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de plain-pied par une porte vitrée.

      —Mon père est bien endormi, dit-elle, il ne se réveillera pas avant un quart d'heure au moins.

      Ce qu'on appelle ordinairement un jardin sur ces côtes de la Provence, est un petit terrain clos de murs, où la chaleur du soleil se concentrant comme dans une rôtissoire, ne laisse vivre que quelques touffes d'immortelle, des grenadiers, des câpriers et des orangers qui ne rapportent pas de fruits mangeables. Je fus surpris de trouver celui dans lequel nous entrâmes verdoyant et touffu. Au fond s'élève un beau platane à la cime arrondie, et de chaque côté, les murs sont cachés sous des plantes grimpantes en fleurs, des bignonias, des passiflores. Au centre se trouve une étoile à cinq rayons doubles émaillée de pourpiers à fleurs blanches, et au milieu de ces rayons se dresse un buste en bronze sur lequel retombent les rameaux déliés d'un saule pleureur. Ce buste est celui de Napoléon, vêtu de la redingote grise et coiffé du petit chapeau.

      —Voici l'autel de mon père, me dit Clotilde, et son dieu, l'empereur.

      Puis, me regardant en face avec son sourire moqueur:

      —Je ne vous parle pas de l'arbre qui ombrage ce buste, car bien que cet arbre ne soit pas encore arrivé, malgré nos soins, à dépasser les murs, vous l'avez du haut de la montagne aperçu et nommé; de près vous le reconnaissez, n'est-ce pas, c'est le saule pleureur que vous m'avez montré hier.

      Je restai un moment sans répondre, puis prenant mon courage et ne baissant plus les yeux:

      —Je vous remercie, mademoiselle, d'aborder ce sujet, car il me charge d'un poids trop lourd.

      —Vous êtes malheureux d'avoir pris un platane pour un saule; c'est trop de susceptibilité botanique.

      —Ce n'est pas de la botanique qu'il s'agit, mais d'une chose sérieuse.

      Il était évident qu'elle voulait que l'entretien sur ce sujet n'allât pas plus loin; mais, puisque nous étions engagés, je voulais, moi, aller jusqu'au bout.

      —Je vous en prie, mademoiselle, écoutez-moi sérieusement.

      —Il me semble cependant qu'il n'y a rien de sérieux là dedans; j'ai voulu plaisanter, et je vous assure que dans mes paroles, quelque sens que vous leur prêtiez, il n'y a pas la moindre intention de reproche ou de blâme.

      —Si le blâme n'est pas en vous, il est en moi.

      —Hé bien alors, pardonnez-vous vous-même, et n'en parlons plus.

      —Parlons-en au contraire, et je vous demande en grâce de m'écouter; soyez convaincue que vous n'entendrez pas un mot qui ne soit l'expression du respect le plus pur.

      Arrivés au bout du jardin, nous allions revenir sur nos pas et déjà elle s'était retournée, je me plaçai devant elle, et, de la main, du regard, je la priai de s'arrêter.

      —Hier, je vous ai dit, mademoiselle, que je venais à Cassis pour y remplir une mission dont on m'avait chargé, et sur cette parole vous avez bien voulu m'ouvrir votre maison et me mettre en relation avec monsieur votre père; eh bien, cette parole était fausse.

      Elle recula de deux pas, et me regardant d'une façon étrange où il y avait plus de curiosité que de colère:

      —Fausse? dit-elle.

      —Voici la vérité. Après avoir dansé avec vous sans vous connaître, attiré seulement près de vous par une profonde sympathie et par une vive admiration,—pardonnez-moi le mot, il est sincère,—j'ai demandé à Marius Bédarrides qui vous étiez. Alors il m'a parlé de vous, du général et de ce saule,—témoignage d'une pieuse reconnaissance. J'ai voulu vous revoir, et en vous retrouvant dans le coupé de cette diligence, au lieu de me taire ou de vous dire la vérité, j'ai inventé cette fable ridicule d'une mission à Cassis.

      —Sinon ridicule, au moins étrange dans l'intention qui l'a inspirée.

      —Oh! l'intention, je la défendrai, car je vous fais le serment qu'elle n'était pas coupable. J'ai voulu vous revoir, voilà tout. Et en me retrouvant avec vous, j'ai été amené, je ne sais trop comment, peut-être par crainte de paraître avoir cherché et préparé cette rencontre, j'ai été entraîné dans cette histoire qui s'est faite en sortant de mes lèvres et qui depuis s'est compliquée d'incidents auxquels le hasard a eu plus de part que moi. Mais en me voyant accueilli comme je l'ai été par vous et par monsieur votre père, je ne peux pas persister plus longtemps dans ce mensonge dont j'ai honte.

      Il y eut un moment de silence entre nous qui me parut mortel, car ce qu'elle allait répondre déciderait de ma vie et l'angoisse m'étreignait le coeur. Je ne regrettais pas d'avoir parlé, mais j'avais peur d'avoir mal parlé, et ce que j'avais dit n'était pas tout ce que j'aurais voulu dire.

      —Et que voulez-vous que je réponde à cette confidence extraordinaire? dit-elle enfin sans lever les yeux sur moi.

      —Rien qu'un mot, qui est que, sachant la vérité, vous continuerez d'être ce que vous étiez alors que vous ne le saviez pas.

      J'attendais ce mot, et pendant plusieurs secondes, une minute peut-être, nous restâmes en face l'un de l'autre, moi les yeux fixés sur son visage épiant le mouvement de ses lèvres, elle le regard attaché sur le sable de l'allée.

      —Allons rejoindre mon père, dit-elle enfin, il doit être maintenant réveillé.

      Ce n'était pas la réponse que j'espérais, ce n'était pas davantage celle que je craignais, et cependant c'était une réponse.

       Table des matières

      Sans doute il est bon pour l'harmonie universelle que l'homme et la femme n'aient point l'esprit fait de même, mais dans les choses de la vie cette diversité amène souvent des difficultés de s'entendre et de se comprendre. L'homme, pour avoir voulu trop préciser, est accusé de grossièreté ou de dureté par la femme; la femme, pour être restée dans une certaine indécision, voit l'homme lui reprocher ce qu'il appelle de la duplicité et de la tromperie.

      C'était précisément cette indécision que je reprochais à Clotilde en marchant silencieux près d'elle pour venir retrouver son père. Qu'y avait-il au juste dans sa réponse? On pouvait l'interpréter dans le sens que l'on désirait, mais lui donner une forme nette et précise était bien difficile.

      Je n'eus pas le temps, au reste, d'étudier longuement ce point d'interrogation qu'elle venait de me planter dans le coeur, car en entrant dans le salon nous trouvâmes le général éveillé et de fort mauvaise humeur, grommelant, bougonnant et même sacrant, comme disait la vieille servante.

      —Comprends-tu ce qui se passe? s'écria-t-il lorsqu'il vit sa fille entrer, l'abbé Peyreuc me fait avertir qu'il lui est impossible de venir faire ma partie, et comme Solignac ne reviendra de Marseille que demain, me voilà pour une journée entière collé sur ce fauteuil avec mon sacré rhumatisme pour toute distraction. Vieillir! misère, misère.

      —Si tu veux de moi? dit-elle.

      —La belle affaire, de jouer contre un partenaire tel que toi; croiriez-vous, capitaine, qu'en jouant l'autre jour avec elle j'ai fait l'échec du berger; une partie finie au quatrième coup sans qu'aucune pièce ait été enlevée, comme c'est amusant! Il faudrait jouer au pion coiffé.

      Je n'osais profiter de l'occasion qui s'offrait à moi, car dans mon incertitude sur le sens que je devais donner à la réponse de Clotilde j'avais peur que celle-ci ne se fâchât de ma proposition. Cependant je finis par me risquer:

      —Si vous vouliez m'accepter, général?

      C'était à Clotilde bien plus qu'au général que ces paroles s'adressaient.

      Mais ce fut le général qui répondit:

      —Trop