Эжен Сю

Les mystères du peuple, Tome IV


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clarissime pudicité voudra-t-elle nous dire comment tu t'appelles?

      –Incendiaire! pillard! sacrilége!.. voilà tes noms à toi… Je te damne et t'excommunie, ainsi que ta bande, dans ce monde et dans l'autre, où vous subirez pour vos forfaits les peines éternelles!

      –Ta clarissime charité répond à ma question par des injures… Or, puisque ta clarissime humilité refuse de dire ton nom, ton nom, le voici: Tu t'appelles Cautin…

      –Puisse mon nom te brûler la langue!

      –Pauvres esclaves de l'abbaye, – ajouta Ronan en s'adressant à eux, – quels reproches faites-vous à votre évêque?

      –Il nous écrase de travaux de l'aube au soir, et souvent la nuit.

      –Pour nourriture, il nous donne une poignée de fèves.

      –Il nous laisse sous ces haillons, et dans nos huttes de boue effondrées la cabane des porcs nous fait envie.

      –Nos moindres fautes sont punies du fouet.

      –Nous autres, jeunes femmes du gynécée de l'évêchesse, il abuse de nous par la menace… Quelle résistance peut faire l'esclave? elle se soumet en frissonnant… et pleure…

      –J'ai dit ce que j'ai dit, – ajouta le vieux Simon, l'introducteur des Vagres dans la villa. – Qu'un Frank nous asservisse et nous accable de misères… conquérant, il use de sa force; mais que des évêques, Gaulois comme nous, se joignent à ce Frank pour nous asservir et partager avec lui nos dépouilles… je l'ai dit et je le dis, c'est le crime des prêtres de l'Église catholique, apostolique et romaine, comme ils s'appellent… Joug pour joug, j'aurais préféré celui de la Rome des empereurs; c'était une franche guerre: soldat contre soldat, épée contre épée; mais j'ai horreur et dégoût du joug de la Rome des papes, cette Église qui nous opprime par la fourberie, par l'hébêtement, et qui, reniant la patrie, la liberté, nos gloires passées, abrutit et châtre notre virile race gauloise… Ah! nos anciens prêtres, nos druides vénérés, ne s'alliaient pas ainsi lâchement aux Romains conquérants de la Gaule… Non, non, le glaive d'une main, une branche de gui de l'autre, donnant les premiers le signal de la sainte guerre contre l'étranger, ils soulevaient les populations en armes avec ces deux seuls mots: Patrie et liberté!! Alors surgissaient du grand flot populaire: le chef des cent vallées! Sacrovir! Vindex! Marik! Civilis! et Rome tremblait au Capitole… Mais où sont-ils nos druides vénérés? Où ils sont?.. Allez au fond des forêts, vous trouverez leurs os calcinés par le feu sous les ruines de leurs temples renversés par les prêtres catholiques. Où ils sont, nos druides? demandez-le aux bourreaux des cités gouvernées par les évêques… Hélas! avec les druides, est morte l'indépendance de la Gaule!.. les évêques et les Franks lui larronneront jusqu'à son nom!.. Je vous l'ai dit, je vous l'ai dit… Oh! ne me menace pas du poing, toi, mon seigneur, toi, mon évêque… Ce langage t'étonne dans la bouche d'un pauvre vieux esclave; mais cet esclave, autrefois libre, autrefois riche, autrefois heureux, avant d'être ta chose, comme tes boeufs et tes porcs, cet esclave avait acquis plus de science que tu n'en posséderas jamais, prélat fainéant, cupide et luxurieux!! Rassure-toi, je ne te ravirai pas ta vengeance; je suis trop vieux pour courir la Vagrerie… toi, ou ton successeur, vous me trouverez sur les ruines de ta villa épiscopale, le vieux Simon sera pendu; mais son dernier mot sera: Malédiction sur les Franks conquérants, malédiction sur les évêques catholiques… et vive la vieille Gaule!

      –Évêque, – reprit Ronan, – ta clarissime véracité a-t-elle quelque chose à répondre aux accusations de tes esclaves et aux paroles du vieux Simon?

      –Ce sont eux, les scélérats maudits, les sacriléges, qui auront à répondre au terrible jour du jugement… Après quoi, ils grinceront des dents pour l'éternité… ainsi que toi, vieux Simon, abominable païen!.. Quoi! tu oses glorifier dans ce saint lieu le nom abhorré des druides, ces prêtres de Mammon, qui sont au fin fond des enfers parmi les âmes que leur exécrable idolâtrie a perdues!

      –Donc, évêque, ta clarissime pureté de conscience ne trouve rien autre chose à expectorer que des injures, toujours des injures?

      –Et fasse à l'instant le Seigneur que ces injures soient autant de lames ardentes qui vous percent le ventre, maudits!

      –Soit! que ta clarissime sainteté nous régale d'un miracle, dût-il nous percer le ventre, en attendant ce prodige… Voici ce dont je t'accuse, moi, Ronan: tu convoitais les biens d'un de tes prêtres, nommé Anastase, il a refusé de te les abandonner, tu l'as par ruse attiré chez toi, à Clermont, puis tu l'as fait saisir, garrotter et enfermer tout vivant dans un sépulcre avec un mort en putréfactionL. Ta clarissime charité ose-t-elle nier ceci?

      –Plaisant concile que celui de ces scélérats pour m'interroger, moi, évêque!

      –Tu ne nies pas? Poursuivons, ta clarissime pauvreté dans sa rage d'augmenter ses richesses en larronnant autrui, a imaginé ce soir, sous prétexte de miracle, un vrai tour de bandit: tu as effrontément dépouillé le comte Neroweg en l'épouvantant au nom du diable… moyennant un fagot, deux bottes de paille, et un denier de soufre… Cedit miracle, peu coûteux, t'a beaucoup trop rapporté… Dépouiller un Frank, c'est justice en Vagrerie, nous n'en faisons point d'autres; mais si les Vagres se gaudissent à piller nos conquérants, c'est pour convier le pauvre monde au régal de ces pilleries… Toi, tu voles le voleur pour t'enrichir… ceci, en Vagrerie, est un très-damnable péché… Autre iniquité: tu as absous ce comte fratricide pour obtenir la jouissance d'une jeune esclave, une enfant de quinze ans au plus, je l'ai vue; or, en Vagrerie, cette luxure épiscopale est encore un très-damnable péché… je dois en avertir ta clarissime pudicité.

      Puis, s'adressant aux Vagres, Ronan ajouta:

      –Où est la petite esclave?

      –Ici près, dans un réduit; elle avait grand'frayeur de nous et de l'incendie… nous l'avons doucement portée sur un matelas, elle est là, pleurante.

      –Amenez-la.

      La jeune esclave fut amenée.

      Ronan disait vrai: lui donner quinze ans, à cette enfant, c'était peut-être la vieillir… Ses blonds cheveux, séparés en deux longues tresses épaisses, tombaient à ses pieds, nus comme ses bras et ses épaules: le leude brutal, en allant la quérir au burg, lui avait à peine donné le temps de se vêtir pour l'emporter sur son cheval. Aussi, en présence des Vagres, quelle frayeur suppliante se lisait dans les grands yeux bleus de la pauvre petite créature, encore toute tremblante… Sa course nocturne en croupe du guerrier frank, l'incendie de la villa épiscopale, l'aspect étrange des Vagres… que de sujets d'effroi pour elle! Ses joues avaient dû autrefois être rondes et roses; mais elles étaient devenues pâles et creuses: cette figure enfantine, empreinte de souffrance, faisait mal à voir… Ronan, malgré lui, ne la quittait pas des yeux, aussi lorsque cette jeune esclave entra dans la chapelle, lui, toujours joyeux, se sentit attristé, sa voix même s'émut lorsqu'il lui dit doucement:

      –Ton nom, mon enfant?

      –On m'appelle Odille.

      –Où es-tu née?

      –Loin d'ici… dans l'une des hautes vallées du Mont-d'Or.

      –Quel âge as-tu?

      –Ma mère me disait ce printemps: Odille, voilà quatorze ans que tu fais la joie de ma vie.

      –Comment es-tu devenue l'esclave du comte frank?

      –Mon père est mort jeune… j'habitais dans la montagne avec mon grand-père, mon frère et ma mère… Nous vivions du produit de notre troupeau et nous filions la laine; nous n'avions jamais eu d'autre chagrin que la mort de mon père… Un jour, les Franks sont montés en armes dans la montagne; ils ont pris notre troupeau, et nous ont dit: «Nous allons vous emmener au burg de notre comte pour repeupler ses domaines en esclaves et en bétail.» Mon frère a voulu nous défendre, les Franks l'ont tué… Ils nous ont liées, ma mère et moi, à la même corde; ils nous ont poussées devant eux avec notre troupeau… Mon grand-père