Peuple, Ouvriers, Soldats, Bourgeois, Paysans, etc.
ACTE PREMIER
PREMIER TABLEAU
LE DÉPART DE MAYENCE
Une place publique, à Mayence.—À gauche, une boutique d'orfèvre, avec cette enseigne: Jean Gutenberg, orfèvre.—Sur la façade de la maison est sculptée une tête de taureau, avec cet exergue: Rien ne me résiste.—À droite, une boutique de marchand d'estampes, avec cette enseigne: Pierre Grimmel, marchand d'estampes.
SCÈNE PREMIÈRE
HÉBÈLE, FRIÉLO
FRIÉLO, arrivant par la droite, pendant qu'Hébèle sort de la boutique d'orfèvre, à gauche.
Damoiselle Hébèle, mon maître va rentrer; il voudrait vous parler.
HÉBÈLE, descendant en scène[A].
Je l'attendrai... Mais sais-tu ce que mon frère veut me dire?
FRIÉLO.
Non, damoiselle.
HÉBÈLE.
Comment, toi, son frère de lait, tu n'es pas son confident?
FRIÉLO.
Mon Dieu, non! Depuis qu'il est devenu le premier orfèvre de Mayence, maître Jean ne fait plus grand cas de moi... pauvre apprenti.... Mais il ne devrait pas se méfier de ça!... (Il frappe sur son cœur.) Un orphelin recueilli par une noble et sainte famille, comme la vôtre, doit avoir un bon cœur; et Dieu m'en a donné un si grand que malgré la place qu'y tiennent déjà tous les Gensfleisch, de Mayence, je sens bien que la femme de mon maître, les enfants et petits-enfants à venir, trouveraient encore à s'y loger.
HÉBÈLE.
Bon Friélo!
FRIÉLO.
Mon métier, ma vie, je dois tout à mon maître; et il n'a pas confiance en moi, qui me ferais hacher pour lui!... Car il se méfie de moi, damoiselle.
HÉBÈLE.
Vraiment!
FRIÉLO.
Depuis quelque temps, il me renvoie de son atelier. Il s'y enferme pendant de longues heures; et lorsqu'il en sort, il est tout préoccupé. J'ai aperçu, l'autre jour, par la porte restée ouverte, des outils, dont je ne peux comprendre l'usage... Tout cela n'est pas naturel. Et tenez, (Il montre les feuillets du marchand d'estampes.) voyez-vous ces feuilles de papier sur lesquelles sont tracés des mots que n'a point écrits une main humaine? C'est une de ses inventions. J'ai bien peur que la fantaisie qu'il a eue d'exposer là ces singulières pages d'écriture, ne lui attire quelque méchante affaire... Mais, silence, le voici.
NOTES:
[A] Hébèle, Friélo.
SCÈNE II
Les Mêmes, GUTENBERG
Gutenberg fait un signe à Friélo, qui sort, par la droite.
HÉBÈLE[A].
Tu désires me parler, mon frère?
GUTENBERG, prenant la main d'Hébèle.
Ce que j'ai à te dire est grave, Hébèle. Il s'agit de tout mon avenir.
HÉBÈLE.
Tu sais, Jean, que depuis la mort de nos parents, je t'ai considéré comme le chef de la famille. Je suis persuadée que tu ne peux vouloir rien que de bon et d'honnête. Parle donc.
GUTENBERG.
Notre père, tu le sais, était praticien de la ville; mais il était sans fortune. En mourant, il ne nous laissa pour tout bien que cette maison, la maison du Taureau noir, et le nom, sans tache, de Gensfleisch. Dans notre libre cité de Mayence, la noblesse n'exclut pas le travail. Je n'ai donc pas hésité, pour soutenir notre famille, à choisir une profession; et je suis devenu orfèvre et bijoutier. Mon métier nous fait vivre; mais depuis deux ans, chère sœur, une grande ambition s'est emparée de moi: non cette ambition vulgaire, qui vise à des trésors ou à des honneurs, mais la noble et sainte aspiration de l'homme qui veut doter son pays d'un bienfait nouveau. Au lieu de fabriquer ici des bijoux inutiles, je veux, dès aujourd'hui, consacrer