il eut, au IIe siècle après J.-C., à Rome, sous Marc-Aurèle, une clientèle des plus étendues. Tous ces anatomistes anciens acquéraient la plus grande partie de leurs connaissances, non par l'étude du corps humain lui-même—qui était encore à cette époque sévèrement interdite!—mais par celle des Mammifères les plus voisins de l'homme, surtout des singes; ils faisaient ainsi tous, à proprement parler, de l'anatomie comparée.
Le triomphe du Christianisme avec les doctrines mystiques qui s'y rattachent, fut, pour l'anatomie comme pour les autres sciences, le signal d'une période de décadence. Les papes romains, les plus grands charlatans de l'histoire universelle, cherchaient avant tout à entretenir l'humanité dans l'ignorance et regardaient avec raison la connaissance de l'organisme humain comme un dangereux moyen d'information sur notre véritable nature. Pendant le long espace de temps de treize siècles, les écrits de Galien demeurèrent presque l'unique source pour l'anatomie humaine, comme ceux d'Aristote l'étaient pour l'ensemble de l'histoire naturelle.
C'est seulement lorsqu'au XIVe siècle la Réforme vint renverser la suprématie intellectuelle du papisme,—tandis que le système du monde de Copernic renversait la conception géocentrique étroitement liée avec lui,—que commença, pour la connaissance du corps humain, une nouvelle période de relèvement. Les grands anatomistes, Vésale (de Bruxelles), Eustache et Fallope (de Modène), par leurs propres et savantes recherches, firent faire de tels progrès à la science exacte du corps humain, qu'ils ne laissèrent à leurs nombreux successeurs (en ce qui concerne les points essentiels) que des détails à ajouter à leur œuvre.
Le hardi autant que sagace et infatigable André Vésale (dont la famille, comme le nom l'indique, était originaire de Wesel), ouvrant aux autres la voie, les devança tous; dès l'âge de 28 ans il terminait sa grande œuvre, pleine d'unité, De humani corporis fabrica (1543); il donna à l'anatomie humaine tout entière une direction nouvelle, originale et une base certaine. C'est pourquoi, plus tard, à Madrid—où Vésale fut médecin de Charles-Quint et de Philippe II—il fut poursuivi par l'Inquisition comme sorcier et condamné à mort. Il n'échappa au supplice qu'en partant pour Jérusalem; au retour, il fit naufrage dans l'île de Zante et il y mourut misérable, malade et dénué de toute espèce de ressource.
Anatomie comparée.—Les mérites que notre XIXe siècle s'est acquis dans la connaissance de la structure du corps consistent surtout dans l'extension qu'ont prise deux études nouvelles, essentiellement importantes, l'anatomie comparée et l'histologie ou anatomie microscopique. En ce qui concerne la première, elle a été, dès le début, en rapport étroit avec l'anatomie humaine, elle a même suppléé celle-ci tant que la dissection des cadavres a été tenue pour un crime punissable de mort—et c'était encore le cas au XVe siècle! Mais les nombreux anatomistes des trois siècles suivants se contentèrent presque exclusivement d'une observation exacte de l'organisme humain. Cette discipline si développée, que nous appelons aujourd'hui anatomie comparée, n'est née qu'en 1803, lorsque le grand zoologiste français Georges Cuvier (originaire de Montbéliard) publia ses remarquables «Leçons sur l'anatomie comparée», essayant par là, pour la première fois, de poser des lois précises relativement à la structure du corps humain et animal. Tandis que ses prédécesseurs—parmi lesquels Goethe en 1790—s'étaient surtout attachés à la comparaison du squelette de l'homme avec celui des autres Mammifères, Cuvier, d'un regard plus ample, embrassa l'ensemble de l'organisation animale; il y distingua quatre formes principales ou Types, indépendants l'un de l'autre: les Vertébrés, les Articulés, les Mollusques et les Radiés. Par rapport à la «question des questions,» ce progrès faisait époque en ce sens qu'il ressortait clairement de là que l'homme appartenait au type des Vertébrés—et, de même, qu'il différait essentiellement de tous les autres types. Il est vrai que le pénétrant Linné, dans son premier Systema Naturae (1735) avait déjà fait faire à la science un progrès important en assignant d'une manière définitive à l'homme sa place dans la classe des mammifères; il réunissait même dans l'ordre des Primates les 3 groupes des Prosimiens, Singes et Homme. Mais il manquait encore à cette conquête hardie de la systématique, ce fondement empirique, plus profond, que Cuvier devait lui fournir par l'anatomie comparée. Celle-ci a achevé de se développer avec les grands anatomistes de notre siècle: F. Meckel (de Halle), J. Muller (de Berlin), R. Owen et Th. Huxley (en Angleterre), C. Gegenbaur (d'Iéna, plus tard à Heidelberg). Ce dernier, dans ses Principes d'anatomie comparée (1870) ayant pour la première fois appliqué à cette science la théorie de la descendance, posée peu avant par Darwin l'a élevée au premier rang des disciplines biologiques.
Les nombreux travaux d'anatomie comparée de Gegenbaur, de même que son Manuel d'anatomie humaine partout répandu, se distinguent par une profonde connaissance empirique étendue à un nombre inouï de faits, ainsi que par l'interprétation philosophique, dans le sens de la doctrine de l'évolution, que l'auteur a su en tirer. Son «Anatomie comparée des Vertébrés» parue récemment (1898) pose le fondement inébranlable sur lequel se peut appuyer notre certitude de l'identité absolue de nature entre l'homme et les Vertébrés.
Histologie et Cytologie.—Suivant une tout autre direction que celle prise par l'anatomie comparée, notre siècle a vu se développer également l'anatomie microscopique. Déjà en 1802, un médecin français, Bichat, avait essayé au moyen du microscope, de dissocier, dans les organes du corps humain, les éléments les plus ténus et de déterminer les rapports de ces divers tissus (hista ou tela). Mais ce premier essai n'aboutit pas à grand'chose, car l'élément commun aux nombreuses espèces de tissus différents demeurait inconnu. Il ne fut découvert qu'en 1838 pour les plantes dans la cellule, par Schleiden et aussitôt après également pour les animaux par Schwann, l'élève et le préparateur de Jean Muller. Deux autres célèbres élèves de ce grand maître, encore vivants à cette heure: A. Koelliker et R. Virchow, poursuivirent alors dans le détail, entre 1860 et 1870 à Würzbourg, la théorie cellulaire et, fondée sur elle, l'histologie de l'organisme humain à l'état normal et dans les états pathologiques. Ils démontrèrent que, chez l'homme comme chez tous les autres animaux, tous les tissus se composent d'éléments microscopiques identiques, les cellules et que ces «organismes élémentaires» sont les vrais citoyens autonomes qui, assemblés par milliards, constituent notre corps, la «république cellulaire.» Toutes ces cellules proviennent de la division répétée d'une cellule simple, unique, la cellule souche ou «ovule fécondé» (Cytula). La structure et la composition générale des tissus est la même chez l'homme que chez les autres Vertébrés. Parmi ceux-ci, les Mammifères, classe la dernière parue et parvenue au plus haut degré de perfectionnement, se distinguent par certaines particularités acquises tardivement. C'est ainsi, par exemple, que la formation microscopique des poils, des glandes cutanées, des glandes lactées, des globules sanguins, leur est tout à fait particulière et différente de ce qu'elle est chez les autres Vertébrés; l'homme, sous le rapport de toutes ces particularités histologiques, est un pur Mammifère.
Les recherches microscopiques d'A. Koelliker et de F. Leydig (à Wurzbourg) ont non seulement élargi en tous sens notre connaissance de la structure du corps humain et animal, mais en outre elles ont pris une importance particulière en s'alliant à l'histoire du développement de la cellule et des tissus; elles ont, entre autres, confirmé l'importante théorie de Theodore Siebold (1845) selon laquelle les animaux inférieurs, les Infusoires et les Rhizopodes étaient considérés comme des organismes monocellulaires.
Caractères des Vertébrés chez l'homme.—Notre corps tout entier présente, aussi bien dans l'ensemble que dans les particularités de sa constitution, le type caractéristique des Vertébrés. Ce groupe, le plus important et le plus perfectionné du règne animal, n'a été reconnu dans son unité naturelle qu'en 1801 parle grand Lamarck; celui-ci réunit sous ce terme les quatre classes supérieures de Linné: Mammifères, Oiseaux, Amphibies et Poissons. Il leur opposa comme Invertébrés les deux classes inférieures: Insectes et Vers. Cuvier (1812) confirma l'unité du type «Vertébré» et lui donna une base plus solide encore par son anatomie comparée. De