciel dans un de vos baisers, et vous m’avez fait connaître l’enfer.

      Pourtant votre sourire était si doux, vos paroles si suaves, que je me laissai ensuite consoler par vous. Cette terrible émotion s’émoussa un peu, je vins à bout de toucher votre main sans frissonner. Vous me montriez le ciel, et j’y montais avec vos ailes.

      J’étais heureux cette nuit en me rappelant votre dernier regard, vos derniers mots; je ne me flattais pas, Lélia, je vous le jure, je savais bien que je n’étais pas aimé de vous, mais je m’endormais dans ce mol engourdissement où vous m’aviez jeté. Voici déjà que vous me réveillez pour me crier de votre voix lugubre:—Souviens-toi, Sténio, que je ne puis pas t’aimer! Eh! je le sais, Madame, je le sais trop bien!

       Table des matières

      Lélia, adieu, je vais me tuer. Vous m’avez fait heureux aujourd’hui, demain vous m’arracheriez bien vite le bonheur que par mégarde ou par caprice vous m’avez donné ce soir. Il ne faut pas que je vive jusqu’à demain, il faut que je m’endorme dans ma joie et que je ne m’éveille pas.

      Le poison est préparé; maintenant je puis vous parler librement, vous ne me verrez plus, vous ne pourrez plus me désespérer. Peut-être regretterez-vous la victime que vous pouviez faire souffrir, le jouet que vous vous amusiez à tourmenter sous votre souffle capricieux. Vous m’aimiez plus que Trenmor, disiez-vous, quoique vous m’estimassiez moins. Il est vrai que vous ne pouvez pas torturer Trenmor à votre gré; contre lui votre puissance échoue, vos ongles n’ont pas de prise sur ce cœur de diamant. Moi, j’étais une cire molle qui recevait toutes les empreintes; je conçois, artiste, que vous vous plaisiez mieux avec moi. Vous me tourmentiez à votre guise et vous me donniez toutes les formes de vos inspirations. Triste, vous imprimiez à votre œuvre le sentiment dont vous étiez dominée; calme, vous lui donniez l’air calme des anges; irritée, vous lui communiquiez l’affreux sourire que le démon a mis sur vos lèvres. Ainsi le statuaire fait un dieu avec un peu de fange, et un reptile avec la même fange qui fut un dieu.

      Lélia, pardonne à ces instants de haine que tu m’inspires: c’est que je t’aime avec passion, avec délire, avec désespoir. Je puis bien te le dire sans t’offenser, sans te désobéir, puisque c’est la dernière fois que je te parle: tu m’as fait bien du mal! Et pourtant il t’était bien facile de faire de moi un homme heureux, un poëte aux idées riantes, aux vives inspirations; avec un mot par jour, avec un sourire chaque soir, tu m’aurais fait grand, tu m’aurais conservé jeune. Au lieu de cela, tu n’as cherché qu’à me flétrir et à me décourager. Tout en disant que tu voulais garder en moi le feu sacré, tu l’as éteint jusqu’à la dernière étincelle; tu le rallumais méchamment afin d’en surprendre l’éruption et d’en étouffer la flamme. Maintenant, je renonce à l’amour, je renonce à la vie: es-tu contente? Adieu!

      Minuit approche. Je vais... où tu ne viendras pas, Lélia! car il est impossible que nous ayons le même avenir. Nous n’adorons pas la même puissance, nous n’habiterons pas les mêmes cieux...

       Table des matières

      Minuit sonna: Trenmor entra chez Sténio, il le trouva pensif, assis auprès du feu. Le temps était froid et sombre; la bise sifflait d’une voix aiguë sous les lambris vides et sonores. Il y avait sur une table, devant Sténio, une coupe remplie jusqu’aux bords, que Trenmor renversa en l’effleurant de son manteau.

      «Il faut que vous veniez avec moi auprès de Lélia, lui dit-il d’un air grave mais paisible; Lélia veut vous voir. Je pense que son heure est venue et qu’elle va mourir.»

      Elle était couchée sur un sofa; ses joues avaient un reflet bleu, ses yeux semblaient s’être retirés sous l’arc profond de ses sourcils. Un grand pli traversait son front, ordinairement si poli et si blanc; mais sa voix était pleine et assurée, et le sourire du dédain errait, comme de coutume, sur ses lèvres mobiles.

      Il y avait auprès d’elle le joli docteur Kreyssneifetter, un charmant homme tout jeune, blond, vermeil, au sourire nonchalant, à la main blanche, au parler doucereux et protecteur. Le joli docteur Kreyssneifetter tenait familièrement une main de Lélia dans les siennes, et, de temps eu temps, il interrogeait le mouvement de l’artère; puis il passait son autre main dans les belles boucles de sa chevelure, artistement relevée en pointe sur le sommet de son noble crâne.

      «Ce n’est rien, disait-il avec un aimable sourire, rien du tout. C’est le choléra, le choléra-morbus, la chose la plus commune du monde dans ce temps-ci, et la maladie la mieux connue. Rassurez-vous, mon bel ange! vous avez le choléra, une maladie qui tue en deux heures ceux qui ont la faiblesse de s’en effrayer, mais qui n’est point dangereuse pour les esprits fermes comme les nôtres. Ne vous effrayez donc pas, aimable étrangère! Nous sommes ici deux qui ne craignons pas le choléra, vous et moi défions le choléra! Faisons peur à ce vilain spectre, à ce hideux monstre qui fait dresser les cheveux au genre humain. Raillons le choléra! c’est la seule manière de le traiter.

      —Mais, dit Trenmor, si l’on essayait le punch du docteur Magendie?

      —Pourquoi pas le punch du docteur Magendie, dit le joli docteur Kreyssneifetter, si le malade n’a point de répugnance pour le punch?

      —J’ai ouï dire, reprit Lélia avec un sang-froid caustique, qu’il était fort contraire. Essayons plutôt les adoucissants.

      —Essayons les adoucissants, si vous croyez à la vertu des adoucissants, dit le joli docteur Kreyssneifetter.

      —Mais que conseilleriez-vous selon votre conscience? dit Sténio.»

      A ce mot de conscience, le docteur Kreyssneifetter jeta un regard de compassion moqueuse au jeune poëte; puis il se remit parfaitement, et dit d’un air grave:

      «Ma conscience m’ordonne de ne rien ordonner du tout, et de ne me mêler en rien de cette maladie.

      —C’est fort bien, docteur, dit Lélia. Alors, comme il se fait tard, bonsoir! N’interrompez pas plus longtemps votre précieux sommeil.

      —Oh! ne faites pas attention, reprit-il; je suis bien ici, je me plais à suivre les progrès du mal. J’étudie, j’aime mon métier de passion, et je sacrifie volontiers mes plaisirs et mon repos; je sacrifierais ma vie, s’il le fallait, pour le bien de l’humanité.

      —Quel est donc votre métier, docteur Kreyssneifetter? demanda Trenmor.

      —Je console et j’encourage, répondit le docteur: c’est ma vocation. L’étude m’a révélé toute l’importance des maladies dont l’homme est assiégé. Je la constate, je l’observe, j’assiste au dénouement, et je profite de mes observations.

      —Pour ordonnancer les précautions du système hygiénique applicable à votre aimable personne? dit Lélia.

      —Je crois peu à l’influence