George Sand

Cadio


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femmes, cachez-vous; cachez vos jupons roses et vos cheveux poudrés, et cachez-les bien, car il sait dépister les jeunes comme les mûres, les villageoises en sabots comme les bourgeoises en souliers et les princesses en mules de satin! Oui, oui, cachez-moi tout ça, ou malheur à vous!

      LOUISE, (à sa tante.) Elle parle comme une folle! elle me fait peur!

      ROXANE. Et moi, elle m'amuse. (A la Korigane.) C'est très-drôle, tout ce que tu nous chantes là; mais explique-toi mieux. Il ne respecte donc rien, ton fameux marquis?

      LA KORIGANE. Il n'a pas besoin de respecter ni de pourchasser; il regarde!... Oh! il vous regarde avec des yeux... C'est comme le serpent qui charme sa proie. Alors, qu'on veuille ou ne veuille pas, il faut penser à lui le restant de ses jours. Voilà ce que je vous dis, est-ce clair, mamselle Louise? (Louise, troublée, s'éloigne avec un air de dédain.)

      MARIE, (calme, souriant, à la Korigane.) Parlez pour vous, ma chère enfant!

      LA KORIGANE. Pour moi?

      ROXANE. Pardine! on voit bien que tu es amoureuse de lui.

      LA KORIGANE. Amoureuse? Je ne sais pas, demoiselle! Je n'ai que seize ans, moi, et j'ai déjà couru de pays en pays pour gagner ma pauvre vie. J'aurais dû en apprendre long. Eh bien, je n'en sais guère plus que ces demoiselles, puisque je ne sais pas si j'ai été amoureuse et si je le suis.

      ROXANE. A la bonne heure! On t'a prise comme une fille innocente, et j'aime à voir que...

      LA KORIGANE. Vous ne voyez rien! A l'âge de six ans, j'avais déjà un ami que je suivais partout: c'était un champi comme moi. Je l'appelais mon petit mari, et lui, il m'appelait sa petite soeur. Quand il a eu dix-huit ans et moi quatorze, on s'est fâché, parce que je lui disais: «Il faudra nous marier ensemble,» et que lui, il ne voulait ni amitié ni mariage. Il était devenu comme fou; son idée, qu'il disait, c'était d'être moine. Alors, la colère m'est montée aux yeux. Je lui ai jeté mes sabots à la tête, et je me suis sauvée du pays, pieds nus, toujours courant. Je n'avais ni amis ni parents; personne n'a couru après moi, et j'ai été ici et là, n'aimant personne et toujours en colère, toujours pensant à cet imbécile qui n'avait pas voulu m'aimer! J'y ai pensé jusqu'au jour où j'ai vu Saint-Gueltas. Alors, j'ai toujours pensé à Saint-Gueltas, et j'ai oublié l'autre.

      ROXANE. Et Saint-Gueltas... a-t-il fait attention à toi?

      LA KORIGANE. Je ne sais pas! Un jour, votre cousine du Rozeray m'a dit des sottises et des injustices; j'ai bien vu qu'elle était jalouse...

      ROXANE. Allons donc, impertinente! tu voudrais nous faire croire que la comtesse...

      LA KORIGANE. Oh! si vous vous fâchez, je ne dirai plus rien.

      ROXANE. Si fait, parle encore; tu nous amuses, tu nous distrais.--Que regardes-tu, Marie? est-ce que mon frère?... Il a promis de ne pas partir sans nous voir.

      MARIE, (à la fenêtre.) Il est là, mademoiselle. Je ne comprends pas... il donne des ordres... La cour du donjon est pleine de gens de la ville...

      LOUISE. Et mon père fait fermer les grilles. Veut-il les retenir prisonniers?

      ROXANE. Il fait bien, s'il fait cela. Ces drôles l'auront menacé! (A la Korigane.) Va voir ce qui se passe et reviens nous le dire.

      LA KORIGANE, (à la fenêtre, sur laquelle elle grimpe.) Oh! je vas vous le dire tout de suite. Voilà d'un côté les républicains de la ville qui se cachent, et... dans l'autre cour, mon doux Jésus! c'est les gens du roi qui entrent! Je reconnais bien le drapeau.

      ROXANE, (effrayée.) Les brigands! On va se battre, là, sous nos fenêtres!

      LOUISE. Non, non, ils ne se verront même pas! Mon père vient ici avec un chef.

      ROXANE. Ah! qui est-ce? le marquis?...

      LA KORIGANE, (regardant.) Ça? c'est Mâcheballe, le général des braconniers du bas pays. Je n'en vois pas d'autre!

      ROXANE. Mâcheballe, l'assassin, comme on l'appelle? Nous sommes perdus!

      LA KORIGANE. Dame, s'il sait comment vous le traitez! Il vous croira tournée au bleu, et il n'est pas tendre, je ne vous dis que ça!

      LOUISE. Taisez-vous, taisez-vous, le voici!

      SCÈNE VII.--Les Mêmes, LE COMTE, MACHEBALLE et une douzaine de Paysans armés, dont le nombre augmente insensiblement et envahit le salon. Ce sont gens de diverses provinces et quelques Vendéens nouvellement recrutés par eux. LE CHEVALIER, LE BARON, LA TESSONNIÈRE, MÉZIÈRES, STOCK. Plusieurs Vendéens, un peu mieux habillés ou mieux armés que les autres et simulant une sorte d'état-major, entourent Mâcheballe. Ils ont le chapeau ou le mouchoir sur la figure.

      LE COMTE, (à Mâcheballe, qu'il introduit.) Entrez ici, et parlez, monsieur, puisque vous vous présentez au nom du roi, et que vos pouvoirs sont en règle. J'écoute les paroles que vous m'apportez et que vous voulez me dire en présence de mes hôtes et de ma famille.

      MACHEBALLE. Eh bien, monsieur le comte, voilà. Je ne suis pas grand parolier, moi, et la chose que j'ai à vous dire ne prendra pas le temps de réciter un chapelet. Je suis devant vous, moi, Pierre-Clément Coutureau, dit Mâcheballe, capitaine, commandant ou général, comme ça vous fera plaisir, je n'y tiens pas; j'ai ma bande de bons enfants, je la mène du mieux que je peux; si elle est contente de moi, ça suffit!

      LES INSURGÉS. Oui, oui, vive le général!

      MACHEBALLE. Vous voyez, ils veulent que je le sois! On verra ça plus tard, quand on sera organisé; pour le quart d'heure, faut se réunir et se compter. Et, depuis trois mois qu'on avance dans le pays, on a emmené, chemin faisant, tous les bons serviteurs de Dieu et de l'Église. On est donc déjà vingt-cinq mille, chaque corps marchant dans son chemin. On n'est chez vous qu'une cinquantaine; mais, autour de vous, dans les bois, il y a autant d'hommes que d'arbres, monsieur le comte! et faudrait pas nous mépriser parce qu'on vous paraît une poignée. On est venu ici en confiance...

      LE COMTE. Il est inutile de menacer, monsieur; fussiez-vous seul, vous seriez en sûreté chez moi!

      MACHEBALLE. Alors, monsieur le comte, vous allez, je pense, rassembler vos métayers, vos domestiques et tout le monde de votre paroisse, et vous viendrez avec nous, pas plus tard que tout à l'heure, donner l'assaut à la ville de Puy-la-Guerche?

      LE COMTE. Non, monsieur, je ne le ferai pas, et je vous prie, je vous somme au besoin, de vous retirer du district où j'ai le devoir de commander la garde nationale.

      MACHEBALLE, (riant.) Vous me sommez, au nom de quoi?

      LE COMTE. Au nom du roi, monsieur.

      MACHEBALLE. Comment donc que vous arrangez ça dans le pays d'ici?

      LE COMTE. Dans le pays, on procède comme ailleurs au nom de la République; mais avec vous j'invoque la seule autorité légitime que je reconnaisse.

      MACHEBALLE. Alors, comment que vous arrangez ça dans votre cervelle? (Les Vendéens rient.) Comment donc prétendez-vous, au nom du roi, m'empêcher de servir le roi?

      LE COMTE. Chacun entend le service du roi à sa manière. Vous avez méconnu la sainteté de sa cause en commettant des excès, des cruautés sans exemple. J'ai fait honneur à ceux qui ont signé votre mandat en écoutant vos ouvertures, et, maintenant que je les ai entendues, je les repousse. La guerre que vous faites est un prétexte au pillage et aux vengeances personnelles. (Murmures des insurgés. Le comte élève la voix.) Elle me répugne, et je la condamne. Passez votre chemin. Quand un chef royaliste digne de ce nom paraîtra devant moi, je verrai à m'entendre avec lui, si je le puis sans trahir le mandat qui m'est confié. (Murmures des insurgés.)

      MACHEBALLE, (irrité.) Par le saint ciboire! je ne sais pas comment je vous laisse dire tant de sacriléges! (Il met la main sur ses pistolets. Un de ses hommes passe devant lui, et le repousse en arrière en lui disant tout bas: «Assez! tais-toi. Laisse-moi faire!» Cet homme ôte son chapeau. La Korigane s'écrie: «Saint-Gueltas!» Louise, qui s'est élancée vers son père menacé, recule avec effroi. Roxane