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Fachbewusstsein der Romanistik


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exemple dans la sociolinguistique urbaine10 représentée par Thierry Bulot.

      Mais revenons à l’axiome formulé afin de souligner que l’intérêt primordial pour une recherche territoriale de la variation linguistique orale n’est pas nécessairement le corollaire de cette conviction profonde. La supposition qu’il n’existait pas de langues-ancêtre dans le sens de « proto-langues standard » avant la formation des langues romanes, mais seulement des dialectes et « patois » romans, reste certainement valide. Nous observons (de nouveau) une situation similaire là où aujourd’hui l’occitan, l’aragonais ou le vénitien sont encore parlés. Par ailleurs, l’influence de langues de contact non-romanes et de langues-toit de culture comme le latin ou le grec dans les anciens territoires linguistiques proto-romans est reconnue. Ainsi, on constate la création d’espaces de plurilinguisme complexes et dynamiques depuis l’émergence des langues romanes, qu’il faut expliquer dans une perspective historico-linguistique, -sociale et -culturelle.

      Voilà la clé d’une analyse moderne du troisième axiome. Interpréter cet axiome dans sa dimension territoriale uniquement s’avère être une erreur, car on laisse de côté les acquis sur la dynamique d’espaces linguistiques sociaux. L’axe de recherche linguistique avant tout géographique a rendu aveugle la philologie romane pendant des décennies et lui a suggéré une conception de l’espace purement géographique, qui a perdu sa valeur d’un point de vue historiographique. Pourtant, le potentiel de l’axiome de la dialectalité de l’origine des langues romanes est immense, car il peut et doit être le point de départ d’une réflexion sur les conditions d’émergence d’une standardisation linguistique et des paramètres ethnologiques et socioculturels ayant engendré les langues romanes. À présent, nous nous écartons, sur le plan méthodique, de l’analyse synchrone d’une linguistique géographique des données pour nous dédier à une histoire sociale des langues et du caractère progressif de l’action linguistique. Ce pas est important pour le développement futur de la discipline; c’est une réforme nécessaire. Il correspond au transfert de l’optique du troisième axiome de l’aréalité vers la spatialité du parler. Consacrons-nous donc en conclusion au quatrième axiome, formulé ci-avant.

      Axiome n°4 : Les langues romanes se sont constituées dans un processus complexe de diversification normative. (principe de standardisation)

      Cet axiome important ne peut être interprété de manière convenable que si l’on en tire les conséquences appropriées de l’axiome discuté plus haut. La philologie romane a longtemps rechigné à analyser de manière convaincante méthodologiquement l’émergence des langues-standard romanes. Une série de mises en perspective peu équilibrées en ont été le résultat, qui demandent à être corrigées. Tout d’abord, le concept de langue-standard a souvent été interprété comme langue écrite et littéraire, donc en mettant l’accent sur sa tradition scripturale. Il peut être facilement remis en question compte tenu de l’histoire précoce de la formation des langues romanes, puisque les premiers vestiges littéraires des langues romanes se situent seulement vers l’an 1000, donc environ 200 ans après l’émergence des formes romanes à partir du latin. La focalisation sur la création littéraire et le développement de la norme écrite a, bien sûr, sa place dans l’explication de processus de standardisation. Cependant, la philologie romane a dévoilé une certaine tendance à expliquer ces processus historico-linguistiques en insistant sur l’influence des traditions scripturales, donc de cultures écrites dont la réalisation ne correspond ni aux traditions de la langue parlée, ni à la structure de ses variétés. Dans son introduction à l’ancien italien, Andreas Michel décrit ce dilemme :

      La totalité de notre savoir sur les langues anciennes que sont le latin et le grec ainsi que sur les formes anciennes des langues nationales modernes comme l’allemand, le français ou l’anglais est fondée sur des textes transmis, qui ne nous renseignent que partiellement sur la réalité linguistique d’une époque. D’abord, une différence structurelle entre langue parlée et langue écrite a toujours existé ; par ailleurs, les écrits anciens dans les langues populaires européennes laissent deviner l’influence importante de la tradition écrite latine au Moyen Âge […]. Le contact entre le latin et les langues populaires est particulièrement visible dans les langues romanes, surtout en ce qui concerne les variétés relativement conservatives en Italie. Ainsi, d’innombrables documents du haut Moyen Âge sont rédigés dans une langue mixte de latin médiéval/roman. (Michel 1997, 132)1

      Le problème décrit par Michel a amené les linguistes spécialistes du Moyen Âge à centrer leurs recherches sur les traditions écrites uniquement et à documenter leur propre schéma de l’évolution de variétés-standard. Les recherches se consacrant à l’ancien italien, l’ancien français ou l’ancien espagnol ne contribuent que marginalement à l’exploration de la standardisation de l’italien (donc toscan), du français (donc du francien) et de l’espagnol (donc du castillan). Concrètement, les études médiévales ne nous renseignent que de manière sommaire sur les débuts de la standardisation des dialectes de base de ces trois grandes langues romanes. Les lacunes sont particulièrement importantes quant aux origines du français, dont les structures linguistiques historiques remontent probablement au dialecte d’ancien français d’Île-de-France, le francien. Pourtant, cette origine ne peut être documentée ou attestée par des sources littéraires ou historico-culturelles. La philologie romane ne fait qu’émettre des hypothèses aujourd’hui.2

      Mais les incertitudes face à l’explication du francien comme variété-standard du français en cours de formation ne s’avèrent faire figure d’exception dans l’analyse historico-linguistique qu’à la surface. Cette impression est due au fait qu’il est quasiment impossible de créer un lien entre la tradition scripturale d’Île-de-France, difficilement attestable, et l’influence politique et historico-culturelle plus tardive de Paris. Mais en regardant de plus près, il s’avère également délicat d’attribuer une fonction de standardisation au toscan et au castillan, variétés d’origine de l’italien et de l’espagnol, avant le XIIIe siècle. Contrairement au francien pour le territoire d’Île-de-France, il est possible de relever l’activité de deux hommes influents pour les débuts de la standardisation de l’italien et de l’espagnol, autant à Florence qu’en (Nouvelle-)Castille. Il s’agit de Dante Alighieri pour l’italien et d’Alphonse le Sage pour l’espagnol, qui ont très largement contribué à la standardisation de ces deux langues.

      Cependant, en attirant l’attention sur les constellations du pouvoir politique et l’activité de régents et lettrés influents, la standardisation des langues romanes ne s’explique que de manière hypothétique en ce qui concerne ses débuts, et dans tous les cas de manière lacunaire pour ce qui en est de son évolution. Si on voulait en arriver là – la lecture de certaines histoires linguistiques peuvent en donner l’impression – on s’éloignerait considérablement d’une histoire de la langue parlée, qui représente pourtant l’angle d’analyse décisif pour une réflexion du problème dans la lignée de la tradition romanistique. Nous devons alors nous poser la question comment la standardisation des langues romanes s’est déroulée depuis la base d’espaces de variétés de langues parlées au Moyen Âge, autant dans sa phase précoce que dans son évolution qui en a suivi.

      Dans cette optique, Helmut Lüdtke a fourni d’importants éclaircissements pour l’histoire des langues romanes. Dans son œuvre tardive intitulée Der Ursprung der romanischen Sprachen. Eine Geschichte der sprachlichen Kommunikation (2005), Lüdtke approfondit la problématique évoquée ci-haut. Il développe un point de vue théorico-communicatif sur la formation des langues romanes qui ne s’inscrit pas à l’intérieur des frontières méthodiques décrites. C’est en cela que sa contribution est unique. Pourtant, il est intéressant de constater que Lüdtke ne nie aucun des quatre axiomes de la philologie romane que je postule ici. Il en déduit des conséquences méthodologiques en partie totalement différentes. Je voudrais m’arrêter sur ce point en développant l’exemple de la standardisation.

      Lüdtke lui aussi considère que la standardisation des langues romanes est à mettre sur le même pied que le processus de formation