la gravité de mon cas. Un jour, je suis allé à Washington pour soumettre un dossier comptable à un bureau du gouvernement. J’avais déjà eu l’occasion de voyager du temps où j’avais cessé de boire. Il n’y avait donc là rien de nouveau pour moi. Je me sentais bien physiquement et j’avais l’esprit libre de tout tracas. Mon rendez-vous avait été un succès. J’étais content et je savais que mes partenaires le seraient aussi. Une journée parfaite prenait fin, sans un nuage à l’horizon.
« Je me suis rendu à l’hôtel et me suis préparé tranquillement pour le dîner. Lorsque j’ai passé le seuil de la salle à manger, l’idée m’est venue que je pourrais bien agrémenter mon dîner de quelques cocktails. Voilà, rien de plus. J’ai commandé un cocktail et mon repas. Puis j’ai demandé un autre cocktail. Après le dîner, j’ai décidé d’aller me promener. À mon retour à l’hôtel, j’ai pensé qu’une consommation me ferait du bien avant d’aller me coucher et je me suis dirigé vers le bar et j’ai pris un verre. Je me souviens d’en avoir bu plusieurs autres ce soir-là, et encore le lendemain matin. J’ai un vague souvenir de m’être trouvé à bord d’un avion à destination de New York et d’avoir trouvé, à l’aéroport, un chauffeur de taxi sympathique au lieu de ma femme. Le chauffeur m’a accompagné dans mes allées et venues pendant plusieurs jours. Je me souviens très peu de ce que j’ai dit ou fait, ou des endroits où je suis allé. Puis de nouveau, le séjour à l’hôpital et les terribles souffrances morales et physiques.
« Dès que j’ai retrouvé mes esprits, j’ai soigneusement passé en revue cette soirée à Washington. Non seulement je n’avais pas été sur mes gardes, mais je n’avais absolument pas résisté à ce premier verre. Cette fois, je n’avais pas du tout pensé aux conséquences. J’avais pris ce premier verre avec la même désinvolture que s’il s’était agi d’un soda. Je me rappelais maintenant ce que mes amis alcooliques m’avaient dit. Ils m’avaient prévenu que si j’avais le tempérament d’un alcoolique, le jour viendrait où je recommencerais à boire. Ils m’avaient dit que même si j’étais sur la défensive, un jour, sous un prétexte banal, mes défenses céderaient. Eh bien, c’est justement ce qui s’était produit et plus encore, car ce que j’avais appris sur l’alcoolisme ne m’était pas du tout revenu à l’esprit. J’ai su à ce moment-là que j’avais le tempérament alcoolique. Je me suis rendu compte que la volonté et la connaissance de soi ne pouvaient m’être d’aucun secours dans ces moments étranges de vide mental. Jusque-là, je n’avais jamais pu comprendre les gens qui se disaient dépassés par un problème. Dès lors j’ai compris. C’était un coup dur.
« J’ai reçu la visite de deux membres des Alcooliques anonymes. En souriant, ce qui m’a un peu agacé, ils m’ont demandé si je me reconnaissais alcoolique et si je m’avouais vraiment vaincu. J’ai dû déclarer forfait sur les deux points. Ils m’ont présenté une foule de preuves pour me faire comprendre que le comportement alcoolique que j’avais eu à Washington était le fait d’une condition désespérée. Ils ont cité des douzaines de cas puisés à même leurs propres expériences. Cette démonstration a achevé d’éteindre la faible lueur d’espoir que j’avais de m’en sortir tout seul.
« Puis, ils m’ont exposé la solution spirituelle et le programme d’action qui avait réussi à une centaine d’entre eux. Même si je ne pratiquais pas ma religion, j’ai trouvé, intellectuellement, leurs principes faciles à assimiler. En revanche, le programme d’action, tout sensé qu’il était, m’a semblé très sévère. Il demandait que je jette par-dessus bord plusieurs de mes croyances de toujours. Ce n’était pas facile. Mais à partir du moment où j’ai pris la décision de m’engager dans le programme, j’ai eu le sentiment curieux d’être soulagé de ma condition d’alcoolique et il s’est avéré que c’était le cas.
« Tout aussi importante fut la découverte des principes spirituels comme solution à tous mes problèmes. Depuis, j’ai été amené à vivre selon un mode de vie infiniment plus satisfaisant et, je l’espère, plus utile que celui d’autrefois. Mon ancienne façon de vivre n’était certainement pas mauvaise en soi, mais je n’échangerais certes pas les meilleurs instants d’autrefois contre les pires de ma vie d’aujourd’hui. Je n’y retournerais pas, même si je le pouvais. »
Le témoignage de Fred se passe de commentaires. Nous espérons que son exemple servira à des milliers d’autres comme lui. Il n’avait subi que les premières atteintes du mal. La plupart des alcooliques attendent d’être gravement meurtris avant de vraiment faire quelque chose pour régler leur problème.
De nombreux médecins et psychiatres partagent nos idées. L’un d’entre eux, qui est attaché à un hôpital mondialement connu, déclarait récemment à quelques-uns des nôtres : « À mon avis, vous avez raison lorsque vous dites que l’alcoolique moyen est atteint d’un mal généralement incurable. Quant à vous deux dont j’ai entendu l’histoire, il ne fait aucun doute dans mon esprit que vous ne vous en seriez jamais sortis sans une aide divine. Si vous aviez demandé à être traités dans mon hôpital, je ne vous aurais pas admis si j’en avais été capable. Les malades comme vous sont trop désespérants. Je ne suis pas très religieux, mais j’ai un profond respect pour l’approche spirituelle dans des cas comme les vôtres. La plupart du temps, il n’y a, à vrai dire, aucune autre solution. »
Nous le rappelons encore une fois : il y a des moments où l’alcoolique se trouve mentalement démuni devant le premier verre. Sauf de rares exceptions, lui, ni aucun autre être humain, ne peut lui fournir les moyens de se défendre. Le secours doit lui venir d’une Puissance supérieure.
6 Cette constatation était vraie au moment de la publication de ce livre. Mais un sondage effectué en 2013 auprès de nos membres américains et canadiens a démontré qu’environ 10 pour cent des AA avaient moins de 30 ans.
Chapitre 4
NOUS, LES AGNOSTIQUES
Dans les chapitres précédents, vous avez eu des notions sur l’alcoolisme. Nous espérons que vous pourrez établir une distinction nette entre l’alcoolique et le non-alcoolique. Si vous ne parvenez pas à renoncer à l’alcool alors que vous le désirez sincèrement, et si, lorsque vous buvez, vous avez peu de contrôle sur la quantité que vous prenez, il est probable que vous êtes alcoolique. Si c’est le cas, votre maladie pourrait être de celles que seule une expérience spirituelle peut vaincre.
Une démarche de ce genre peut sembler impossible à celui qui croit être athée ou agnostique, mais ne rien entreprendre signifie courir à la catastrophe, surtout si l’on est un alcoolique du type irrécupérable. Faire face à l’alternative de boire et de mourir d’alcoolisme ou de vivre en optant pour un mode de vie spirituel n’est pas toujours facile.
Ce n’est pas si difficile non plus. Environ la moitié de nos premiers membres se trouvaient exactement dans ce cas. Au début, certains d’entre nous cherchaient à éviter la question, espérant contre toute espérance qu’ils n’étaient pas de véritables alcooliques. Après quelque temps, nous avons dû accepter le fait qu’il fallait donner un fondement spirituel à notre vie, sinon... Peut-être est-ce votre cas. Mais, gardez courage, nous n’étions pas loin de la moitié à nous croire athées ou agnostiques. Notre expérience prouve que vous ne devez pas être déconcertés.
Si un simple code moral ou une meilleure philosophie de vie suffisaient à surmonter l’alcoolisme, nous serions nombreux à nous en être sortis depuis longtemps. Cependant, de tels principes et modes de pensée ne nous ont pas sauvés malgré tout ce que nous avons tenté. En fait, nous avons souhaité être d’une moralité parfaite, nous avons voulu de tout notre cœur nous accrocher à une certaine philosophie, mais nous n’avions pas la force nécessaire. Nos possibilités humaines, dirigées par notre volonté, n’étaient pas suffisantes ; nous avons lamentablement échoué.
Notre impuissance nous posait un véritable dilemme : il fallait trouver une force grâce à laquelle nous pouvions vivre, et ce devait être une Puissance supérieure à nous-mêmes. Évidemment. Mais