Джек Марс

Président Élu


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le monde n’avait pas partagé sa décision.

      – J’aime bien ce nouveau gars, déclara un gros type au comptoir.

      On l’appelait Skipper, bien qu’il n’ait sans doute jamais mis les pieds sur un bateau de sa vie.

      – Qu’est-ce que Susan Hopkins a jamais fait pour Chester, Pennsylvanie ? reprit-il. C’est ce que j’aimerais savoir. De toute façon, il est temps que quelqu’un mette un coup d’arrêt à tous ces Chinois qui envahissent le pays.

      – Et nous rende nos boulots, pendant que tu y es, renchérit un dénommé Steve-O.

      Steve-O était si mince qu’il ressemblait à l’un de ces cure-pipes à forme humaine. Il venait ici tous les jours siffler bière et bourbon. Marc n’avait jamais vu Steve-O avaler la moindre parcelle de nourriture. Il semblait ne tenir que par l’alcool.

      Marc essuyait des pintes tout juste sorties du lave-vaisselle.

      – Steve-O, tu es en invalidité depuis vingt ans.

      – J’ai pas dit me rendre mon boulot, répliqua Steve-O.

      Quelques-uns s’esclaffèrent.

      À la télé apparut une tribune vide, flanquée de drapeaux américains.

      – Mesdames et messieurs, la présidente des États-Unis, annonça une voix feutrée.

      Susan Hopkins gagna la tribune par la droite. Elle portait un tailleur pantalon brun-roux, ses cheveux blonds étaient coupés court. Très belle. Marc se souvenait d’elle à l’époque où elle était mannequin, en particulier d’un certain numéro de Sports Illustrated sur les maillots de bain, il y avait vingt-cinq ans de cela. Il était alors d’âge moyen, marié avec des enfants. Quelque chose lui avait fendu le cœur dans son port-folio : elle paraissait éthérée, inaccessible, d’un autre monde. Il n’avait pas de mots pour la décrire. Et elle était encore plus belle aujourd’hui, plus terrestre, plus mature. Marc aimait les femmes qui avaient un peu de kilométrage.

      – Fous-toi à poil, chérie ! lança Steve-O, suscitant quelques gloussements parmi l’assemblée.

      Marc lui avait servi six shots et six bières au cours des deux dernières heures. Il dirait que Steve-O était visiblement saoul maintenant. Et qu’il commençait à lui taper sur les nerfs.

      – Steve-O, je vais cesser de te servir.

      Celui-ci le regarda.

      – Hein ?

      – Ferme-la ou rentre chez toi. C’est ce que je dis.

      Marc se tourna vers l’écran. Hopkins n’avait pas encore commencé à parler. Elle avait l’air de contenir ses émotions. Alors ça y était : elle allait accepter les résultats. Elle avait paru populaire, mais au final elle aura été présidente d’un seul mandat – et encore, pas entier.

      – Mes chers compatriotes, commença-t-elle.

      Le silence régnait dans le bar. L’endroit d’où elle parlait était presque silencieux également – Marc entendait les déclics et ronronnements des appareils photo.

      – Je vais être brève. Cette campagne fut âprement disputée entre deux visions très différentes de l’Amérique. L’une est celle de l’optimisme, de la bonne entente, de la fierté pour ce que nous avons accompli en tant que nation. L’autre est une vision sombre de colère, de désespoir, de ressentiment, même de paranoïa. Elle voit notre nation comme un paysage en ruine, qui ne peut être sauvée que par les efforts d’un seul homme. Et elle promet la violence – la violence contre notre partenaire commercial le plus important, ainsi que la violence contre nos propres communautés, nos voisins et nos amis.

      « Je suis sûre que vous savez quelle vision j’embrasse. Je ne peux pas accepter une vision du monde basée sur le racisme, les préjugés et la méfiance. Et pourtant, malgré mon appréhension, dans des circonstances normales, ma tâche serait maintenant de féliciter le vainqueur apparent de cette course et d’accueillir le président élu, en préparant courtoisement le transfert pacifique du pouvoir qui est une caractéristique de notre démocratie. (Elle marqua une pause.) Mais ce ne sont pas des circonstances normales.

      Marc se redressa. Il ressentait un picotement le long de sa colonne vertébrale. Il regarda les hommes alignés le long du bar. Chacun d’eux était maintenant rivé à l’écran. Tous étaient soudain en alerte, comme des animaux à l’approche d’un orage. Qu’est-ce qu’elle était en train de dire ?

      – Ma campagne a permis de découvrir des preuves d’irrégularités du scrutin dans au moins cinq États, notamment la suppression de bulletins de vote, mais aussi l’altération pure et simple et le piratage potentiel de la machine électorale. Nous avons de bonnes raisons de croire que l’élection a été volée, non seulement à notre campagne, mais aussi au peuple américain. Nous avons déjà pris contact avec le FBI et le ministère de la Justice pour leur faire part de nos préoccupations, et nous attendons avec impatience une enquête complète et impartiale. Tant que cette enquête ne sera pas terminée – et quelle que soit sa durée –, je ne peux pas et ne veux pas reconnaître les résultats de cette élection, et je continuerai à exercer les fonctions de présidente des États-Unis, en respectant mon serment de protéger et de faire respecter la Constitution. Je vous remercie.

      La présidente Hopkins sortit de l’écran par la droite. S’éleva un brouhaha de journalistes qui criaient, cherchant tous à capter son attention. Des flashes éclataient. La chaîne bascula sur une autre caméra qui se braquait sur la présidente tandis qu’elle était poussée vers une porte latérale derrière un cordon d’agents massifs du Secret Service. Elle ne répondit pas à une seule question.

      – Qu’est-ce que ça veut dire ? demanda Steve-O. Elle peut faire ça ?

      Nul ne pipa mot.

      Marc continua d’essuyer ses verres. Il ignorait la réponse à cette question.

      CHAPITRE SIX

      17:48, heure normale de l’Est

      34e étage

      Hôtel Willard International, Washington DC

      – Est-ce qu’on est dans un État de droit ? criait l’homme au téléphone.

      Il était assis les pieds sur son grand bureau de chêne ciré, regardant les lumières du Capitole par la baie vitrée. Il faisait sombre dehors – le soleil se couchait tôt à cette époque de l’année.

      – C’est ce que j’aimerais savoir, reprit-il. Parce que si on est dans un État de droit, alors cette femme, l’actuelle occupante de la Maison-Blanche, doit se mettre à faire ses bagages. Elle a perdu, et Jefferson Monroe a gagné. Jefferson Monroe est le président élu des États-Unis. Et le jour de l’investiture, si l’occupante actuelle n’est pas partie, nous allons l’expulser, comme un shérif qui expulse un locataire indésirable.

      L’homme s’interrompit quelques secondes, le temps d’écouter le journaliste à l’autre bout de la ligne.

      – Oh oui, vous pouvez me citer. Vous pouvez même imprimer chaque mot.

      Il raccrocha et balança le téléphone sur le bureau. Il consulta sa montre et poussa un profond soupir. Il était en ligne avec des journalistes depuis presque une heure, après que Susan Hopkins avait quitté la tribune et filé hors de la pièce à l’issue de sa stupide conférence de presse.

      L’homme s’appelait Gerry O’Brien. Âgé de 50 ans, il était très grand et très maigre. Ses cheveux étaient clairsemés et son visage tout en angles et saillies. Il pesait le même poids que le jour où il avait reçu son diplôme universitaire. Il était marathonien, triathlonien, et ces dernières années, il s’était mis à faire des courses dans la boue et des parcours de survie. Tout ce qui était pénible, dur, extrême, où les gens s’écroulaient, vomissaient leurs tripes ou tombaient dans une pente et