George Sand

Lélia


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de Saint-Preux. Voyons, poëte, si tu comprends encore la douleurs; voyons, jeune homme, si tu crois encore à l’amour.

      —Hélas! Lélia, s’écria Sténio en tordant ses blanches mains, vous êtes femme et vous n’y croyez pas! Où en sommes-nous, où en est le siècle?»

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      «Dieu du ciel et de la terre, Dieu de force et d’amour, entends une voix pure qui s’exhale d’une âme pure et d’un sein vierge! Entends la prière d’un enfant; rends-nous Lélia!

      Pourquoi, mon Dieu, veux-tu nous arracher si tôt la bien-aimée de nos cœurs? Écoute la grande et puissante voix de Trenmor, de l’homme qui a souffert, de l’homme qui a vécu. Entends le vœu d’une âme encore ignorante des maux de la vie. Tous deux te demandent de leur conserver leur bien, leur poésie, leur espoir, Lélia! Si tu veux déjà la placer dans ta gloire et l’envelopper de tes éternelles félicités, reprends-la, mon Dieu, elle t’appartient; ce que tu lui destines vaut mieux que ce que tu lui ôtes. Mais, en sauvant Lélia, ne nous brise pas, ne nous perds pas, ô mon Dieu! Permets-nous de la suivre et de nous agenouiller sur les marches du trône où elle doit s’asseoir...

      —C’est fort beau, dit Lélia en l’interrompant, mais ce sont des vers et rien de plus. Laissez cette harpe dormir en paix, ou mettez-la sur la fenêtre; le vent en jouera mieux que vous. Maintenant, approchez. Va-t’en, Trenmor, ton calme m’attriste et me décourage. Viens, Sténio, parle-moi de toi et de moi. Dieu est trop loin, je crains qu’il ne nous entende pas; mais Dieu a mis un peu de lui en toi. Montre-moi ce que ton âme en possède. Il me semble qu’une aspiration bien ardente de cette âme vers la mienne, il me semble qu’une prière bien fervente que tu m’adresserais me donnerait la force de vivre. La force de vivre! Oui! il ne s’agit que de le vouloir. Mon mal consiste, Sténio, à ne pouvoir pas trouver en moi cette volonté. Tu souris, Trenmor! Va-t’en. Hélas! Sténio, ceci est vrai, j’essaie de résister à la mort, mais j’essaie faiblement. Je la crains moins que je ne la désire, je voudrais mourir par curiosité. Hélas! j’ai besoin du ciel, mais je doute... et, s’il n’y a point de ciel au-dessus de ces étoiles, je voudrais le contempler encore de la terre. Peut-être, mon Dieu! est-ce ici-bas seulement qu’il faut l’espérer? Peut-être est-il dans le cœur de l’homme?... Dis, toi qui es jeune et plein de vie, l’amour est-ce le ciel? Vois comme ma tête s’affaiblit, et pardonne cet instant de délire. Je voudrais bien croire à quelque chose, ne fût-ce qu’à toi, ne fût-ce qu’une heure avant d’en finir, sans retour peut-être, avec les hommes et avec Dieu!

      —Doute de Dieu, doute des hommes, doute de moi-même, si tu veux, dit Sténio en s’agenouillant devant elle, mais ne doute pas de l’amour, ne doute pas de ton cœur, Lélia! Si tu dois mourir à présent, s’il faut que je te perde, ô mon tourment, ô mon bien, ô mon espoir! fais au moins que je croie en toi, une heure, un instant. Hélas! mourras-tu sans que je t’aie vue vivre? Mourrai-je avec toi sans avoir embrassé en toi autre chose qu’un rêve? Mon Dieu! n’y a-t-il d’amour que dans le cœur qui désire, que dans l’imagination qui souffre, que dans les songes qui nous bercent durant les nuits solitaires? Est-ce un souffle insaisissable? Est-ce un météore qui brille et qui meurt? Est-ce un mot? Qu’est-ce que c’est, mon Dieu! O ciel! ô femme! ne me l’apprendrez-vous pas?

      —Cet enfant demande à la mort le secret de la vie, dit Lélia; il s’agenouille sur un cercueil pour obtenir l’amour! Pauvre enfant! Mon Dieu, ayez pitié de lui, et rendez-moi la vie afin de conserver la sienne! Si vous me la rendez, je fais vœu de vivre pour lui. Il dit que je vous ai blasphémé en blasphémant l’amour: eh bien! je courberai mon front superbe, je croirai, j’aimerai!... Faites seulement que je vive de la vie du corps, et j’essaierai de vivre de celle de l’âme.

      —Entendez-vous, mon Dieu? s’écria Sténio avec délire; entendez-vous ce qu’elle dit, ce qu’elle promet? Sauvez-la, sauvez-moi! donnez-moi Lélia, rendez-lui la vie!....»

      Lélia tomba raide et froide sur le parquet. C’était une dernière, une horrible crise. Sténio la pressa contre son cœur en criant de désespoir. Son cœur était brûlant, ses larmes chaudes tombèrent sur le front de Lélia. Ses baisers vivifiants ramenèrent le sang à ses mains livides, sa prière peut-être attendrit le ciel: Lélia ouvrit faiblement les yeux, et dit à Trenmor qui l’aidait à se relever:

      «Sténio a relevé mon âme; si vous voulez la briser encore avec votre raison, tuez-moi tout de suite.

      —Et pourquoi vous ôterais-je le seul jour qui vous reste? dit Trenmor; la dernière plume de votre aile n’est pas encore tombée.»

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       MAGNUS.

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      Sténio descendait un matin les versants boisés du Monte Rosa. Après avoir erré au hasard dans un sentier couvert d’épaisses végétations, il arriva devant une clairière ouverte par la chute des avalanches. C’était un lieu sauvage et grandiose. La verdure sombre et vigoureuse couronnait les ruines de la montagne crevassée. De longues clématites enlaçaient de leurs bras parfumés les vieilles roches noires et poudreuses qui gisaient éparses dans le ravin. De chaque côté s’élevaient en murailles gigantesques les flancs entr’ouverts de la montagne, bordés de sombres sapins et tapissés de vignes vierges. Au plus profond de la gorge, le torrent roulait ses eaux claires et bruyantes sur un lit de cailloux richement colorés. Si vous n’avez pas vu courir un torrent épuré par ses mille cataractes, sur les entrailles nues de la montagne, vous ne savez pas ce que c’est que la beauté de l’eau et ses pures harmonies.

      Sténio aimait à passer les nuits, enveloppé de son manteau, au bord des cascades, sous l’abri religieux des grands cyprès sauvages, dont les muets et immobiles rameaux étouffent l’haleine des brises. Sur leur cime épaisse s’arrêtent les voix errantes de l’air, tandis que les notes profondes et mystérieuses de l’eau qui s’écoule sortent du sein de la terre, et s’exhalent comme des chœurs religieux du fond des caves funèbres. Couché sur l’herbe fraîche et luisante qui croit aux marges des courants, le poëte oubliait, à contempler la lune et à écouter l’eau, les heures qu’il aurait pu passer avec Lélia; car, à cet âge, tout est bonheur dans l’amour, même l’absence. Le cœur de celui qui aime est si riche de poésie, qu’il lui faut du recueillement et de la solitude pour savourer tout ce qu’il croit voir dans l’objet de sa passion, tout ce qui n’est réellement qu’en lui-même.

      Sténio passa bien des nuits dans l’extase. Les touffes empourprées de la bruyère cachèrent sa tête agitée de rêves brûlants. La rosée du matin sema ses fins cheveux de larmes embaumées. Les grands pins de la forêt secouèrent sur lui les parfums qu’ils exhalent au lever du jour, et le martin-pêcheur, le bel oiseau solitaire des torrents, vint jeter son cri mélancolique au milieu des pierres noirâtres et de la blanche écume du torrent que le poëte aimait. Ce fut une belle vie d’amour et de jeunesse, une vie qui résuma le bonheur de cent vies, et qui pourtant passa rapide comme l’eau bouillonnante et l’oiseau fugitif des cataractes.

      Il y a dans la chute et dans la course de l’eau mille voix diverses et mélodieuses, mille couleurs sombres ou brillantes. Tantôt, furtive et discrète, elle passe avec un nerveux frémissement contre des pans de marbre qui la couvrent de leur reflet d’un noir bleuâtre; tantôt, blanche comme le lait, elle mousse et bondit sur les rochers avec une voix qui semble entrecoupée par la colère; tantôt verte comme l’herbe qu’elle couche à peine sur son passage,