Figuier Louis

Gutenberg, pièce historique en 5 actes, 8 tableaux


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dit, mon frère!

      GUTENBERG.

      As-tu jamais songé à la triste vie de ces pauvres copistes, qui passent leurs journées courbés sur des parchemins, et dont l'existence entière ne suffit pas à transcrire une bible ou un psautier? N'as-tu jamais regretté qu'il n'y eût aucun procédé mécanique pour remplacer le travail de leur main?

      HÉBÈLE.

      Mais, mon frère, c'est impossible!

      GUTENBERG.

      Impossible! non! car je veux créer moi-même cet art nouveau.

      HÉBÈLE.

      Si cet art existait, le peuple pourrait lire et s'instruire; ce qui n'est aujourd'hui que le privilège des gens assez riches pour payer les manuscrits au poids de l'or.

      GUTENBERG.

      Sans doute! aussi cette idée me prive-t-elle de sommeil, de repos!... Depuis un an j'essaie toutes sortes de moyens pour reproduire les manuscrits par un art mécanique. À la mort de notre mère, je dus me rendre à Gutenberg, pour hériter de son petit domaine. Là, je trouvai, dans un grenier, une vieille presse à images; et l'idée me vint de l'employer à la fabrication des manuscrits. Le résultat que j'obtins dépassa mes espérances. J'ai résolu, dès lors, d'abandonner mon métier d'orfèvre, pour me vouer, corps et âme, à cette entreprise.

      HÉBÈLE.

      Mais songes-tu aux difficultés... aux dépenses?...

      GUTENBERG.

      Mon courage sera à la hauteur de mon œuvre... Mais tu le sais, il y a ici une jeune fille, noble, riche et dévouée, à qui j'avais donné mon cœur et promis ma main...

      HÉBÈLE.

      Annette de la-Porte-de-Fer.

      GUTENBERG.

      Je ne veux pas l'associer aux difficultés, aux dangers qui m'attendent dans l'accomplissement de ma tâche; je veux quitter Mayence et partir seul. Je viens donc te prier, chère Hébèle, de faire connaître à Annette de la-Porte-de-Fer le sacrifice que je suis obligé de faire de mon bonheur au succès de mon art.

      HÉBÈLE.

      Ce sera pour elle un coup cruel et inattendu... Mais je n'ai pas à discuter les motifs de ta résolution, ni à sonder les sentiments de ton cœur. La mission dont tu me charges, frère, je l'accomplirai.

      GUTENBERG.

      Merci, chère Hébèle, je n'attendais pas moins de toi... (Il fait passer Hébèle sur le seuil de la porte de la boutique d'orfèvre.) Et maintenant, rentrons. Je veux mettre sous ta garde ma vieille presse et mes premiers outils.

      Ils rentrent dans la boutique.

      NOTES:

      [A] Hébèle, Gutenberg.

       Table des matières

      ANNETTE, FRIÉLO, des feuillets à la main[A]

      Ils arrivent par le fond au moment où Gutenberg et Hébèle entrent dans la boutique d'orfèvre.

      FRIÉLO.

      Comme je vous le dis, damoiselle Annette, c'est votre fiancé qui a composé ces pages d'écriture mécanique qui vont ameuter tous les manants de la ville... Cela nous portera malheur!... Continuer son bon état d'orfèvre, vous épouser, et avoir une demi-douzaine de beaux enfants, telle aurait été la conduite d'un homme sensé. Mais depuis le jour où il a eu la malheureuse idée d'imiter les manuscrits, je ne reconnais plus mon maître! Il est devenu taciturne, rêveur; et je vous assure qu'en ce moment, il ne songe guère aux femmes, ni au mariage. Si chacun l'imitait, le monde finirait bientôt... Heureusement il n'oblige personne à penser comme lui. Voici l'heure où la petite Rosette, la jolie blonde, m'attend à la fontaine, et si vous n'avez rien à me commander...

      ANNETTE.

      Va, mon garçon, va...

      Friélo sort, en courant, par le fond, droite.

      NOTES:

      [A] Annette, Friélo.

       Table des matières

      ANNETTE, seule

      La découverte d'un art nouveau serait le motif des préoccupations de Jean?... Mais alors je peux encore faire de son amour le but et l'orgueil de ma vie; car au lieu d'une rivale, je rencontre une ambition qui servira mes projets. Enfant, je partageais sa joie et ses chagrins; femme, je partagerai ses travaux et sa gloire.

       Table des matières

      HÉBÈLE, sortant de la boutique d'orfèvre; ANNETTE

      Comme te voilà pensive et préoccupée, Hébèle!

      HÉBÈLE.

      C'est que j'ai à te faire une communication grave.

      ANNETTE.

      Une communication grave?... Et de la part de qui?

      HÉBÈLE.

      De la part de mon frère, de ton fiancé.

      ANNETTE.

      Ah!

      HÉBÈLE.

      Mon frère veut partir, il veut quitter Mayence.

      ANNETTE.

      Partir? et pourquoi?

      HÉBÈLE.

      Il a résolu de consacrer sa vie à la création d'un art utile à l'humanité, et il te prie de lui rendre sa liberté.

      ANNETTE.

      Que dis-tu?

      HÉBÈLE.

      L'amour tient peu de place dans le cœur d'un homme absorbé par le travail et l'étude. Que pourrait t'offrir mon frère, dans la vie de labeur et de mécomptes qui l'attend!... (Elle lui prend la main.) Je t'afflige, ma bonne Annette, mais je serais coupable de te laisser un espoir, que je n'ai plus.

      ANNETTE.

      Depuis que je me connais, Hébèle, je me regarde comme l'épouse de Jean. N'a-t-il pas mis à mon doigt l'anneau des fiançailles?... Tu le sais, de pareils serments sont sacrés. Pourquoi serait-il parjure? Je suis jeune et noble. Ai-je cessé d'être honnête? (Mouvement d'Hébèle.) Si je tire quelque vanité des biens que la providence m'a accordés, c'est parce qu'il m'est permis de les offrir à celui que j'aime. Oui, Hébèle, j'aime ton frère, et rien ne me fera renoncer à lui.

      HÉBÈLE.

      Il est des occasions où les femmes doivent sacrifier leur bonheur à la gloire de ceux qu'elles aiment. Cède à notre