León Tolstoi

Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï


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encore des leçons!

      «Voyons, Natacha, pas de bêtises! Lui dit avec douceur la comtesse, qui espérait lui faire avouer que ce n’était qu’une plaisanterie.

      — Comment, des bêtises!… Mais c’est très sérieux, dit Natacha piquée au vif. Je viens vous demander ce que je dois faire, et vous me dites que ce sont des bêtises!»

      La comtesse haussa les épaules.

      «S’il est vrai que M. Denissow t’ait fait une déclaration, tu lui diras de ma part que c’est un imbécile.

      — Mais non, ce n’est pas un imbécile.

      — Eh bien, alors que veux-tu? Vous avez toutes la tête tournée. Si tu en es éprise, épouse-le, et que Dieu te bénisse!

      — Mais non, maman, je ne suis pas éprise de lui! Je vous jure qu’il me semble que je ne le suis pas.

      — Eh! Bien alors, va le lui dire toi-même.

      — Ah! Maman, vous vous fâchez? Ne vous fâchez pas, chère petite maman!… Voyons, est-ce ma faute?

      — Non, mais que veux-tu, mon cœur! Veux-tu que j’aille le lui dire?

      — Non, je le lui dirai moi-même, seulement enseignez-moi comment?… Vous riez? Mais si vous l’aviez vu, quand il m’a fait sa déclaration… Je sais bien qu’il n’en avait pas l’intention… Ça lui a échappé!

      — Soit, mais il faut alors que tu lui répondes par un refus.

      — Ah! Non, il ne faut pas le refuser, … il me fait tant de peine!… il est si bon!

      — Eh bien, alors accepte-le, car il est vraiment grand temps de te marier, ajouta la comtesse, moitié riant et moitié fâchée.

      — Pour cela non, maman, mais je t’assure qu’il me fait de la peine… Comment lui dire cela?

      — Aussi bien tu ne lui diras rien, c’est moi qui vais lui parler, dit la comtesse, qui commençait à trouver malséant qu’on pût considérer cette petite Natacha comme une grande personne.

      — Non, pour rien au monde, je le dirai moi-même, vous n’avez qu’à écouter à la porte…» et Natacha rentra en courant dans la salle, où Denissow, assis au piano et la figure dans ses mains, était encore à la même place. Au bruit de ses pas, il releva la tête:

      «Natacha, lui dit-il en s’approchant d’elle vivement, mon sort est entre vos mains… décidez!

      — Vassili Dmitritch, vous me faites tant de peine!… vous êtes si bon!… mais cela ne se peut pas… cela ne se peut pas… mais je vous jure que je vous aimerai toujours!»

      Denissow s’inclina sur la main de Natacha, et il ne put réprimer quelques sanglots étouffés, en la sentant poser un baiser sur ses cheveux noirs, crépus et ébouriffés. À ce moment, le frôlement de la robe de la comtesse se fit entendre:

      «Vassili Dmitritch, merci pour l’honneur que vous nous faites, lui dit la comtesse d’un air ému, qui cependant lui parut sévère…, mais ma fille est si jeune!… et j’aurais pensé que vous vous seriez adressé à moi avant de lui en parler.

      — Comtesse!» lui dit Denissow, en baissant les yeux de l’air d’un coupable, et en essayant vainement de trouver quelques mots à lui répondre.

      Natacha, le voyant si abattu, se mit à pleurer convulsivement.

      «Comtesse, j’ai eu tort, reprit Denissow d’une voix brisée par l’émotion, mais j’adore votre fille et j’aime tant votre famille que pour vous tous je donnerais deux fois ma vie!…» mais remarquant le visage sérieux de la comtesse:… «Eh bien, adieu,» lui dit-il, et lui baisant la main sans regarder Natacha, il quitta la salle d’un pas résolu.

      Nicolas passa la journée du lendemain chez Denissow, qui brûlait du désir de quitter Moscou au plus tôt. Ses camarades donnèrent une soirée d’adieux avec accompagnement de bohémiens et de bohémiennes, et depuis il ne put jamais se souvenir comment on l’avait emballé dans son traîneau, et comment il avait franchi les trois premiers relais.

      Après son départ, Rostow, auquel le vieux comte n’avait pu fournir encore la grosse somme en question, resta quinze jours de plus à Moscou sans sortir de chez lui, passant presque tout son temps dans l’appartement des jeunes filles, à couvrir de vers et de musique les pages de leurs albums.

      Sonia, plus tendre, plus affectueuse que jamais, semblait vouloir lui prouver par là que cette perte au jeu était un exploit véritable, et qu’elle ne pouvait que l’en aimer davantage, tandis que de son côté Nicolas se regardait désormais comme indigne d’elle.

      Ayant enfin envoyé les 43000 roubles à Dologhow qui lui donna un reçu en règle, il partit à la fin de novembre, sans prendre congé d’aucune de ses connaissances, et alla rejoindre son régiment, qui se trouvait déjà en Pologne.

      CHAPITRE V

       I

       II

       III

       IV

       V

       VI

       VII

       VIII

       IX

       X

       XI

       XII

       XIII

       XIV

       XV

       XVI

       XVII

       XVIII

       XIX

       XX

       XXI

      I

      Après son explication avec sa femme, Pierre s’était mis en route pour Pétersbourg. Arrivé au relais de Torjok, il n’y trouva pas de chevaux, ou peut-être le maître de poste ne voulut-il pas lui en donner; obligé d’attendre, il s’étendit, sans se déshabiller et sans quitter ses grosses bottes fourrées, sur le grand divan placé devant une