mystère. Ce que j'obtiens n'est encore qu'une ébauche, mais elle va m'amener à d'autres résultats. Vous savez que depuis assez longtemps, nos artistes obtiennent des gravures, en sculptant en relief des dessins sur le bois. C'est ainsi que j'opère. Seulement, au lieu de sculpter en relief, sur le bois, les traits du dessin, je sculpte des lettres, des mots, des phrases; et ces caractères, sculptés en relief sur le bois, forment des pages de manuscrit, que je multiplie ensuite, à volonté, en les tirant sur le papier, grâce à l'encre des graveurs, et à la vieille presse qui sert aux imagiers.
CONRAD HUMMER.
C'est une très belle idée, mais tout dépend de la manière d'opérer... Consentirais-tu à nous montrer ton travail?
GUTENBERG.
Mais certainement! Suivez-moi, mes amis, dans mon atelier. (Il passe devant Conrad, ouvre la porte de la boutique et les fait entrer.) Je vais vous montrer mes chefs-d'œuvre.
Il entre derrière eux, dans la boutique.
NOTES:
[A] Conrad, Gutenberg, Dritzen.
SCÈNE XI
ZUM, LE PETIT ZUM, ils ont, chacun, une longue plume derrière l'oreille.
La scène reste vide quelques instants; puis Zum et le petit Zum entrent, l'un par la droite, l'autre par la gauche. Ils traversent la scène, sans se voir, et se rencontrent, nez à nez, au second tour, au milieu du théâtre.
ZUM.
C'est toi, grand frère? Où vas-tu ainsi, le nez en l'air?[A]
LE PETIT ZUM.
C'est toi, petit frère? Où vas-tu ainsi, le poing sur la hanche?
ZUM.
Chez Gutenberg, l'orfèvre.
LE PETIT ZUM.
Et moi chez le père Grimmel, le marchand d'estampes.
ZUM.
Gageons que nous venons tous les deux pour la même chose.
LE PETIT ZUM.
Les feuillets gravés par Gutenberg, n'est-ce pas?
ZUM.
Tout juste.
LE PETIT ZUM.
Eh bien! Allons voir ça!
Ils vont prendre, à la devanture de la boutique du marchand d'estampes, les feuillets, et reviennent au milieu du théâtre.
ZUM, examinant les feuillets[B].
C'est vraiment extraordinaire! Quelle écriture admirable! Pas une lettre ne dépasse l'autre... Partout même largeur de lignes... Et s'il y a une faute, un trait singulier sur un feuillet, on trouve la même faute, le même trait, sur tous les autres... C'est la même page constamment reproduite... Que dis-tu de cela, petit frère?
LE PETIT ZUM.
Je dis, grand frère, que si cette invention se répand, tout le corps de Mayence, dont nous avons l'honneur de faire partie (Ils saluent tous les deux, du pied droit, et en ôtant leur bonnet.) n'a plus de raison d'être, ni de moyen d'existence... et que nous n'avons plus qu'à nous faire moines ou soldats.
ZUM, allant à la boutique de Gutenberg, et lui montrant le poing[B].
Et c'est ce Gutenberg qui a fait cela!... Je ne l'aimais déjà pas beaucoup, ce jeune homme. Il est gentilhomme et de famille noble, et il s'est fait artisan. Il avait un bon et vieux nom, celui des Gensfleisch, et il l'a quitté, pour prendre le nom d'un petit domaine qu'il possède à Gutenberg. Enfin, voilà qu'il lui vient la déplorable idée de ruiner les copistes!
LE PETIT ZUM.
Et aucune loi ne peut l'empêcher de mettre subitement sur le pavé une foule de pauvres diables, comme toi et moi?
ZUM.
Aucune... Nous n'avons rien contre lui... Excepté ceci.
Il tire un poignard.
LE PETIT ZUM.
Ou cela... (il tire un poignard plus grand.) Alors, grand frère, tu ne verrais pas d'inconvénients?
Il fait le geste de poignarder.
ZUM, bas.
Au contraire!... morte la bête, mort le venin.
LE PETIT ZUM, il regarde si personne ne l'écoute, et amène son frère à l'extrême droite.
J'ai pris, à tout hasard, quelques informations sur notre homme... Il sort, chaque soir, à huit heures, après son repas, et se rend à la brasserie du Rhin, pour deviser, avec ses deux amis, Conrad Hummer et André Dritzen, de choses de jeunesse et d'amour.
ZUM, même jeu: Zum amène son frère à l'extrême gauche.
De sorte qu'il suffirait, ce soir, par exemple, de nous cacher dans un coin de la rue, et d'attendre notre cavalier.
LE PETIT ZUM.
À ce soir, grand frère! J'aurai mon poignard.
ZUM.
Et moi le mien... c'est-à-dire, non!... j'apporterai une dague: on frappe de plus loin.
LE PETIT ZUM.
À ce soir!... Gutenberg est un homme mort.
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