car je suis sûr que je deviendrai poëte à sonnets. Esprit, invente; plume, écris; car je suis prêt à faire des volumes in-folio.
ACTE DEUXIÈME
SCÈNE I
BOYET. – Maintenant, madame, appelez à votre aide vos plus précieuses facultés. Considérez qui le roi, votre auguste père, envoie, vers qui il envoie, et quel est l'objet de son ambassade; vous, noble princesse, qui tenez un si haut rang dans l'estime du monde, vous venez conférer avec l'unique héritier de toutes les grandes qualités qu'un mortel puisse posséder, avec l'incomparable roi de Navarre; et le sujet de votre négociation n'est rien moins que la riche Aquitaine, douaire digne d'une reine. Prodiguez donc aujourd'hui toutes vos grâces, de même que la nature vous a prodigué tous ses dons; car elle a été avare envers tout le monde, pour n'être libérale qu'envers vous.
LA PRINCESSE. – Cher seigneur Boyet, ma beauté, quoique médiocre, n'a pas besoin du fard de vos louanges: la beauté s'estime par le jugement des yeux, et non sur l'humiliant éloge de la langue intéressée à la vanter. Je suis moins fière de vous entendre exalter mon mérite que vous n'êtes ambitieux de passer pour éloquent, en faisant ainsi dépense d'esprit pour mon panégyrique; mais venons à la tâche dont j'ai à vous charger. – Digne Boyet, vous n'ignorez pas que la renommée, qui publie tout, a répandu dans le monde le bruit que le prince de Navarre a fait voeu de ne laisser approcher de sa cour silencieuse aucune femme pendant trois années qu'il dévoue à de pénibles études; il nous paraît donc que c'est un préliminaire convenable, avant de franchir les portes interdites de son domaine, de savoir ses intentions. Et c'est vous que nous chargeons seul de ce message, vous à qui votre mérite inspire l'audace, vous qui êtes l'orateur le plus fait pour persuader. Dites-lui que la fille du roi de France, désirant une prompte expédition pour une affaire importante, sollicite avec instance une conférence particulière avec Son Altesse. Hâtez-vous, annoncez-lui ma demande; nous attendons ici, comme d'humbles suppliants, sa volonté souveraine.
BOYET. – Fier de cet emploi, je pars plein de bonne volonté.
LA PRINCESSE. – Tout orgueil est plein de bonne volonté, et le vôtre est tel. (Il sort.). Quels sont les ministres dévoués, mes chers seigneurs, qui partagent le voeu de ce prince vertueux?
UN SEIGNEUR. – Longueville en est un, madame.
LA PRINCESSE. – Le connaissez-vous?
MARIE. – Je l'ai connu, madame. J'ai vu ce Longueville en Normandie, à la fête du mariage célébré entre le comte de Périgord et la belle héritière de Jacques Faulconbridge. C'est un homme qui passe pour être doué de sublimes qualités; instruit dans les arts et renommé dans les armes, tout ce qu'il entreprend il l'exécute avec grâce. La seule ombre qui ternisse l'éclat de ses vertus, si l'éclat de la vertu peut souffrir quelque ombre qui la ternisse, c'est un esprit caustique joint à une volonté trop obstinée; son esprit tranchant a le pouvoir de blesser, et son caractère le porte à n'épargner personne de ceux qui tombent sous sa main.
LA PRINCESSE. – Il paraît que c'est quelque courtisan railleur, n'est-ce pas?
MARIE. – C'est ce que répètent ceux qui connaissent le mieux son humeur.
LA PRINCESSE. – Ces esprits-là ont la vie courte, ils se flétrissent en grandissant. Quels sont les autres?
CATHERINE. – Le jeune Dumaine, jeune homme accompli, chéri pour sa vertu de tous ceux qui aiment la vertu. Avec le pouvoir de faire le mal, il ne sait jamais en faire: il a assez d'esprit pour rendre aimable un cavalier mal fait et il est assez bien fait pour plaire sans esprit. Je l'ai vu une fois chez le duc d'Alençon: et, d'après tout le bien que j'ai remarqué en lui, l'éloge que j'en fais est fort au-dessous de son mérite.
ROSALINE. – Un autre des seigneurs qui se consacrent avec le duc à l'étude y était aussi avec lui, comme on me l'a assuré: on le nomme Biron. Je puis dire que je n'ai jamais eu une heure de conversation avec un homme plus jovial, sans qu'il ait jamais passé les bornes d'une gaieté décente. Son oeil sait faire naître à chaque instant l'occasion de ses saillies; car chaque objet que son oeil saisit, son esprit sait en tirer une plaisanterie ingénieuse et gaie; et sa langue, interprète de sa pensée, sait la rendre en termes si choisis et si gracieux, que les vieilles oreilles font l'école buissonnière pour l'écouter, et que les oreilles plus jeunes sont dans l'enchantement, tant son élocution est agréable et rapide.
LA PRINCESSE. – Que Dieu bénisse mes femmes! Sont-elles donc toutes amoureuses, que chacune d'elles prodigue à l'objet de son inclination de si grands éloges?
MARIE. – Voici Boyet.
LA PRINCESSE. – Eh bien! seigneur, quel accueil recevons-nous?
BOYET. – Le roi de Navarre était déjà informé de votre illustre ambassade, et, avant que je parusse, lui et les courtisans qui partagent son voeu étaient déjà tout prêts à vous accueillir, noble princesse; mais j'ai appris qu'il aime mieux vous loger dans les champs, comme un ennemi qui viendrait assiéger sa cour, que de songer à se dispenser de son serment, pour vous introduire dans son palais solitaire. Voici le roi de Navarre.
(Toutes les dames mettent leurs masques.)
LE ROI. – Belle princesse, soyez la bienvenue à la cour de Navarre.
LA PRINCESSE. – Belle, je vous renvoie ce compliment, bienvenue, je ne le suis point encore: cette voûte est trop élevée pour être celle de votre palais, et ces champs sont une demeure trop indigne de moi, pour pouvoir me dire la bienvenue.
LE ROI. – Vous serez, madame, bien accueillie à ma cour.
LA PRINCESSE. – Bienvenue à votre cour; alors je serai la bienvenue; daignez donc m'y conduire.
LE ROI. – Daignez m'entendre, chère princesse; je me suis lié par un serment.
LA PRINCESSE. – Si le ciel n'assiste pas mon prince, il va se parjurer?
LE ROI. – Non, belle princesse, il ne le ferait pas pour le monde entier, du moins de sa libre volonté.
LA PRINCESSE. – Eh bien! sa volonté le violera; sa volonté seule, et nulle autre force.
LE ROI. – Vous ignorez, princesse, quel en est l'objet.
LA PRINCESSE. – Vous seriez plus sage de l'ignorer comme moi, mon prince, au lieu qu'aujourd'hui toute votre science n'est qu'ignorance. J'apprends que Votre Altesse a juré de se retirer dans son palais. C'est un crime de garder ce serment, mon prince, et c'en est un aussi de le violer. Mais daignez me pardonner. Je débute par trop de hardiesse: il me sied mal de vouloir donner des leçons à mon maître. Faites-moi la grâce de lire l'objet de mon ambassade, et de donner sur-le-champ une réponse décisive à ma demande.
LE ROI. – Madame!.. (Elle lui remet un papier.) – Sur-le-champ, s'il m'est possible de le faire sur-le-champ.
LA PRINCESSE. – Vous le voudrez d'autant plus que je pourrai m'éloigner plus tôt; car si vous prolongez mon séjour ici, vous deviendrez parjure.
BIRON, à Rosaline. – N'ai-je pas dansé un jour avec vous dans le Brabant?
ROSALINE. – N'ai-je pas dansé un jour avec vous dans le Brabant?
BIRON. – Je le sais très-bien.
ROSALINE. – Vous voyez donc combien il était inutile de me faire cette question?
BIRON. – Vous êtes trop vive.
ROSALINE. – C'est votre faute de me provoquer par de semblables questions.
BIRON. – Votre esprit est trop ardent, il va trop vite, il se fatiguera.
ROSALINE.