Arthur Bernede

Vidocq


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toute troublée, balbutiait :

      — Ils sont en sécurité !

      — En sécurité !…

      — C’est tout ce que je puis vous dire !

      — Vraiment !

      — Je suppose que vous n’avez pas la prétention de me les reprendre ?

      — Ils sont à moi autant qu’à toi.

      — Qu’en feriez-vous ?

      — Et toi, qu’en as-tu fait ?

      Ces répliques se croisaient comme deux lames d’épées maniées par deux adversaires qui ont engagé un duel sans trêve, sans merci.

      Et Vidocq, accentuant son ardente offensive, s’écria avec force :

      — Je veux les voir !…

      Manon ripostait, avec énergie cette fois :

      — Et moi, je m’y refuse.

      — Pourquoi ?

      — Parce que je ne veux pas être obligée de leur avouer un jour que leur père a été un forçat.

      — Misérable ! frémit Vidocq.

      Et, terrible, il martela d’une voix grondante et le geste menaçant :

      — C’est toi qui oses me parler ainsi, toi qui m’as si lâchement abandonné, toi qui m’as ravi ce que j’avais de plus cher : mes petits ; toi, enfin, que je retrouve vendue à un amant, courtisane cynique, éhontée, à jamais déchue de tes droits maternels !

      — François !

      — Ah ! tu ne veux pas raconter à nos enfants que leur père a été au bagne !…

      « Avoue donc plutôt que tu as peur que je leur apprenne plus tard l’indignité de ta conduite… que j’étale à nu devant eux mon âme ulcérée…

      « Et tu trembles à la pensée de les voir se retourner contre toi… en te criant : « Qu’avez-vous fait de notre père ? »

      « Eh bien ! détrompe-toi, gueuse !

      Et, adoucissant malgré lui les éclats terribles de son verbe, il poursuivit :

      — Si tu me laisses les voir, ne fût-ce qu’une heure, ne fût-ce qu’un instant, pour eux, rien que pour eux, non pour toi, non seulement je consens à t’épargner, mais je m’engage encore à leur laisser ignorer le drame affreux de notre vie.

      « Tu vois si je suis généreux, Annette.

      « Et cela doit te prouver que le forçat qui est là a gardé une âme assez haute pour respecter ce que tu as déjà sali peut-être : le cœur de mes fils !

      Alors, penché vers sa femme, qui, terrorisée, n’osait plus affronter son regard, haletant de la plus terrible des angoisses, les veines du cou tendues à se rompre, Vidocq scanda âprement : — Allons, parle, réponds-moi : qu’as-tu fait de mes enfants ?

      Un profond soupir gonfla la poitrine de la déserteuse… Ses paupières s’abaissèrent comme si elle ne pouvait soutenir plus longtemps la vision vengeresse qui s’était soudain dressée devant elle…

      Mais pas un mot ne s’échappa de ses lèvres tremblantes… et sa tête s’inclina dans le plus terrifiant des silences.

      Vidocq s’écriait, avec la force indomptable qui émanait de lui :

      — Une dernière fois, je t’ordonne de parler, ou alors je ne réponds plus de moi !

      « Prends garde, Annette, prends garde !

      — Jean… Robert… murmura la coupable en éclatant en sanglots.

      Et elle ajouta, toute pantelante de douleur :

      — Les pauvres petits !

      — Ils sont morts ! râla Vidocq.

      — Oui, oui… ils sont morts…, répéta la mère d’une voix molle, indécise, et qui sonnait faux.

      — Ce n’est pas vrai… rugit le forçat… ils sont vivants ! « Seulement, ou tu ne veux pas me les rendre, ou tu n’oses pas me dire ce que tu en as fait.

      « Tu les as abandonnés, n’est-ce pas ?

      « Tes enfants… nos enfants… Tu es donc encore plus criminelle que je ne le pensais !

      « Ah ! tiens, je vais te tuer !…

      — Vidocq, je t’en supplie… écoute-moi. Tu vas tout savoir…, lança Manon en s’écroulant aux genoux du justicier.

      — Enfin ! s’écria Vidocq.

      Et debout, les bras croisés, il attendit la confession de la coupable.

      Tout bas, comme si elle avait peur des paroles qu’elle allait prononcer, accablée sous le poids d’une responsabilité effroyable, Manon la Blonde, ou plutôt Annette, commença : — François, quand nous nous sommes connus, je n’étais pas une mauvaise fille, et je croyais t’aimer.

      — Tu croyais ! ricana Vidocq.

      — Oui, je te le jure…

      « Oh ! je ne cherche pas à m’excuser…

      « Je sais bien que je n’ai droit à aucun pardon, à aucune pitié.

      « Mais laisse-moi te dire… j’étais coquette… j’aimais la toilette… les bijoux… et le plaisir… toutes choses dont j’avais toujours été privée.

      — Et que moi, pauvre petit officier sans fortune, je ne pouvais pas te procurer.

      — Un jour, je rencontrai un jeune homme qui sut me griser et me fit les plus brillantes promesses.

      « Il me dit qu’il s’appelait Jacques Thionville et qu’il était le fils d’un gros fournisseur aux armées.

      « Il m’affirmait que je lui avais inspiré une passion telle qu’il voulait me rendre l’existence plus brillante, plus heureuse que celle d’une reine ; et je ne tardai pas, en face de lui, à demeurer sans défense et sans volonté.

      « Je lui résistai cependant, bien que chaque jour je sentisse grandir son emprise.

      « Hélas ! bientôt je compris que, moi aussi, j’aimais cet homme… au point d’en perdre la raison.

      « Pourtant une lueur d’honnêteté persistait en moi et me donnait la force de résister à la tentation dévorante de quitter ma maison, de m’enfuir avec celui qui m’avait conquise toute.

      « La pensée de mon Robert et de mon Jacques… car je les aimais tendrement, moi aussi… oh ! oui, je les aimais !… me retenait à mon foyer.

      « Je le dis à celui qui était déjà mon amant.

      « Il me répondit… oh ! je l’entendrai toujours :

      « — Emporte-les avec toi… j’assurerai leur avenir, leur fortune… J’en ferai mes fils puisqu’ils sont les tiens !

      « Il m’affirmait tout cela sur un ton si plein de sincérité, si vibrant d’un ardent amour, que je sentis toutes mes dernières hésitations disparaître… et c’est horrible à dire… mais j’ai résolu de ne rien te cacher. Oui, c’est affreux… Je sentis mes suprêmes hésitations, mes derniers scrupules s’envoler… et… je partis avec lui… avec eux… sans remords.

      « Il m’emmena aux environs de Cambrai, dans une très jolie propriété, où je vécus deux années, souvent seule… Car, sous des prétextes de famille, Jacques ne venait me voir qu’à de rares intervalles, restant parfois des semaines entières sans reparaître.

      « Mais, dans les courts instants qu’il passait près de moi, il me témoignait tant d’amour, il semblait s’attacher si réellement aux enfants,