Tu as de la chance qu’elle ait tenu sa langue. Ils ont tué ma mère », lança-t-elle en serrant les dents.
Le choc l’empêcha d’apprécier le feu intérieur qu’elle venait d’exhiber. « Quoi ? Pourquoi restes-tu ici ? Je suis désolé », ajouta-t-il avec précipitation. Son commentaire ne laissait pas transparaître la moindre trace de sensibilité. Jamais auparavant il n’avait entendu une histoire impliquant la mort lors d’une collecte. La disparition de la mère de cette belle femelle lui donnait envie de sabrer le cabinet au pouvoir et de nettoyer la maison. Il trouvait la situation purement et simplement inacceptable.
Il se rappela que cet épisode n’était pas isolé et tous ces incidents semblaient liés. Aucun Fae ne devrait souffrir comme ça. L’injustice frappa directement au plus profond de son âme. Il restait assuré que la situation personnelle de Maurelle n’était pas la seule cause.
« Ces gens sont des monstres. Si j’avais le choix, je rentrerais à la maison avec mon père et mes sœurs. Ils vont l’envoyer vers l’au-delà. »
Il posa la paume de sa main sur son épaule pour lui offrir un peu de réconfort. Elle se tourna vers lui, mais ses yeux ne souriaient pas. Il retira sa main. Son chagrin la portait à vif et la coupait en lambeaux. Malgré tout, il ne voulait pas se rapprocher d’elle. Hélas, en un éclair, il réalisa qu’il était peut-être déjà trop tard.
Tout ça expliquait l’apparence de ses vêtements. Ils ressemblaient davantage à un pyjama qu’à l’uniforme noir estampillé du logo de l’école. Comment avaient-ils pu prendre la vie de sa mère puis la forcer à assister à un banquet de bienvenue comme si de rien n’était ?
À ce moment, il comprit clairement que les rumeurs sur l’Académie — ou peut-être pas les rumeurs sur l’Académie, mais les rumeurs sur les humains au pouvoir — disaient vrai. Après tout, toutes les histoires d’horreur ne naissaient-elles pas de faits réels ?
Ce drame ne relevait certainement pas de l’évènement isolé. Ils étaient trop préparés à forcer cette femelle à s’incliner devant leurs volontés. Gouverner par la peur assurait un nombre minimal d’objections. Ils lançaient des sorts et avaient recours à d’autres subterfuges pour empêcher Maurelle de parler, mais ils ne cherchaient pas à soulager sa douleur le moins du monde.
La scène spectaculaire de son entrée dans le réfectoire avait attiré l’attention. Aucun doute ! Plusieurs étudiants autour d’eux avaient entendu toute l’action. La rumeur de la mort de sa mère se répandrait sur le campus en un rien de temps.
« Tu n’es pas seule ici », promit-il. L’espoir envahit son regard. « Malheureusement, je soupçonne que tu rencontreras d’autres élèves susceptibles de se raccrocher à ton vécu », ajouta-t-il. Il voulait s’assurer qu’elle comprenait bien qu’il ne parlait pas de lui-même.
« Je sais que tu as raison. C’est pourquoi je… ugh », bafouilla-t-elle. Elle grimaça et posa une main sur sa tête. La pâleur de sa peau prit une nuance vert maladif. Sa tête se déplaçait d’avant en arrière, ses mèches roses volaient.
« Tu n’as pas l’air en forme. As-tu déjà vu un guérisseur ?
— J’étais malade quand les collecteurs m’ont emmenée. Ils m’ont obligée à venir ici en premier.
— Tu as l’air horrible. L’infirmerie se trouve au deuxième étage, en bas de l’aile est. »
Il se leva, il ne pouvait vraiment pas lui offrir davantage. Hors de question de placer plus de cibles sur son dos qu’il en avait déjà.
« Merci », marmonna-t-elle. Elle se leva à son tour.
Il marchait à côté d’elle et aurait souhaité agir pour améliorer sa situation. Ni l’un ni l’autre ne parlèrent en marchant. Il agit comme un imbécile et il ne lui dit même pas au revoir quand ils se séparèrent. Il continua jusqu’à son dortoir au quatrième étage.
Ses tripes tourbillonnaient. En même temps, son aine pensait que ce serait une bonne idée de se laisser aller à son attirance. Alors qu’il venait de se flageller de l’intérieur pour avoir traité Maurelle avec ennui. Maintenant, une douche froide s’imposait.
CHAPITRE IV
« Les emplois du temps sont-ils toujours aussi bien remplis, ici ? » demanda Ryker à son colocataire. Il vivait à l’Académie depuis quelques jours maintenant et ils avaient travaillé plus dur que dans le boulot à temps partiel qu’il occupait avant d’être emmené à l’école.
La plupart des jeunes adultes Fae gagnaient leur vie. Ils devaient aider à subvenir aux besoins de leur famille. Mais ils travaillaient rarement plus de dix heures par jour, ce qui contrastait largement avec les informations étalées leurs cours d’histoire. Les professeurs devraient savoir que les élèves n’avalaient pas le babillage qu’ils essayaient de leur enseigner. Ils se tuaient à la tâche pour arriver à joindre les deux bouts.
Les enseignements de l’Académie semblaient véritablement biaisés en faveur des humains. Entendre les enseignants évoquer la manière dont les humains étaient entrés pour sauver Bramble’s Edge de la ruine l’exaspérait et révélait l’Académie sous son vrai jour.
À son arrivée, il voulait crier sa rage à tous ceux qui leur débitaient ces sornettes. Mais au fil du temps, il commençait à comprendre. Il n’avalait pas l’idée que les humains les avaient sauvés alors qu’ils les avaient réellement attaqués en premier.
Leurs armes l’avaient emporté sur les capacités des Fae et affaibli le royaume. Sa mère lui en avait suffisamment raconté pour comprendre leur stratégie guerrière. Les Fae avaient essayé de se défendre pendant que les humains s’acharnaient pour prendre le pouvoir qui stabilisait le peuple Fae.
Une partie de la puissance du roi et de la reine Fae avait maintenu l’équilibre, à la fois entre les races et du point de vue des individus. D’après les explications de sa mère, chaque fois qu’un membre du royaume se laissait dominer par son propre pouvoir, le Roi intervenait et le remettait à sa place. Leur simple présence dans le royaume fournissait une source de stabilité pour toute la race.
À la mort du roi et de la reine, ce pouvoir disparut, la puissance des Fae s’effondra. Le chaos qui s’ensuivit permit aux humains de s’immiscer et de prendre le contrôle de leur royaume.
Dans les premiers temps, la plupart des êtres surnaturels, en particulier les Fae trouvaient difficile de gérer autant de pouvoir. Tous les membres de cette espèce extatique s’engageaient à fond dans leurs passions. Le but réel de l’Académie résidait dans l’apprentissage de la maîtrise des pouvoirs, sa mère se plaignait sans fin à ce sujet. Les humains pervertissaient l’œuvre du roi Oberon créée des millénaires auparavant.
Il comprenait exactement ce que sa mère voulait dire, pas au sujet des objectifs de l’école, mais de la partie sur le contrôle des pouvoirs. En effet, à maintes reprises, ils avaient dû renvoyer ses nouveaux amis venus lui rendre visite. Il s’était parfois réveillé avec la peau fripée comme après un bain dans le petit étang près de la boucherie où travaillait Galina.
Ses compagnons de dortoir relataient tous une ou deux mésaventures semblables qui leur arrivaient sans cesse, mais Ryker avait remarqué plusieurs situations qui le laissaient perplexe. Il n’avait pas encore identifié ses pouvoirs. Même les professeurs qui l’évaluaient semblaient déconcertés. Ils l’avaient finalement placé dans la ligue de l’air.
Apparemment, il avait manifesté beaucoup de capacités associées à celles des Fae de l’air. Il ne parvenait pas à définir ses sentiments à cet égard. Il ne ressentait qu’une faible aptitude à manipuler les pensées ou à rêver en marchant ou à communiquer directement avec l’esprit de quelqu’un. Par ailleurs, il ne ressentait pas non plus d’autres pouvoirs de l’esprit.
Il