Ernst Haeckel

Les énigmes de l'Univers


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«l'époque de la philosophie est passée et qu'à sa place s'est installée la science[7]. Cette suprématie exclusive accordée à l'empirisme est une erreur non moins dangereuse que l'erreur opposée, qui confère cette suprématie à la spéculation. Les deux moyens de connaissance sont réciproquement indispensables l'un à l'autre. Les plus grands triomphes de l'étude moderne de la nature: la théorie cellulaire et la théorie de la chaleur, la doctrine de l'évolution et la loi de la substance, sont des faits philosophiques, non pas, cependant, des résultats de la pure spéculation, mais bien d'une expérience préalable, la plus étendue et la plus approfondie possible.

      Au début du XIXe siècle, le plus grand de nos poètes idéalistes, Schiller, s'adressant aux deux partis en lutte, celui des philosophes et celui des naturalistes, leur criait:

      «La guerre soit entre vous! l'union viendra trop tôt encore! C'est à la seule condition que vous restiez désunis dans la recherche, que la vérité se fera connaître!»

      Depuis lors, par bonheur, la situation s'est profondément modifiée; comme les deux partis, par des chemins différents, tendaient au même terme, ils se sont rencontrés sur ce point et, unis par la communauté du but, ils se rapprochent sans cesse de la connaissance de la vérité. Nous sommes revenus à cette heure, à la fin du XIXe siècle, à cette méthode scientifique moniste que le plus grand de nos poètes réalistes, Goethe, au début même du siècle, avait reconnue être la seule conforme à la nature[8].

      Dualisme et Monisme.—Les directions diverses de la philosophie, envisagées du point de vue actuel des sciences naturelles, se séparent en deux groupes opposés: d'une part, la conception dualiste où règne la scission, d'autre part, la conception moniste où règne l'unité. A la première se rattachent généralement les dogmes téléologiques et idéalistes; à la seconde, les principes réalistes et mécaniques. Le Dualisme (au sens le plus large!) sépare, dans l'Univers, deux substances absolument différentes, un monde matériel et un Dieu immatériel qui se pose en face de lui comme son créateur, son conservateur et son régisseur. Le Monisme, par contre (entendu également au sens le plus large du mot!) ne reconnaît dans l'Univers qu'une substance unique, à la fois «Dieu et Nature»; pour lui, le corps et l'esprit (ou la matière et l'énergie) sont étroitement unis.

      Le Dieu supra terrestre du dualisme nous conduit nécessairement au théisme; le dieu intracosmique du monisme, par contre, au panthéisme.

      Matérialisme et Spiritualisme.—Très souvent, aujourd'hui encore, on confond les expressions différentes de monisme et matérialisme, ainsi que les tendances essentiellement différentes du matérialisme théorique et du pratique. Comme ces confusions de termes et d'autres analogues ont des conséquences très fâcheuses et amènent d'innombrables erreurs, nous ferons encore, afin d'éviter tout malentendu, les brèves remarques suivantes: I. Notre pur monisme n'est identique, ni avec le matérialisme théorique qui nie l'esprit et ramène le monde à une somme d'atomes morts, ni avec le spiritualisme théorique (récemment désigné par Ostwald du nom d'énergétique[9]) qui nie la matière et considère le monde comme un simple groupement d'énergies ou de forces naturelles immatérielles, ordonnées dans l'espace. II. Nous sommes bien plutôt convaincus avec Goethe que «la matière n'existe jamais, ne peut jamais agir sans l'esprit et l'esprit jamais sans la matière.» Nous nous en tenons fermement au monisme pur, sans ambiguïté, de Spinoza: la matière (en tant que substance indéfiniment étendue) et l'esprit ou énergie (en tant que substance sentante et pensante) sont les deux attributs fondamentaux, les deux propriétés essentielles de l'Etre cosmique divin, qui embrasse tout, de l'universelle substance, (cf. Chapitre XII).

       Comment est construit notre corps.

       Table des matières

      Études monistes d'anatomie humaine et comparée. Conformité d'ensemble et de détail entre l'organisation de l'homme et celle des mammifères.

      «Nous pouvons considérer tel système d'organes que nous voudrons, la comparaison des modifications qu'il subit à travers la série simiesque, nous conduira toujours à cette même conclusion: Que les différences anatomiques qui séparent l'homme du gorille et du chimpanzé, ne sont pas si grandes que celles qui distinguent le gorille d'entre les autres singes.»

       «Thomas Huxley (1863).»

       SOMMAIRE DU DEUXIÈME CHAPITRE

      Importance fondamentale de l'anatomie.—Anatomie humaine.—Hippocrate. Aristote. Galien. Vésale.—Anatomie comparée.—George Cuvier. Jean Müller. Charles Gegenbaur.—Histologie.—Théorie cellulaire.—Schleiden et Schwann. Kölliker. Virchow.—Les caractères d'un animal vertébré se retrouvent chez l'homme.—Les caractères d'un animal tétrapode se retrouvent chez l'homme.—Les caractères des Mammifères se retrouvent chez l'homme.—Les caractères des Placentaliens se retrouvent chez l'homme.—Les caractères des Primates se retrouvent chez l'homme.—Prosimiens et Simiens.—Catarrhiniens.—Papiomorphes et Anthropomorphes.—Conformité essentielle dans la structure du corps, entre l'homme et le singe anthropoïde.

       LITTÉRATURE

      C. Gegenbaur.—Lehrbuch der Anatomie des Menschen. 1883.

      R. Virchow.—Gesammelte Abhandlungen, z. wissenschaftl. Medizin. I. Die Einheits-Bestrebungen. 1856.

      J. Ranke.—Der Mensch. 1887.

      R. Wiedersheim.—Der Bau des Menschen als Zeugniss für seine Vergangenheit. 1893.

      R. Hartmann.—Die menschenaehnlichen Affen und ihre Organisation im Vergleich z. menschlichen. 1883.

      E. Haeckel.—Anthropogenie oder Entwickelungsgeschichte des Menschen IX, Die Wirbelthier-Natur des Menschen. 1874.

      Th. Schwann.—Mikroskopische Untersuchungen über die Uebereinstimmung in der Struktur und dem Wachsthum der Thiere und Pflanzen. 1839.

      A. Kölliker.—Handbuch der gewebelehre des Menschen. 1889.

      Ph. Stöhr.—Lehrbuch der Histologie und der mikroskopischen Anatomie des Menschen. 1898.

      O. Hertwig.—Die Zelle und die Gewebe. Grundzüge der allgem. Anatomie und Physiologie. 1896.

      Toutes les recherches biologiques, toutes les études sur la forme et le fonctionnement des organismes, doivent avant tout s'arrêter à la considération du corps visible, sur lequel nous pouvons précisément observer ces phénomènes morphologiques et physiologiques. Ce principe vaut pour l'homme aussi bien que pour tous les autres corps animés de la nature. Cependant, les recherches ne doivent pas se borner à la considération de la forme extérieure, mais, pénétrant à l'intérieur de celle-ci, faire l'étude macroscopique et microscopique des éléments qui la constituent. La science qui a pour objet cette recherche fondamentale dans toute son étendue est l'anatomie.

      Anatomie humaine.—La première incitation à l'étude de la structure du corps humain vint, comme c'était naturel, de la médecine. Celle-ci, chez les plus anciens peuples civilisés, étant d'ordinaire exercée par les prêtres, nous avons tout lieu de croire que dès le second siècle avant J.-C. ou plus tôt encore, ces représentants de la culture d'alors possédaient déjà des connaissances anatomiques. Mais quant à des connaissances plus précises, acquises par la dissection des mammifères et appliquées ensuite à l'homme,—nous n'en trouvons que chez les philosophes-naturalistes grecs des VIe et VIIe siècles avant J.-C., chez Empédocle (d'Agrigente) et Démocrite (d'Abdère), mais avant tout chez le plus célèbre médecin de l'antiquité classique, chez Hippocrate (de Cos). C'est dans leurs écrits