Figuier Louis

Gutenberg, pièce historique en 5 actes, 8 tableaux


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      Et pourquoi mon influence serait-elle contraire à son avenir? Pourquoi ma présence, mon aide et mes encouragements, ne lui seraient-ils pas salutaires? Le devoir d'une femme n'est pas d'abandonner celui qu'elle aime aux difficultés de la vie, mais de lutter à côté de lui, avec lui, contre l'adversité. Si Gutenberg est appelé à la gloire, il l'est aussi à la souffrance, et je veux être l'appui, la consolation, la tendresse, que son cœur réclamera dans les moments de doute et de défaillance.

      HÉBÈLE.

      Le sacrifice, chère Annette, n'est-il pas aussi de l'amour?... Mais voici Gutenberg. Je voulais seulement te préparer à l'entendre. Je te quitte. (Fausse sortie.) Mon frère t'expliquera mieux que moi les motifs de son départ.

      Elle sort par le fond, droite.

      NOTES:

      [A] Annette, Hébèle.

       Table des matières

      ANNETTE, puis GUTENBERG[A]

      ANNETTE, reste un moment pensive, puis, avec résolution.

      Non, personne ne m'enlèvera le cœur de Gutenberg. Mais le voici... du calme! (À Gutenberg, qui sort de la boutique d'orfèvre.) D'après ce qu'Hébèle vient de me dire, tu comptes quitter bientôt Mayence?

      GUTENBERG.

      Ah!... Hébèle t'a appris ma résolution, mes projets...

      ANNETTE.

      Et ta fiancée, Jean? Le temps où tu jurais de me prendre pour femme, est-il déjà si loin de ton souvenir? As-tu oublié la Pâques-Fleurie de 1437? C'était la foire de Mayence. Tu m'achetas une bague d'argent, en me disant: «Ennel, voilà l'anneau des fiançailles. Je le remplacerai bientôt par l'anneau d'or du mariage.» Trois ans se sont écoulés, et tu ne m'as plus donné le doux surnom d'Ennel!... Tu pars, et tu ne parles plus de m'épouser.

      GUTENBERG.

      Tu sais bien, Annette, qu'une ambition généreuse fait maintenant battre mon cœur. Tu sais que je ne suis plus libre, que j'ai juré de me vouer, corps et âme, à mon art... Oublions nos rêves d'enfance.

      ANNETTE.

      Oublier, dis-tu? La fleur oublie-t-elle la rosée qui la désaltère, l'oiseau le nid qui lui sert de refuge, et l'homme le soleil qui l'éclaire? Nous ne pouvons davantage oublier notre amour; car il a rafraîchi nos cœurs, abrité nos jeunes ans, et porté la lumière en nos âmes. Tes serments t'ont lié à ma vie, et tu ne saurais les renier sans nous léguer, à toi la honte, à moi le désespoir.

      GUTENBERG.

      Nous devons nous incliner sous la fatalité qui nous sépare. Pour atteindre le but auquel j'aspire, il me faut résister à la voix de l'amour. Épargne donc à mon cœur le regret d'un parjure.

      ANNETTE.

      Je suis prête à m'immoler à ta gloire. Pars, puisque tu le veux. Je ne retiendrai pas le noble élan qui te pousse vers une destinée inconnue. Mais avant de t'engager dans une voie nouvelle, ne veux-tu pas me dire, une fois encore, ce que tu m'as répété si souvent?

      GUTENBERG.

      Que désires-tu, Annette? Parle. Si c'est en mon pouvoir, je te l'accorderai sur-le-champ.

      ANNETTE.

      Ce que je désire est bien simple, Jean. Donne-moi par écrit la promesse de m'épouser, que tu me fis il y a cinq ans... (Mouvement de Gutenberg.) Tu ne réponds rien!... Hésiterais-tu à ratifier avec la plume un serment fait avec le cœur?

      GUTENBERG.

      Ma vie s'annonce trop aventureuse pour que j'ose t'enchaîner à mon avenir. En vérité, je ne puis t'accorder ce que tu me demandes.

      ANNETTE.

      Une autre te reprocherait tes serments et ton abandon; une autre te poursuivrait de ses lamentations et de son ressentiment. Je ne te demande, moi, que quelques lignes de ta main!... (Jean regarde Annette, fait quelques pas, hésite et revient.) Auras-tu la cruauté de refuser cette consolation à celle dont ton départ va briser le cœur, à celle qui avait mis en toi son espoir et sa vie?...

      GUTENBERG.

      Tout engagement est sacré. Je ne puis faire une promesse que je ne saurais tenir.

      ANNETTE.

      C'est ton honneur qui est ici en jeu. L'homme n'est véritablement libre que par le devoir accompli. Mets-toi donc en règle avec le passé, pour que le ciel bénisse tes efforts à venir. Tu veux devenir un homme illustre: commence par être un honnête homme!...

      GUTENBERG.

      Allons! qu'il soit fait selon ton désir.

      Il entre dans la maison.

      ANNETTE, haletante, ne le perd pas de vue.

      Enfin!... Dieu soit loué! Je n'avais pas trop présumé de son cœur! Je n'aurai pas invoqué en vain les souvenirs de notre enfance!

      GUTENBERG, revient, avec un parchemin, qu'il remet à Annette.

      Voici la promesse de mariage que tu désires, Annette. Puissions-nous n'avoir à nous repentir jamais, toi de l'avoir exigée, moi de te l'avoir accordée!

      ANNETTE, mettant le parchemin dans son escarcelle, après l'avoir lu.

      Maintenant, je puis te dire adieu. Pars, je me considère comme ta femme. De loin mon cœur suivra le tien; il ressentira tes joies et tes souffrances... Adieu!

      Elle sort par la droite, deuxième plan.

      NOTES:

      [A] Gutenberg, Hébèle.

       Table des matières

      GUTENBERG, seul, puis FRIÉLO

      GUTENBERG[A].

      C'est peut-être une imprudence que j'ai commise, mais je n'ai pu résister à ses larmes, à sa douleur. Enfin, chassons ces tristes pensées. (À Friélo.) Que veux-tu, Friélo?

      FRIÉLO, sortant de la boutique du marchand d'estampes.

      Maître, le seigneur Fust, l'argentier, est en ce moment dans la boutique du père Grimmel, le marchand d'estampes, et il demande à vous voir.

      GUTENBERG.

      Que peut-il avoir à me dire?

      FRIÉLO.

      Il a longtemps examiné les feuillets gravés qui sont exposés à la devanture et dans la boutique du père Grimmel; et c'est à ce sujet, je crois, qu'il désire vous parler.

      GUTENBERG.

      Eh bien, va dire au seigneur Fust que je suis fort honoré de sa visite, et tout à ses ordres.

      Friélo sort par la boutique du marchand d'estampes.

      NOTES: