Louisa May Alcott

Les quatre filles du docteur Marsch


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de son cou et en se coiffant de la manière qui lui allait le mieux.

      Ce fut dans cette disposition d’esprit que Meg descendit, et elle ne fut pas aimable du tout pendant le déjeuner. Tout le monde paraissait d’ailleurs contrarié et porté à se plaindre: Beth avait mal à la tête et essayait de se guérir en s’étendant sur le canapé et en jouant avec la chatte et ses trois petits; Amy se fâchait, parce qu’elle ne savait pas ses leçons et ne pouvait pas trouver ses cahiers; Jo faisait un grand tapage en s’apprêtant; Mme Marsch était très occupée à fini une lettre pressée, et Hannah était bourrue, parce que les veilles prolongées la fatiguaient toujours.

      «Décidément il n’y a jamais eu au monde une. famille d aussi-mauvaise humeur! s’écria Jo perdant: patience, après avoir cassé deux passe-lacets, renversé un encrier et s’être assise sur son chapeau.

      –Et c’est vous qui êtes la plus désagréable, répondit Amy en effaçant, avec les larmes qui étaient tombées sur son ardoise, une division qui était toute manquée.

      –Beth, si vous ne gardez pas ces horribles bêtes à la cuisine, je dirai à Hannah de les faire cuire!» s’écria Meg en colère, en essayant de se débarrasser d’un des petits chats qui avait grimpé sur son dos et s’y cramponnait, juste à un endroit où elle ne pouvait pas l’attraper.»

      Jo se mit à rire, Meg à gronder, Beth à supplier, et Amy à gémir, parce qu’elle ne pouvait plus se rappeler combien faisaient neuf fois douze.

      «Restez donc tranquilles un instant, mes pauvres enfants, dit Mme Marsch en effaçant la troisième phrase de sa lettre; il faut que ceci parte immédiatement, et je ne peux pas écrire au milieu de votre tapage.»

      Il y eut un silence momentané, brisé seulement par l’entrée de Hannah qui posa sur la table deux petits pâtés à peine sortis du four, et disparut aussi vite qu’elle était entrée. Les enfants appelaient ces petits pâtés des manchons, car elles n’en avaient pas d’autres, et trouvaient fort agréable de se réchauffer les mains en s’en allant avec les petits pâtés brûlants. Aussi Hannah, quelque occupée et fatiguée qu’elle pût être, n’oubliait jamais de leur en préparer, car Meg et Jo avaient une longue course à faire et ne mangeaient rien d’autre jusqu’à leur retour, qui avait rarement lieu avant trois heures de l’après-midi.

      «Amusez-vous bien avec vos chats et tâchez de vous débarrasser de votre mal de tête, petite Beth! Adieu, chère maman; nous sommes ce matin de vrais diables, mais nous serons des anges quand nous reviendrons. Allons, venez, Meg.» 1

      Et Jo partit la première, en sentant que, pour cette fois, les pèlerins ne se mettaient pas en route pour le paradis avec leur bonne grâce accoutumée.

      Elles se retournaient toujours lorsqu’elles arrivaient au coin de la rue, et leur mère n’oubliait jamais de se mettre à la fenêtre pour leur faire un petit signe de tête et leur envoyer un sourire. Il semblait que les deux filles n’auraient pas pu passer la journée si elles n’avaient eu ce dernier regard d’adieu de leur mère, et, quelque ennuyées qu’elles pussent être, ce sourire qui les suivait les ranimait comme un rayon de soleil.

      «Si maman nous montrait le poing au lieu de nous envoyer un baiser, ce ne serait que ce que nous méritons; on n’a jamais vu de petites bêtes aussi ingrates que nous! s’écria Jo, qui, pleine de remords, tâchait de s’arranger du chemin bourbeux et du vent glacial.

      –N’employez donc pas des expressions comme celles-là, dit Meg, dont la voix sortait des profondeurs du voile où elle s’était ensevelie en personne dégoûtée à jamais des biens de ce monde.

      –J’aime les mots bons et forts qui signifient quelque chose, répliqua Jo, en rattrapant son chapeau emporté par le vent.

      –Donnez-vous tous les noms que vous voudrez; mais, comme je ne suis ni un diable ni une bête, je ne veux pas qu’on m’appelle ainsi!

      –Vous êtes décidément de trop méchante humeur aujourd’hui, Meg, et pourquoi? parce que vous n’êtes pas riche comme vous le désirez! Pauvre chère! attendez seulement que je m’enrichisse, et alors vous aurez à profusion des voitures, des glaces, des bouquets, des bottines à grands talons, et des jeunes gens à cheveux rouges, que vous vous efforcerez de ne voir que blonds pour vous danser

      –Que vous êtes ridicule, Jo!» répondit Meg.

      Mais elle se mit à rire et se sentit malgré elle de moins maussade humeur.

      «C’est heureux pour vous que je le sois. Si je prenais comme vous des airs malheureux et si je m’évertuais à être désagréable, nous serions dans un joli état! Grâce à Dieu, je trouve dans tout quelque chose de drôle pour me remettre. Allons, ne grondez plus, revenez après vos leçons à la maison de gentille humeur; cela fera plaisir à maman,» dit Jo, en donnant à sa sœur une petite tape d’encouragement sur l’épaule.

      Et les deux sœurs se séparèrent pour toute la journée, prenant un chemin différent, chacune tenant son petit pâté bien chaud dans ses mains et tâchant d’être gaie malgré le temps d’hiver, le travail peu intéressant qui les attendait et le regret de ne pouvoir s’amuser encore.

      Lorsque M. Marsch avait perdu sa fortune par la ruine d’un ami malheureux qu’il avait aidé, Meg et Jo avaient eu toutes les deux le bon sens de demander à leurs parents la permission de faire quelque chose qui les mît. à même de pourvoir tout au moins à leur entretien personnel.

      Ceux-ci, pensant qu’elles ne pourraient commencer trop tôt à se rendre indépendantes par leur travail, leur accordèrent ce qu’elles demandaient, et toutes deux se mirent à travailler avec cette bonne volonté venant du cœur qui, malgré les obstacles, réussit toujours.

      Marguerite trouva à faire l’éducation de quatre petites miss dans une famille du voisinage, et son modeste salaire fut pour elle une richesse relative. Elle reconnaissait volontiers qu’elle avait un peu trop gardé le goût de l’élégance, et que son plus grand ennui était sa pauvreté; la gêne dans laquelle la famille vivait lui était plus difficile à supporter qu’à ses sœurs, car, en sa qualité d’aînée, elle se rappelait plus vivement le temps où leur maison était belle, leur vie facile et agréable, et les besoins de toute sorte inconnus. Elle s’efforçait bien de n’être ni envieuse ni mécontente, mais elle ne pouvait se retenir de regretter les fêtes et les jolies choses d’autrefois.

      Dans la famille Kings, où elle remplissait pendant une partie du jour ses fonctions d’institutrice, elle voyait chez les autres ce qu’elle ne trouvait plus chez elle: les grandes sœurs des enfants qu’elle instruisait allaient dans le monde, et Meg avait souvent sous les yeux de jolies toilettes de bal, des bouquets, etc.; elle entendait parler de spectacles, de concerts, de parties en traîneau et de toutes sortes d’amusements. Elle voyait dépenser beaucoup d’argent pour des riens dont on ne se souciait plus le lendemain et qui lui auraient fait tant de plaisir, à elle. La pauvre Meg se plaignait rarement; mais une sorte de sentiment d’amertume involontaire l’envahissait quelquefois, car elle n’avait pas encore appris à connaître combien elle était riche des vrais biens qui rendent la vie heureuse.

      Jo passait ses matinées près de la tante Marsch, qui souffrait de douleurs rhumatismales.

      Lorsque la belle-sœur de M. Marsch lui avait offert d’adopter une de ses filles et de la prendre tout à fait avec elle, la vieille dame avait été très offensée par le refus de son frère de se séparer si complètement d’un de ses enfants. Des amis de M. et Mme Marsch leur dirent dès lors qu’ils avaient perdu toute chance d’hériter jamais de la vieille dame. Ils répondirent:

      «Nous ne voudrions pas abandonner nos filles pour une douzaine de fortunes. Riches ou pauvres, nous resterons ensemble et nous saurons être heureux.»

      Pendant quelque temps, la vieille dame avait refusé de les voir; mais, rencontrant un jour Jo chez une de ses amies, l’originalité de la petite fille lui plut, et elle proposa de la prendre comme demoiselle de compagnie. Cela n’avait